Auteur incontournable, Molière pose avec ce texte une habile et sérieuse réflexion sur le désir inconditionnel de plaire aux autres en dépit de tout. Dans un monde où l’apparence domine, voilà un sujet toujours d’actualité. Traités avec intelligence, le comique et le tragique se côtoient en pleine harmonie dans cette pièce. Pour la première fois au Théâtre du Trident, c’est à Jean-Sébastien Ouellette qu’est confiée la mise en scène. Il aura le défi de s’attaquer au plus grand des séducteurs, interprété par Hugues Frenette.
Scénographie Bernard White
Costumes Maude Audet
Éclairages Sonoyo Nishikawa
Musique Stéphane Caron
Assistance à la mise en scène Caroline Martin
Crédit photo Guillaume Simoneau
Une production du Théâtre du Trident
par Sylvie Isabelle
Pour lancer sa 40e saison, le Théâtre du Trident fait place à Dom Juan, dans une mise en scène de Jean-Sébastien Ouellet et, dans le rôle-titre, Hugues Frenette. Si on s’imagine généralement l’impénitent séducteur comme un bon vivant jouissant simplement de la vie, on nous en offre ici une version beaucoup plus complexe et torturée.
C’est donc un Dom Juan sur le point de faire face à son destin que nous découvrons, méchant et vicieux, menteur et manipulateur, incapable d’amour ou d’amitié. Le personnage est tout sauf attachant, demeurant cruel avec son fidèle Sganarelle jusque dans la mort.
Comme toujours au Trident, les décors et les costumes sont d’une très grande beauté : la mise en scène de Jean-Sébastien Ouellette est simple mais efficace, une grande table servant à placer l’action de chaque scène. Le blanc domine les costumes, Dom Juan se détachant nettement en rouge : l’effet visuel est superbe dès le premier coup d’œil.
C’est une lecture classique de la pièce qui nous est offerte. L’action n’est pas transposée, mais le discours est encore tout à fait d’actualité : la langue est d’une autre époque, mais il est impossible de ne pas reconnaître la soif de séduction de Dom Juan, une soif qui a traversé les siècles et qui demeure d’actualité aujourd’hui.
Là où réside le véritable intérêt de la pièce et qui en fait un incontournable de la rentrée théâtrale à Québec, c’est sans conteste le jeu des comédiens principaux. Hugues Frenette est solide dans le rôle de Dom Juan, affamé de conquêtes et blasé dès qu’il a vaincu les résistances qu’on pouvait lui opposer. Il excelle particulièrement dans ses réparties vives, comme lorsqu’il séduit deux paysannes à la fois. Et il devient de plus en plus hargneux et manipulateur au fur et à mesure qu’on le pousse dans ses derniers retranchements. Hugues Frenette offre une performance pleine de morgue, et son personnage prendra certainement encore plus d’ampleur lorsqu’il trouvera ses marques.
En faire-valoir de Dom Juan, Sganarelle en arrive presque à voler la vedette tant le personnage créé par Jean-Michel Déry est attachant. Courageux quand Dom Juan ne le regarde pas, obséquieux et servile dès qu’il peut être entendu de son maître, Sganarelle passe du drame au comique en un clin d’œil. Le rôle sied comme un gant à Jean-Michel Déry tant ses répliques sont naturelles et bien maîtrisées : sa présence sur scène rehausse l’action à tout coup, même s’il se tient tout simplement en retrait.
Dans un rôle secondaire mais remarquable, on ne peut passer sous silence Nicolas Létourneau : comédien habile, il sert un accent paysan qui ajoute une bonne dose de comique à la pièce, au grand plaisir des spectateurs. La naïveté de son personnage n’est qu’apparente, car il a tôt fait de voir le jeu de Dom Juan qui tente de lui ravir sa belle.
Cette rentrée théâtrale à Québec comporte donc un arrêt obligé pour Dom Juan : loin d’être un duel, c’est un duo de comédiens au sommet de leur art qu’on nous y propose. Hugues Frenette et Jean-Michel Déry offrent tous deux des performances qui feront marque dans leur carrière. Et on quitte la salle en se disant qu’un premier rôle pour Jean-Michel Déry, ce serait bien mérité.