Du 18 septembre au 13 octobre 2007
Encore une fois, si vous permettez
Texte de Michel Tremblay
Mise en scène Louise Laprade
Avec Louison Danis et Daniel Simard
«Nana, c’est une femme toute simple qui a eu si peur que son fils ne trouve pas sa voie parce qu’elle l’avait trop laissé rêver. Elle s’inquiète de l’avenir de son garçon qu’elle aurait bien voulu voir «casé» avant de partir. Elle arrive prématurément au terme de sa vie et elle sent le besoin de parler à son fils écrivain. Elle lui offre ainsi le précieux héritage de ses réflexions sur l’existence. Elle a un impitoyable sens de l’humour et de l’exagération qui leur permettent, à tous deux, de dédramatiser les situations quotidiennes de la vie en les dramatisant jusqu’à l’absurde.
Cette pièce, à saveur autobiographique, se veut un hommage de l’auteur à sa mère, sa première inspiratrice. Alliant humour et intensité, Tremblay nous offre un aperçu de différents moments de leur vie commune. Du rire aux larmes, impudique et le verbe haut, le dialogue entre Nana et le narrateur évoque les disputes et les réconciliations.
Conception Richard Lacroix, Mérédith Caron, André Rioux, Larsen Lupin
Assistance Martin Émond
Direction artistique Eudore Belzile
Une production du Théâtre des gens d'en bas
Le Trident
269, boul. René-Lévesque Est
Billetterie : 418-643-8131 - 1-877-643-8131
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Dates précédentes :
Du 28 février au 25 mars 2006
Suppl. 26, 29, 30, 31 mars et 1er avril 2006 (Th. d'Aujord'hui)
par Yohan Marcotte
Encore une fois, si vous le permettez nous demande Michel Tremblay, avant de nous faire pénétrer plus en avant dans l’univers du personnage de Nana, inspiré par sa mère. Cette femme au tempérament haut en couleur nous est d’abord présentée par un narrateur. Une fois le terrain préparé pour la grande Nana, celui-ci devient le fils attentif aux envolées mélodramatiques qui ratissent tout le spectre des émotions, faisant passer du rire hargneux à l’attendrissement le plus philanthrope.
Après plus de trente ans de carrière dramatique et toujours au sommet de son art, Tremblay semble s’amuser plus que jamais dans l’univers inspiré par ses souvenirs de jeunesse et aussi avec ce ton carnavalesque auquel il nous a habitué depuis ses débuts. Ce plaisir, visiblement partagé par Louison Danis et Daniel Simard, seuls comédiens en scène, remue de plus belle la salle qui s’amuse et se repaît des cinq tête-à-tête entre la mère et le fils qui présente ces personnages à cinq périodes différentes de leurs vies, soit entre le moment où le fils à 10 ans et son entrée dans la vie adulte à 20 ans. Des tête-à-tête disais-je, mais il faut dire de Nana qu’elle est véritablement un verbomoteur qui prend la plus grande part de la parole dans cette pièce. Elle se lance dans de nombreuses envolées d’un lyrisme « broche à foin » qui tourne, on s’en doute, souvent au monologue. Cette manière d’exprimer sa vision des choses donne à la production tout son intérêt. Ne cherchez pas, dans cette pièce, des coups de théâtre ou bien des décors somptueux, vous risquez de vous sentir laissé pour compte.
Louise Laprade, metteur en scène de la production, en fait allusion en entrevue. Son expérience de mise en scène l’a amené à faire confiance au texte et à résister à la tentation de faire plus d’événements sur la scène. En effet, la scénographie se limite à un coffre en bois, qui sert principalement de siège, un rideau de tulle et un revêtement de sol sur lequel est peinturé des formes abstraites. Certains effets de colorisation créés par l’éclairage sont amenés sans subtilité ni impact, mis à part d’effectuer un changement. Malheureusement, à part un effet de diversion qui parfois nuit à la ligne dramatique, ces modifications ne sont généralement pas fluides comme le texte l’est. Je me dois d’ajouter une réserve à ce propos en ce qui concerne la fin de la pièce. Avec l’aide des simples éléments de décor décrit précédemment, les concepteurs du spectacle sont parvenus à métamorphoser l’univers sobre de la scène pour atteindre un niveau très esthétique et en cela l’effet est réussi, quoi qu’il puisse paraître quelque peu cliché pour certains spectateurs. Pourtant, cela n’affecte en rien la qualité de jeu des comédiens qui parviennent à émouvoir.
La beauté de cette pièce n’est pas tant dans la reconnaissance que l’auteur porte pour sa mère, mais bien dans le franc parlé d’une femme qui partage à son fils son amour des romans et ensuite exprime les réflexions qui la questionnent à propos du théâtre. Elle se voit confrontée à ce milieu grâce aux aspirations de son fils pour l’écriture dramatique. Cependant, ce monde lui reste inaccessible et ses questions sur l’art ne sont pas intellectuelles. Elles sont plutôt anecdotiques, mais sont révélatrices de la sensibilité d’une femme qui n’a pas en bouche le jargon précis pour s’exprimer et c’est là le talent hérité par Tremblay, pourrait-on dire : la naissance d’une poésie accouchée avec les moyens du bord qui la rend irrésistiblement comique et vraie.
