Plusieurs années après qu'ils se soient emparés de la Toison d'Or, l'ardente liaison entre Jason et Médée est bel et bien terminée. Celui pour qui elle avait trahi sa propre famille, avant de fuir son pays, l'a répudiée pour épouser la fille du roi. Exilée et déchue, elle se retrouve seule avec ses deux enfants, seule face à son destin de femme. Les transports de sa terrible fureur la pousseront à exercer une vengeance sanglante. La Médée d'Euripide expose adroitement les écueils des passions ainsi que les abîmes des rancunes et présente avec brio l'implacable fatalité des trahisons humaines.
Musique : David Arze
Costumes : Maude Audet
Éclairage : Denis Guérette
Scénographie : Jean Hazel
Crédit photo : Portrait inspiré de la photographie de Linda Laplante (crédit: Vincent Champoux), Illustration: Gill Champagne, Reproduction photo: Stéphane Bourgeois - Design: diese.ca
Une production du Trident
par Odré Simard
Du 1er au 26 novembre 2011, le théâtre du Trident nous convie à une histoire vieille de plus de deux millénaires mais dont les échos s'ancrent toujours dans la réalité d’aujourd’hui. Médée a trahi et tout abandonné pour suivre celui qu'elle aime, que ce soit sa famille, ses amis ou cette précieuse terre natale. Jason lui doit même l'acquisition de la fameuse toison d'or et la brillante réputation qui s'ensuivit. Les choses ont mal tourné et ils ont dû s'enfuir avec leurs deux fils à Corinthe. Après quelque temps, sous l'offre du roi Créon, Jason quitte sa nouvelle demeure pour aller épouser la jeune fille du dit roi, trahissant ainsi tout l'amour et les passions que Médée a pu ressentir à son égard. Elle se retrouve seule avec ses enfants, étrangère, « barbare » en ces terres grecques, détestée et crainte par beaucoup, dû, entre autres, à son érudition et à sa connaissance de certains philtres et maléfices. Ce qui dérange par-dessus tout chez elle est en fait sa force de caractère et ses paroles dures et habiles qui transcendent son rang de femme à une époque où bien peu de reconnaissance et de droits sont attribués au sexe féminin. L'histoire de Médée et de sa vengeance innommable envers Jason résonne en nous et trouve même des répercussions dans certains faits divers des plus actuels, tel l'acte incompréhensible d'un homme assassinant ses deux enfants par déroute passionnelle.
Marie Cardinal nous offre cette traduction de l’œuvre d'Euripide avec toutes les nuances et la sensibilité nécessaire. Le personnage de Médée possède une richesse incroyable : il faut voir comment sa jalousie et la souffrance de la trahison participent ainsi à l'élaboration d'une vengeance sanglante d'une part, envers la nouvelle famille de celui qu'elle adorait, soit Créon et sa fille, et d'autre part envers ceux qu'elle a mis au monde, ses fils. Cet acte contre nature ne peut trouver d'explication logique ou rationnelle, si ce n'est que Médée a pu agir par peur qu'ils souffrent davantage s'ils venaient à être tués par d'autres. Cette pièce met en scène l'incompréhensible, et on pardonne difficilement que Médée puisse nous paraître tout de même si humaine et qu'elle demeure la victime de cette histoire. Il serait plus facile de voir une Linda Laplante plus maléfique, plus hystérique, davantage possédée par des forces occultes qui l'amènerait à poser ce geste malgré elle, mais la pièce perdrait ainsi cette « qualité » de malaise qui nous confronte à la douleur la plus pure et la plus humaine. Du côté de Jason, bien que le comédien Hugues Frenette soit tout à fait irrésistible dans ce rôle de trompeur et d'opportuniste, quelque chose cloche. Il est difficilement crédible de voir Médée, force de la nature implacable, à côté d’un Jason mou et sans colonne, et d'imaginer une ardente liaison qui a pu la détruire ainsi. Même si Jason n'est pas en réalité ce que sa réputation promet, il devrait du moins, en apparence, le laisser croire. Il est donc regrettable de voir ce choix de la part du metteur en scène bolivien Diego Aramburo.
Certains choix de la mise en scène sont discutables. Afin de nous faire ressentir les racines étrangères de Médée, cette dernière parle quelques fois en espagnol et pousse même une chanson dans cette langue. Puisque le reste de l'histoire est fidèle au texte d'origine avec le nom des villes grecques et des divinités, imaginer Médée d'origine espagnole peut nous paraître trouble. Ensuite, la représentation du chœur de Corinthiennes n'est pas claire : comme elles ne sont jamais regroupées et qu'elles imitent ou anticipent les gestes de Médée et qu'elles empruntent ses paroles ou parlent en même temps qu'elle, le chœur semble plutôt représenter les voix intérieures de Médée qui sont parfois en accord ou non avec ce qu'elle dit ou fait. C'est peut-être ce que le metteur en scène désirait, mais la force du chœur s’il avait été aux côtés de Médée aurait gagné en force au lieu qu'il soit dispersé et dissipé dans l'espace comme il l’est ici.
Du point de vue technique, la mise en scène est impeccable. Les éclairages de Denis Guérette sont en parfaite union avec le décor de Jean Hazel, fonctionnels et empreints d'une poésie surprenante. Ils nous offrent des moments précieux, tel le fameux meurtre des enfants qui se joue dans un symbolisme plein de retenue, grâce à l'apparition des ombres des enfants sur un écran d'un rouge pur, une image qui se révèle avec force.
Médée est un texte et une histoire à (re)voir et à (r)entendre, mis en lumière dans une mise en scène très belle, mais miné ici par un manque de crédibilité dans le lien entre les personnages principaux.