Vania et sa nièce Sonia exploitent le domaine de cette dernière à la campagne. Petits bourgeois, leur vie est tranquille à l'intérieur du cercle qu'ils fréquentent. L'arrivée du professeur Sérébriakov, le père de Sonia, et de sa jeune et belle épouse, Éléna, viendra bouleverser le quotidien de chacun.
Éléna, dont l'amour pour son mari a flétri, déclenchera les passions chez les hommes, au grand malheur de Sonia, l'amoureuse sans retour. Vania, lui aussi amoureux de sa jeune belle-sœur, fera alors le bilan de sa vie et n'y trouvera que l'histoire d'un homme qui a vécu par procuration la célébrité de son beau-frère qui s'avère être un homme avec des qualités humaines et intellectuelles médiocres.
Vania, c'est d'abord et avant tout le regard de Tchekhov sur le quotidien, le temps qui passe, le bonheur et l'existence. Une pièce qui passe facilement du vaudeville au mélodrame et où humour et mélancolie se côtoient à parts égales dans une mise en scène juste et efficace signée Marie Gignac.
Scénographie : Michel Gauthier
Costumes : Maude Audet
Éclairages : Caroline Ross
Musique : Stéphane Caron
Projections : David Leclerc
Crédit photo : Hélène Bouffard et Stéphane Bourgeois
Mardi et mercredi 19h30
Jeudi au samedi 20 h
Les deux derniers samedis à 16h
Dimanche 16h, entre la 2e et la 3e semaine
Vendredi-causerie Tous les vendredis de la première semaine de représentations
Mardi avant-scène Tous les mardis de la deuxième semaine de représentations (Assistez à une entrevue intimiste avec un des artistes de la production. Dès 19h15, dans le Foyer de la salle Octave-Crémazie)
Coût : entre 30$ et 50$ selon les jours et les forfaits
Production Le Trident
par David Lefebvre
L’automne russe à Québec bat maintenant son plein, avec la présentation du ludique et superbe Guerre et paix du Loup bleu, à La Bordée, et de Vania, produit par le Théâtre du Trident.
Anton Pavlovitch Tchekhov, prolifique auteur russe de la fin du 19e siècle (il publiera, seulement entre 1885 et 1887, plus de 300 écrits, surtout humoristiques), est littéralement vénéré dans l’univers théâtral mondial, grâce à ses immenses pièces que sont La mouette, Les trois sœurs, Oncle Vania et La Cerisaie. Ses nombreux voyages en province en tant que médecin lui donneront matière à réfléchir pour ses récits. Il sera fortement inspiré par les conditions difficiles, la pauvreté et l’arriération des habitants des régions de la grande Russie, des thèmes qui deviendront récurrents dans ses pièces qu’il disait pourtant « comiques ».
Oncle Vania n’y fait pas exception : inspiré d’une première version intitulé L’homme des bois débuté en 1889, le texte raconte le séjour mouvementé du professeur Sérébriakov dans un domaine rural hérité par sa fille Sonia de sa mère défunte. Elle s’occupe sans relâche des affaires de la propriété avec son oncle Ivan, dit Vania. Habitent avec eux l’homme de main Teleguine, la servante Maria ainsi que Marina, la mère de Vania. Une certaine langueur s’est installée chez tout ce beau monde, une léthargie contagieuse causée principalement et bien involontairement par la présence de la jeune et magnifique Eléna, la femme du professeur, qui voit tomber amoureux d’elle Vania et le docteur Astrov, qui vient faire son tour de plus en plus souvent, au malheur de la jeune Sonia qui l’adore. Alors que Sérébriakov, cherchant une source de revenu plus stable que celle que le domaine lui rapporte à ce moment, propose de vendre la propriété. La nouvelle fait éclater la vérité cachée, le désespoir latent et la haine envers le professeur enfouie dans le cœur de Vania qui l’idolâtrait auparavant. Il voit tout son travail et son dévouement des 25 dernières années bafoués, et son avenir anéanti.
Lente et inéluctable usure des âmes dans le labeur quotidien, déclin de l’esprit, ennui et oisiveté à la campagne, échec sur tous les fronts de l’atteinte de l’idéal, que ce soit la célébrité ou simplement une vie meilleure, Oncle Vania reprend les thèmes plutôt familiers de Tchekhov. Tous les personnages sont condamnés à vivre dans leurs souvenirs ou leurs rêves brisés, jusqu’au docteur Astrov, qui ne dit plus aimer personne.
