L’arrivée de Hansel dans la vie de Gretel en a bouleversé l’équilibre. Ce petit frère dérange tout. Lorsque leurs parents les abandonnent en forêt et qu’ils finissent chez la sorcière, la tentation est forte de le pousser dans le four avec leur geôlière et de s’en débarrasser à tout jamais… Par quel chemin tortueux devient-on une grande sœur ?
L’auteure Suzanne Lebeau a développé l’art de s’adresser aux enfants à travers une écriture franche. Plus d’une fois, ses œuvres font appel à la structure du conte pour mettre en jeu des états d’être ou des situations vécues par les enfants. Avec le conte Hansel et Gretel, elle trouve la situation de tension idéale pour mettre en lumière la dualité entre grande sœur et petit frère, entre aînée et cadet, dualité trop souvent réprimée et refoulée. Gervais Gaudreault en a fait une mise en scène où la scénographie et la lumière mettent en valeur le jeu des acteurs et la puissance du texte.
Les pièces de Suzanne Lebeau inspirent les metteurs en scène et les artistes du monde entier qui désirent s’adresser à l’enfance. Le public de Québec aura la chance de côtoyer cette auteure considérée comme une chef de file de la dramaturgie pour jeunes publics.
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Assistance à la mise en scène : Milena Buziak
Décor : Stéphane Longpré
Costumes : Linda Brunelle
Maquillages et coiffures : Pierre Lafontaine
Lumière : Dominique Gagnon
Musique et environnement sonore : Diane Labrosse
Crédit photo : François-Xavier Gaudreault
Durée du spectacle : environ 55 minutes
Production Le Caroussel, compagnie de théâtre (Montréal)
En résidence au Théâtre de la Ville (Longueuil) et à la Maison Théâtre (Montréal), en coproduction avec le Théâtre du Vieux-Terrebonne, Muni-Spec Mont-Laurier et le Théâtre, Scène nationale de Narbonne. Le texte a reçu l’Aide à la création du Centre national du théâtre (France).
par David Lefebvre
Les aventures de Hansel et Gretel figurent assurément parmi les premières histoires que l’on raconte aux enfants, toutes générations confondues. Publié par les frères Grimm dans la première édition des Contes de l’enfance et du foyer (1812), ce récit est devenu un classique du genre, et a inspiré bon nombre d’écrivains et de cinéastes (spécialement dans l’horreur) au cours des deux derniers siècles. L’auteure Suzanne Lebeau, récemment récipiendaire du Prix Gascon-Thomas pour sa « contribution exceptionnelle à l'épanouissement du théâtre au Canada », signe ici une relecture très intéressante du conte original, en explorant les sentiments intenses et même sournois, voire malins, des enfants en bas âge, entre un frère et une sœur.
Gretel voit l’arrivée du « Petit Frère », comme elle le surnomme, d’un très mauvais œil. Voilà qu’elle doit être raisonnable, alors qu’elle ne désire avoir la maison, la nourriture, qui se fait de plus en plus rare, et toute l’attention de la maisonnée pour elle seule, comme avant. La précarité du foyer poussera père et mère à abandonner les enfants en pleine forêt. Apeurés, ils tenteront de retrouver leur chemin, et tomberont sur une maison appétissante, d’une richesse alimentaire inégalée. La vieille dame, qui y habite, les accueille, puis enferme Hansel pour l’engraisser, et le dévorer au printemps. La neige tombe, puis fond, et le four chauffe et crépite ; Gretel voit alors dans ces flammes sa chance, sa délivrance : tuer son frère, et être enfin débarassée de lui.
La compagnie Le Carrousel, qui célébrera ses 40 ans bientôt, croit fermement au fait que l’on peut tout dire aux enfants. Elle a su, au fil des années, acquérir une solide expérience en la matière, et prouver chaque fois qu’elle a raison. Parler ainsi de la fratrie, des rivalités, d’égocentrisme juvénile, de meurtre, d’abandon et du concept du bien et du mal qui se chamaillent en nous n’est pas une mince affaire. Par l’entremise du conte, qui permet d’aborder avec une certaine légèreté, voire ludisme, tous ces thèmes sombres, même sordides, et plutôt tabous dans la réalité, Suzanne Lebeau jette, grâce à son habile et élégante écriture, une nouvelle lumière sur le personnage de Gretel, cette petite fille jadis sage et responsable, maintenant aux prises avec un amour-haine incontrôlable envers son frère Hansel qu’elle voudrait bien voir disparaître à jamais. Le conte n’en est pas pour autant dénaturé : l’auteure conserve ici la plupart des éléments clés de l’histoire d’origine, mais crée, du coup, en rendant la jeune fille émotionnellement très près du vécu du jeune public, un contraste très marqué entre les éléments réalistes et ceux plus fantastiques du récit.
Gervais Gaudreault propose une mise en scène épurée, saisissante de simplicité. Une douzaine de chaises hautes, en bois, occupent la scène, agissant comme meubles de la maison familiale, comme arbres de la terrifiante forêt ou comme four/bûcher lors du sacrifice du petit frère. Les éclairages sans flafla de Dominique Gagnon viennent s’accorder parfaitement aux accessoires et aux sentiments des jeunes protagonistes, travaillant essentiellement sur les teintes de blanc et de rouge, ainsi que sur l’intensité de la lumière.
Alors que Jean-Philip Debien joue très bien sa partition de petit garçon sans malice, Catherine Dajczman porte littéralement le spectacle sur son dos. Si sa Gretel paraît parfois trop ingrate et égoïste, la comédienne interprète pourtant avec une saisissante justesse ces intenses émotions vécues de façon exacerbée ou secrète par ces enfants qui se sentent délaissés, à tort ou à raison. Le petit spectateur connectera davantage avec les mots de Suzanne Lebeau que le parent ; celui-ci ne verra pas la même chose que sa progéniture, ayant plus ou moins oublié ou apprivoisé ses propres élans envers frères et sœurs, alors que l'enfant verra son propre reflet sur scène. Le petit vivra aussi plus fortement la peur et la haine qui sont au coeur du récit, dont lors de la marche en forêt ou au moment ultime de la « tentation », autour du four ; une scène qui pourrait être l’une des plus marquantes de l’année en théâtre jeunesse, montrant Gretel au-dessus de son frère sans défense, baignés de rouge, débattant en elle-même du bien fondé de tuer le petit garçon et la vieille dame pour être enfin libre. En optant pour la sorcière, Gretel tue ainsi la haine, choisissant son frère et l’amour qu’elle lui porte bien avant ses propres sentiments égocentriques.
Si certains détails irritent légèrement au passage, par exemple l’aveu trop tardif de la cécité de la vieille femme qui vient finalement expliquer quelques faits incompréhensibles jusqu’alors, détails souvent anodins qui sauront se corriger au fil du temps, la nouvelle création du Carrousel, Gretel et Hansel, s’avère être une pièce au texte fort, à la narration active s’approchant très près de l’univers du conte et au visuel dépouillé et évocateur, parlant directement à l’enfant de la troublante (mais aussi profonde et tendre) réalité que peut provoquer la fratrie.