Chaque saison voit naître une nouvelle édition des Zurbains dans laquelle quatre contes d’auteurs adolescents sont mis en scène aux côtés de celui d’un auteur professionnel. Le spectacle présente ainsi des univers de tous genres issus de l’imaginaire fertile d’une génération qui a soif de dire. Une tribune qui porte leurs rêves, leur révolte, leurs questions et leur culture propre.
Mais avant d’être un spectacle, Les Zurbains est un grand projet d’écriture pour des milliers de jeunes qui composent un conte urbain. Depuis des conférences en classe, une période d’écriture, un comité artistique, un stage d’encadrement dramaturgique et enfin, la création du spectacle, toute cette aventure s’avère un collectif révélateur.
Assistance à la mise en scène et régie : Jacinthe Racine
Scénographie : Josée Proulx-Bergeron
Costumes : Sandrine Bisson
Éclairages : Audrey-Anne Bouchard
Environnement sonore : Sarah Laurendeau
Directeur de production et technique : Mélanie Primeau
Collaboratrice artistique : Amélie Bergeron
Photo : spinprod.com
Durée environ 75 minutes
Production Théâtre Le Clou
Dates antérieures (entre autres)
Du 28 avril au 13 mai 2016 - Salle Fred-Barry
Au fil du temps, le spectacle Les Zubains est devenu un incontournable pour exposer certains états d’âme de la jeunesse québécoise. Orchestrée par le Théâtre Le Clou, la présente édition poursuit sur la même lancée que celle de l’an dernier, malgré une légère baisse de tension, à la salle Fred-Barry.
Au printemps 2015, le public montréalais avait apprécié une proposition grandement relevée par ses propos pertinents, ni trop provocateurs, ni trop mièvres. Ces jours-ci, nous avons également droit à une succession de récits très diversifiés dans le ton et les enjeux. Pendant près de 90 minutes sans entracte, les cinq histoires sont ainsi menées tambour battant.
L’ensemble dirigé, une fois de plus, par Monique Gosselin, permet de découvrir de nouvelles voix, souvent prometteuses. La formule demeure la même. Quatre textes d’étudiants de différentes écoles secondaires du Québec ont été sélectionnés. À ceux-là, s’ajoute la présence d’un auteur souvent réputé dans le milieu, Robin Aubert cette fois-ci. Et si, à la levée du rideau, l’une des comédiennes ne mentionnait pas au public qu’elle avait dans ses mains la partition de l’artiste connu, il demeurerait ardu de distinguer la signature du «professionnel», par rapport à celles des autres participants à l’aventure.
La volonté de sortir de sa zone de confort et de s’extirper des repères rassurants teinte le destin des cinq personnages principaux. Les soubresauts des premiers éveils amoureux côtoient, entre autres, les difficultés de cohabitation entre les cultures anciennes et nouvelles. Laissant parfois à désirer l’année dernière, le choix musical charme ici beaucoup les oreilles avec un choix éclectique, mais très cohérent. Il va du classique à des airs plus contemporains ou fantaisistes. Nous entendons, entre autres, un extrait magnifique des Quatre saisons d’Antonio Vivaldi, Kasatchock d’Esin Engin, sans oublier le Trio n.2, en mi bémol majeur, Op.100 de Franz Schubert. Si précédemment, un numéro fragmenté servait parfois de fil conducteur, les cinq intrigues indépendantes se suivent sans coupure dans le présent programme. Pour les transitions, les membres de la distribution effectuent à la vue des gens les changements minimes de décor.
La pièce s’amorce avec D’la couleur dans un garage de Robin Aubert. Avec un effet volontaire de surprise inattendue, son interprète, Catherine Le Gresley, se fait passer pour l’une des placeuses de la salle. Selon ses dires, l’actrice qui devait donner vie au seul conte «de l’auteur professionnel du show» souffre de gastro dans les loges. La jeune téméraire demande alors au public, déjà agité et qui le restera tout au long de la représentation, si elle peut lire le texte. Peu à peu après une réponse enthousiaste, elle se laisse porter par les mots et les questionnements exprimés sur la pertinence de nos choix. Elle parle d’une athlète olympique qui hésite entre accepter la gloire stressante de son statut et son envie de peindre dans un entrepôt dans l’est de la ville. La poésie rude, très explicite au début, nous fait ressentir un palpable et effervescent réalisme urbain.
