Luc rêve d’écrire une pièce de théâtre remarquable qui le révèlera et lui donnera la reconnaissance tant espérée. Un jour comme les autres, il fait la rencontre d'un homme étrange qui est l’employé d’une puissante société secrète, Figurec. Depuis des siècles, des figurants y sont engagés pour servir divers intérêts. Avec cette découverte, le regard de Luc se transforme rapidement : comment maintenant distinguer le vrai du faux? Jusqu’où s’étendent les tentacules de ce cartel du pouvoir, de l’influence et de l’apparence? Et si Figurec permettait enfin à Luc de s’offrir la vie dont il a toujours rêvé…
Aujourd’hui, l’accessibilité et les vitrines à la fausse représentation façonnent nos vies et nous définissent socialement. Tout se calcule, tout se trafique et tout devient relatif. Derrière cette façade, chacun s’enfonce de plus en plus dans sa propre solitude... Le regard que pose Fabrice Caro sur notre société de consommation et l’humour avec lequel il le fait ont conquis avec raison l’équipe des 4 Coins. On se souviendra de leur adaptation irrésistible du Fantôme de Canterville, créée sur la scène des Gros Becs. Parions que cette adaptation du roman de Caro nous séduira tout autant.
Concepteurs : Félix Bernier-Guimond, Mathieu Campagna, Émilie Potvin et Véronique Bertrand
Direction technique : Mathieu Campagna
Illustration : Jésabel St-Jean
Durée environ 75 minutes
Production Théâtre des 4 Coins
Pour briser l’ennui et la monotonie de son existence, Luc, jeune auteur de théâtre sans le sou, assiste à des services funéraires de parfaits inconnus. Un jour, sous une pluie abondante, il rencontre un drôle de type, nommé Bouvier, qui lui apprend par accident l’existence de Figurec, une puissante société qui loue d’innombrables figurants (qui se promènent dans les supermarchés, les mariages, les fêtes, les enterrements) sans que son existence soit connue du grand public. Rêvant d’une autre vie, Luc se fait prendre au jeu et tombe amoureux de Tanya, la figurante dont il loue les services pour briser l’image de célibataire endurci qu’il projette chez ses amis Claire et Julien, ainsi que chez sa famille. Mais son incapacité de payer lui crée de sacrés problèmes; du fait, l’homme gaffe à plusieurs reprises et ces faux pas menacent de révéler au grand jour l’existence de la compagnie.
Thriller comique, Figurec, troisième création de la compagnie Théâtre des 4 Coins (que l’on connaît grâce à son spectacle Le fantôme de Canterville, acclamé par le public et la critique), se veut une relecture libre du roman du même titre de Fabrice Caro. Klervi Thienpont et Jacinthe Parenteau, qui signent l’adaptation théâtrale, tentent ici d’aborder les faux semblants, les subterfuges de la fiction dans une réalité qui nous pèse, la commercialisation du rêve et les comportements des hommes et des femmes dans une société de plus en plus envahie par les réseaux sociaux, où « paraître » occupe une place plus importante qu’« être ». Pour y arriver, l’équipe use d’ailleurs d’une technique théâtrale adéquate, soit la mise en abyme : le théâtre au théâtre. Luc, le personnage principal, interprète sa vie dans une pièce qu’il a écrite, avec des comédiens engagés pour la représentation, tout en multipliant les apartés.
Qu’est-ce qui est vrai? Qu’est-ce qui est faux? Sommes-nous devant un témoignage ou une histoire inventée de toute pièce? Là réside peut-être l’intérêt principal de la pièce, qui, avec un malin plaisir, ne donne aucun indice pour démêler la « réalité » de la « fiction» des personnages. Malheureusement, dans son ensemble, la pièce laisse une certaine impression d’inachèvement. Plusieurs incongruités viennent miner la représentation : on pense notamment à l’identification des scènes faite par Luc durant la première partie, alors qu’il dit tout fort « acte 1, scène 2! », « scène 3! » etc., procédé qui sera abandonné en cours de route. L’acte 1 se termine avec l’enlèvement de Luc par Figurec; un événement sur lequel on ne reviendra jamais par la suite, comme si rien ne s’était passé. Si les références culturelles sont nombreuses et souvent amusantes, elles s’avèrent pourtant datées : notons, pour l’exemple, celle de la chanson sifflée par l’un des personnages, qui réfère à la trame sonore de Tuer Bill (Kill Bill, vol. 1); peu d’adolescents sauront trouver la référence. Actualiser celles-ci en plus de certaines expressions un peu vieillottes ne pourrait qu’aider la production.
La mise en scène plutôt dynamique d’Olivier Normand s’impose avec un minimum d’accessoires sur scène. La scénographie, signée Véronique Bertrand, se résume par deux bureaux de bois, de type « professeur d’école primaire », que l’on promène et renverse pour créer les multiples endroits visités – on passe rapidement d’une église à un bar, d’un salon de coiffure à un cimetière, en passant par la cuisine des parents de Luc. Pour une portabilité maximale, on s’arrange avec les moyens du bord; pour preuve, cette lampe de bureau typique au bras articulé qui s’improvise projecteur de fortune. Le jeu des comédiens Philippe Robert (Luc), Israël Gamache (Bouvier et Julien), Klervi Thienpont (Claire) et Jacinthe Parenteau (Tanya), flirtent davantage avec la comédie que le polar, octroyant à la pièce un ton parfois un peu juvénile ; par contre, ils savent capter l’intérêt des spectateurs, et ce, tout au long de la représentation.
À l’ère des fausses nouvelles qui pullulent – un effort est d’ailleurs fait ces temps-ci dans les écoles pour sensibiliser les jeunes à mieux cerner le vrai du faux – Figurec aurait pu creuser davantage les thèmes qu’elle soulève pour mieux faire ressortir les dangers et les pièges du mensonge et de la fausse représentation, tout en créant un réel thriller psychologique qui accrocherait totalement les adolescents. Ceci dit, la pièce n’en est qu’à ses premiers milles; parions qu’elle saura s’ajuster judicieusement au gré des représentations à venir.