La pièce nous transporte dans les bas quartiers londoniens, où se côtoient truands, prostituées et mendiants. Mackie le Surineur, un charismatique bandit, séduit Polly, la jeune fille du riche commerçant Jonathan Peachum. Malgré la rivalité qui existe entre les deux hommes, Polly décide d'épouser Mackie sans le consentement de ses parents. Furieux, ces derniers tenteront par tous les moyens d'annuler le mariage.
L'Opéra de quat'sous est une satire joyeusement féroce de la bourgeoisie, une critique de la société menée par l'argent et la corruption. Cette oeuvre marquante connue internationalement est un événement chaque fois qu'elle est présentée. L’auteur allemand Bertolt Brecht sort du cadre du théâtre conventionnel en ajoutant danse, chanson et musique à la mise en scène. Cette dernière est assurée par Martin Genest qui, entouré de la folle équipe de Pupulus Mordicus, intégrera des marionnettes à cette grande fête. Sur scène, les 14 comédiens seront accompagnés par l’Orchestre d’Hommes-Orchestres. À l’aide d’instruments de musique inusités et inventés, le surprenant collectif interprètera les compositions originales de Kurt Weill, fidèle complice de Brecht. Un divertissement total vous attend pour clôturer le 40e anniversaire du Théâtre du Trident.
Musique : Kurt Weill
Scénographie Michel Gauthier
Costumes Élène Pearson
Éclairages Caroline Ross
Marionnettes Pierre Robitaille
Assistance à la mise en scène Elizabeth Cordeau Rancourt
Musiciens sur scène Bruno Bouchard, Gabrielle Bouthillier, Jasmin Cloutier, Simon Drouin, Simon Elmaleh, Danya Ortmann
Une collaboration avec Pupulus Mordicus
par Odré Simard
Pour souligner à la fois les 40 ans du Trident, les 15 ans du Théâtre Pupulus Mordicus ainsi que les 20 années de pratique de Martin Genest, c’est à une fête théâtrale décapante que le Trident nous convie en clôture de saison. Il s’agit d’une chance bien particulière que de pouvoir assister à un tel spectacle revisitant cet éminent succès de Bertolt Brecht, ce grand esprit allemand audacieux et provocant. Quelque 80 années après les premières représentations de ce monument théâtral, la critique sociale, la satire ainsi que la musique épatante de Kurt Weill résonnent toujours à nos oreilles avec autant d’ardeur. Cela consiste en un défi de taille pour le metteur en scène Martin Genest, qui a su bien s’entourer à nouveau : bien entendu, le Théâtre Pupulus Mordicus, ainsi que pour la première fois sur la scène du Trident, l’Orchestre d’Hommes-Orchestres, à l’énergie loufoque et épatante.
Il est donc question de Mackie, le plus grand brigand de Londres, qui épouse en cachette la jeune Polly, fille de Peachum, « l’ami des mendiants », qui est en fait un des plus riches commerçants de la ville. Nous sommes donc témoins des retournements de l’histoire, dont les tribulations des parents afin de faire arrêter et même pendre leur gendre par défaut. Gendre qui, malheureusement, se trouve aussi à être un très grand ami du chef de la police. Témoins, également, du combat qui fait rage entre Polly et Lucy à savoir laquelle d’entre les deux est la femme légitime de ce cher Mackie, sous le regard jaloux de Jenny, une prostituée avec qui il a partagé sa vie un certain temps.
Nous sommes véritablement pris à témoins : Genest, fidèle aux procédés de distanciation développés par Brecht, fait interagir les acteurs directement avec le public. Il guide le spectacle avec des titres ou des indications à exécuter, tel qu’applaudir ou siffler, apparaissant sur un écran au-dessus de la scène. De plus, les personnages semblent adresser directement les pièces musicales à l’auditoire, le prenant pour témoin de sa vie. Le spectacle souffre malheureusement de certaines longueurs et l’histoire aurait bénéficié de voir deux ou trois pièces musicales être coupées au passage. La finale grandiose en perd ainsi légèrement de sa saveur.
Comme la pièce est annoncée en collaboration avec le Théâtre Pupulus Mordicus, nous aurions été en droit de nous attendre à une présence plus affirmée de la marionnette. Quelques belles idées sont proposées, comme des oiseaux ou des enfants mendiants sur un chariot, mais rien pour assouvir notre hâte de contempler sur scène les réalisations de Pierre Robitaille. Il est advenu un peu la même chose de la participation au spectacle de l’ingénieux quatuor de l’Orchestre d’Hommes-Orchestres : avalé par la somme gargantuesque d’éléments en scène, on peine à distinguer leur apport à la totalité du spectacle. Afin d’interpréter du Kurt Weill, il est certain qu’il fallait le sortir quelque peu de son registre courant, mais la présence du piano et de l’accordéon balayait en partie son style habituel - mis à part pour la mise en scène de la finale sur les chevaux-pianos, de toute beauté.
L’interprétation, sans être toujours parfaite au point de vue des harmonies, fut admirablement endossée par les 14 comédiens dirigés par Martin Genest. Coup de cœur avéré pour Jean-Sébastien Ouellette incarnant le personnage principal, le fougueux et téméraire Mackie que l’on réussit à trouver attachant malgré sa grossièreté et son arrogance. Valérie Laroche joue une magnifique Polly quelque peu naïve au départ, mais devenant tout à fait féroce au fil de l’histoire. Les parents de Polly, les Peachum (Bertrand Alain et Andrée Samson), sont tout aussi solides et convaincants.
En somme, L’Opéra de quat’sous revisité par Genest est un grand moment théâtral que l’on ne voudrait manquer, ne serait-ce que pour apprécier sur scène un incontournable, mais aussi pour faire partie de la fête et réfléchir du même coup à la question des luttes de pouvoir entre grands de ce monde qui est encore tout à fait d’actualité. Qui sont les véritables brigands, ou encore, faute de trouver qui est mieux, lequel est « le moins pire »?