Par la suite, des couleurs plus graves et mélancoliques esquissent le témoignage et les préoccupations de Bande de clowns. L’œuvre écrite par Anastasia Comendant raconte le quotidien d’une jeune fille et de sa famille originaire de la Moldavie («un pays né de l’éclatement de l’URSS, un pays que personne ne connaît et qui est trop petit pour être vu sur un globe terrestre»). La narratrice attend avec fébrilité la venue de son nouveau petit ami, né au Québec, qu’elle présentera à ses parents. Elle éprouve une certaine honte face à ces derniers, jugés arriérés quant à leur attachement aux coutumes folkloriques russes au détriment de leur intégration présente à leur nouveau pays d’accueil. Albane Chateau insuffle les nuances nécessaires à ces interrogations légitimes et complexes, traitées avec sensibilité et une maîtrise surprenante, à l’image de ces poupées gigognes que l’héroïne s’amuse à assembler et désassembler. Avec une gestuelle précise et des intonations comiques, les acteurs incarnent les autres personnages secondaires, vêtus de rouge, comme des amuseurs circassiens qui s’amusent à réagir aux paroles de la fille.
Encore plus tragique, la sobre, mais moins mémorable, Langue de pierre de Mohamed Chrouh nous plonge dans les tourments d’un adolescent qui admirait son grand frère, jusqu’à ce que ce dernier commette des bêtises. La mère impose une sanction à l’aîné : retourner vivre au Maroc avec son père. Le protagoniste part ensuite le rejoindre dans un espoir, aussi minime soit-il, de réconciliation. Harou Davtyan rend avec une belle justesse et sans fioritures ce dévoilement intime parfois terne. Heureusement, il manipule avec habileté, sur une longue table, des éprouvettes comme des pions d’un jeu d’échecs.
Dans un registre beaucoup plus éclaté, la toujours brillante Marie-Ève Milot livre la meilleure prestation de la soirée. Dans Blue in my mind d’Arianne Boudreault, elle se glisse dans la peau d’Élizabeth qui rêve de publier une fanfiction sur les tribulations d’Amanda. Dans une mise en abîme pas toujours évidente, nous apprenons qu’Amanda fantasme sur Mo, le chanteur d’un boys band aux ballades sirupeuses et aux refrains formatés, Blue Blood Boys (d’où une allusion sarcastique pour ces «stars internationales nées à Lévis») qui rappellent les One Direction ou NSYNC. L’humour de la jeune créatrice divertit dans la description de la psyché de cette admiratrice aux pulsions dangereuses, telle une petite-cousine de l’Annie Wilkes du Misery de Stephen King.
Morceau de clôture, La loi de l’accélération de David Kalichman nous expose les dilemmes d’un passionné des sciences. Son existence, aussi précise que ses calculs de mathématique, est tout à coup désorganisée. Il reçoit une invitation de ses «amis» pour une excursion à La Ronde. Le garçon craint les manèges (surtout le Goliath), mais l’envie de voir la séduisante Justine prend le dessus. Malgré l’insertion d’innombrables expressions en anglais et un dénouement connu sur l’importance d’accueillir l’imprévu, l’intérêt faiblit peu. Le quasi-monologue bénéficie de la prestation vive de Guillaume Rodrigue. En parallèle, ses partenaires de jeu utilisent ingénieusement les accessoires, comme lors de l’illustration de la virée dans les montagnes russes.
Monique Gosselin enveloppe toutes ces paroles sensibles avec rigueur et un plaisir manifeste. La réalisation théâtrale de ces Zurbains laisse donc présager d’autres agréables rendez-vous.