Texte de Luigi Pirandello
Mise en scène de Marie Gignac
Avec Emmanuel Bédard, Serge Bonin, Hugues Frenette, Érika Gagnon, Jean Michel Girouard, Christian Michaud, Lucien Ratio, Klervi Thienpont, Réjean Vallée
Lors d’une cavalcade historique, un jeune aristocrate tombe de cheval et se frappe la tête au sol. Dès cet instant, il se prend pour le personnage qu’il incarnait au moment de son accident : Henri IV, empereur d'Allemagne. Comme les médecins ne peuvent rien pour lui, son entourage décide de l’entretenir dans sa folie en intégrant son monde parallèle. Au fil des années, «Henri IV» découvre que son grand amour l’a trahi et que sa chute a été provoquée. Il devient alors metteur en scène de sa propre aliénation en entraînant ses visiteurs dans un tourbillon où le jeu et la réalité se confondent et l’emprisonnent définitivement dans sa folie. Henri IV nous présente un juste équilibre entre l’illusion et le réel au point où nous nous demandons : Sommes-nous certains de bien connaître les gens qui nous entourent ?
Scénographie Michel Gauthier
Costumes Vanessa Cadrin
Éclairages André Rioux
Musique Stéphane Caron
Trident - Grand Théâtre de Québec
269, boul. René-Lévesque Est
Billetterie : 418-643-8131 - 1-877-643-8131
par Sophie Vaillancourt-Léonard
Il est surprenant de faire son entrée dans la salle du Trident sur une musique endiablée du groupe irlandais U2. C’est pourtant dans cette ambiance sonore que nous nous asseyons pour assister à Henri IV de Luigi Pirandello, mis en scène par Marie Gignac. Alors que tous s’installent et cherchent leurs sièges, là, sur scène, mais dos à nous, un homme torse nu et en pantalon de cuir joue frénétiquement à Guitar Hero, un jeu vidéo dont nous pouvons voir la projection sur grand écran. Près de lui, des consoles de son et des télévisions retransmettent des images de coulisses à la manière « caméra de sécurité ». Le ton est donné ; car s’il y a un univers propre à Pirandello, c’est justement celui de la jonction entre réel et illusion, ce que l’on voit et ce que l’on devine. Rapidement, autour des consoles et télévisions modernes, se masseront des êtres vêtus pour un autre siècle, personnages préoccupés de maintenir l’illusion d’une autre époque. Tel est le sujet de la pièce : suite à une chute de cheval lors d’un bal pour lequel il est costumé en Henri IV d’Allemagne, un homme se prend pour celui-ci et vivra, grâce à l’acharnement de ceux qui l’entourent, dans ce que l’on croit être l’illusion la plus parfaite d’un château du XIe siècle. Cet Henri IV, c’est Hugues Frenette, magnifique dans la peau de cet homme qui erre entre le XIe et aujourd’hui, entre folie et lucidité, douceur et violence.
Le Henri IV de Pirandello, c’est l’art de la mise en abîme. La mise en scène de Marie Gignac vise essentiellement l’équipement technologique disposé sur scène afin d’illustrer ces multiples dualités entre réel et illusion, vrai et faux. C’est le théâtre dans le théâtre dans ce qu’il a de plus beau. Ainsi, les comédiens dirigent eux-mêmes la console et ont une vision consciente et volontaire de ce qui se passe en arrière-scène. Ce « voyeurisme » en coulisse est efficace, intéressant et bien mené. Le spectateur devient témoin de tout : de la mascarade des personnages (ici encore à double sens puisqu’il s’agit autant de l’entourage de Henri IV qui le croie se prendre pour Henri IV, que d’Henri IV lui-même qui joue au fou) mais surtout, de celle de Hugues Frenette, Serge Bonin, Érika Gagnon et les autres qui eux, nous jouent aussi la comédie. Nous assistons aussi bien aux changements de costumes des personnages en d’autres (Matilde Spina en Agnès etc.) que des comédiens en leurs personnages (Érika Gagnon à Matilde).
La pièce se termine comme elle débute, sur une musique très actuelle et populaire, qui vient appuyer ce chevauchement entre réel et imaginaire, passé et présent. Celle du début, avec Guitar Hero qui confirme le temps réel de l’histoire comme étant contemporain malgré ses apparences, puis celle de la fin qu’Henri IV chantonnera. Comme s’il s’agissait de la preuve finale qu’Henri IV a toujours su. Qu’il n’a rien manqué et qu’il est toujours de son époque. Ici encore, le doute entre la lucidité et la folie plane. Qui est fou et qui ne l’est pas ? Qui sait réellement tracer la limite entre les deux ?
Henri IV dans les yeux de Marie Gignac, c’est une magnifique représentation de ce qu’est fondamentalement le théâtre : le reflet d’une mascarade dont tous sont les pantins. Marier réel et illusion est une tâche ardue. La metteure en scène de talent et les neuf comédiens tous aussi justes les uns que les autres peuvent se vanter d’avoir réussi, et ce, pour notre plus grand plaisir.