Tremblay déclare que c’est le recul pris par rapport à la relation qu’il a connue avec sa mère qui lui a permis d’écrire cette pièce en 1998, la première en date qui s’affirme franchement autobiographique. D’ailleurs, ce recul traverse la mise en scène de Louise Laprade par la présence de Daniel Simard, comédien qu’on voit rarement à Québec, qui incarne le narrateur ainsi que le « jeune Tremblay », bien qu’il paraisse avoir l’âge actuel de l’auteur. Cette pièce de maturité, aux accents encore juvéniles, touche en profondeur, car elle débroussaille, tout au long de son parcours, un caractère fondamental forgé par le monde moderne.
29-09-2007
par David Lefebvre (critique de Montréal, 2006)
Dans ma jeune carrière de critique, j’ai eu la chance de voir du Shakespeare, du Tchekhov, du Tennessee Williams, du Ionesco, du Racine… probablement tout comme vous. Mais bizarrement, pour Michel Tremblay, mon initiation ne fait que commencer. Quoi de mieux que ce mois de mars 2006 consacré, sans que les théâtres le prévoit, à cet auteur québécois adulé internationalement pour bien débuter le tout? Trois pièces, comme vous le savez, sont montées en même temps dans la métropole : Bonbons assortis, adaptée du livre du même titre, au Rideau Vert ; Hosanna, que le TNM crée 15 ans après la dernière production montréalaise et Encore une fois, si vous le permettez présentée au Théâtre d’Aujourd’hui. Pour cette présente critique, c’est cette dernière qui nous intéresse.
Encore une fois, si vous le permettez est une production du Théâtre les gens d’en bas, établi au Bic. Depuis 2002, la pièce a beaucoup tourné, du Bic à Alma, en passant par… Vancouver. Le spectacle est un véritable hommage, ou plutôt une reconnaissance, comme le dit l’auteur, à sa mère, qu’il nomme Nana. À la fin des années 90, Rita Lafontaine avait déjà interprété le rôle principal, sous la direction d’André Brassard qui lui donnait aussi la réplique. Ici, c’est le comédien Daniel Simard qui interprète Tremblay et Louison Danis joue la colorée Nana, avec une telle justesse et tant d’émotions qu’il est impossible de ne pas tomber sous le charme. Impossible non plus de ne pas voir quelques (petites) ressemblances avec notre propre mère dans ce personnage si riche, drôle et touchant. Le langage est savoureux, et Louison Danis habite totalement son rôle. À l’écouter réciter son texte d’une façon si naturelle et d’une efficace rapidité, il n’est pas difficile d’imaginer qu’elle l'adore.
Grâce à quelques sketches, mis en contexte par Daniel Simard, on plonge dans des petits moments de bonheur, de discussions animées couvrant la littérature, les télé-théâtre, la parenté, la mort, entre un enfant de 10, 13 ou 16 ans et une mère inquiète, heureuse, pensive, philosophe. Deux êtres en tête-à-tête qui s’aiment inconditionnellement.
D’entrée de jeu, le narrateur éclipse les grands rôles du théâtre contemporain pour laisser la place à une femme ordinaire, à sa Nana. Cette conteuse invétérée réplique aux mille questionnements de son jeune fils avec tant d’images et d’exagérations qu’on se laisse prendre au jeu et on veut l’écouter des heures durant. Pièce drôle et intelligente sur l’écriture et le monde de l’imagination, l’auteur fait de la scène un endroit pour y projeter ses souvenirs (embellis ou pas) et rendre hommage à sa mère (et à toutes les mères québécoises) qui l’a tant inspiré, mais qui n’a pu voir le succès retentissant qu’il connaît, puisqu’elle est décédée en 1963. La dernière scène, qui détonne du reste de la pièce par son côté beaucoup plus dramatique, est d’une grande sensibilité. Il lui offre un cadeau unique, une sortie théâtrale à sa hauteur. Cet éloge, on le sent, a fait du bien à Tremblay et nous fait aussi beaucoup de bien.
La mise en scène de Louise Laprade est empreinte d’une attendrissante simplicité et d’un grand respect. Le décor n’est constitué que d’un grand rideau blanc et d’un coffre de bois, typique dans les chaumières d’ici. Simple, je vous dis, mais impeccable.
Pétillant, théâtral, on passe du rire aux larmes en quelques instants. Encore une fois, si vous le permettez : on le permet certainement, Monsieur Tremblay, et on en redemande...
02-03-2006
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Crédit photo : Jean Albert