Intitulé simplement Vania, cette version contemporaine plutôt attendue de Marie Gignac présentée au Grand Théâtre tombe malheureusement dans son propre piège en ayant un pied dans le monde moderne et un autre dans celui plus littéraire tchékhovien. Si les choix semblent plutôt assumés, ils causent pourtant certains conflits et problèmes au cœur même de la pièce. Des répliques des protagonistes, qui mélangent langage soutenu et poétique à celui plus relâché (le mot niaiseux reviendra d’ailleurs souvent), aux références musicales, de Jacques Brel à Daniel Bélanger, qui viennent jurer (malgré, pourtant, le choix plutôt judicieux et intéressant des morceaux) avec les lieux géographiques restés russes, l’adaptation de la pièce souffre de porter en même temps deux chapeaux de deux époques bien différentes. On retrouve ce problème aussi dans le choix des vêtements contemporains et dans celui de conserver plusieurs allusions à des habitudes dépassées, dont quelques références claires à la religion catholique.
Étrangement, et heureusement, la mise en scène rend le tout fluide, même acceptable. Les coupures dans le texte sont justes et équilibrées ; les personnages secondaires jouent des rôles plus effacés, de Teleguine (Normand Bissonnette) qui ne dit que quelques phrases en jouant de la guitare, à Marina (Denise Verville), dont la présence s’avère presque futile, au profit du quatuor composé de Vania, Astrov, Sonia et Eléna. Le discours environnemental, qui était relativement avant-gardiste à l’époque, est mis de l’avant et fait mouche : Astrov, en botaniste amateur, se passionne par la nature environnante, se battant contre la déforestation immodérée du secteur (une superbe métaphore de l’auteur sur la destruction sournoise de la haine et du laisser-aller des hommes) grâce à quelques discours enflammés d’Astrov à ce sujet.
Hugues Frenette propose un Vania touchant en amoureux transi. Blessé jusqu’à la moelle, il tente d’anesthésier les douleurs de son quotidien grâce à la vodka. Jean-Sébastien Ouellette offre une solide performance sous les traits d’Astrov : grand gaillard, on croit en ce docteur désabusé qui se laisse pourtant toucher par la beauté d’Eléna. Jacques Leblanc, en grand comédien, donne une touche caricaturale, mais parfaite, à Sérébriakov, ce professeur hypocondriaque, égocentrique et extraverti, qui n’arrive pas à vivre en campagne, qui n’éprouve que peu d’affection pour sa propre fille et qui ne comprendra jamais la vie misérable (un peu par sa faute) de sa belle-famille au domaine. La contrepartie féminine de la distribution s’avère malheureusement plus décevante. Alexandrine Warren interprète une Eléna plutôt moderne, à la prononciation plus normative, qui cherche encore sa raison d’être sur cette terre. Son jeu, parfois forcé, peine tout de même à dégager la passion qui allument les deux hommes tombés à ses genoux. Claudiane Ruelland propose une Sophie dans la fleur de l’adolescence, enchantée par son amour sans espoir pour Astrov et contrainte par les responsabilités de la propriété. Par contre, la différence d’élocution, plus relâchée, causant un effet plus rural, crée un écart agaçant en comparaison avec ses collègues.
La scénographie de Michel Gauthier – grand homme de théâtre de Québec dont on célèbre cette année les 40 ans de carrière par une expo dans le hall de la salle Octave-Crémazie – est simplement superbe. Long patio de planches de bois, façade de maison qui s’ouvre pour créer une pièce à l’intérieur et écrans en fond de scène qui diffusent des images de forêts verdoyantes, colorées ou décharnées selon la saison, forment un décor plaqué et lisse, mais charmant dans toute sa simplicité et sa contemporanéité. Les éclairages de Caroline Ross viennent avec chaleur ou froideur accompagner les changements de température des saisons et des relations entre les personnages.
Adaptation lacunaire de ce chef d’œuvre de la dramaturgie russe, Vania est tout de même divertissant et d’une grande accessibilité pour un public connaissant peu les œuvres de Tchekhov.