Du 4 au 8 décembre 2007
En attendant Godot
Texte de Samuel Beckett
Mise en scène de Lorraine Côté
Avec Jacques Leblanc, Jack Robitaille, Denise Gagnon, Hugues Frenette ou Frédérick Bouffard et Lucien Ratio ou Jocelyn Pelletier
Dans
ce texte phare de la dramaturgie du XXe siècle, Beckett combine l’absurde,
le jeu clownesque et le drame. Deux vieux amis attendent un certain Godot
qui ne vient pas. Pourquoi l’attendent-ils? Ils ne le savent pas! Ils
font le tour de l’histoire de l’humanité et passent le
temps comme ils le peuvent, en regardant filer leur vie comme on attend devant
notre téléviseur que quelque chose se passe.
La Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie :418-694-9721
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Dates antérieures
Du 17 janvier au 11 février 2006
Supplémentaires 1, 2, 8, 15, 17 et 18
février 2006
par Yohan Marcotte
Cette reprise de la mise en scène de Lorraine Côté, qui tournera un peu partout au Québec jusqu’au 24 février 2008, confirme l’efficacité de son travail sur l’œuvre phare de Beckett. Le ton burlesque insufflé aux personnages permet de gagner un public qui n’est peut-être pas habitué à ce type de pièce qui reste sans intrigue. Pourtant, celui-ci se laisse embarquer dans l’attente interminable vécue par ce duo de larrons clownesque, interprété avec une complicité sans faille par Jacques Leblanc et Jack Robitaille.
Frédérick Bouffard incarne Lucky, remplaçant Hugues Frenette qui était de la distribution originale. Ce comédien nous montre qu’il a su unir son jeu à celui de l’équipe tout en y mettant son grain de sel. C’est avec plaisir que nous le suivons dans son monologue sur la pensée où, dans ce dédale de langage, il maîtrise le discours absurde du personnage avec des nuances qui ne nous apparaissaient pas dans la première version de la production.
Autrement, la mise en scène est restée fidèle à elle-même et à Beckett. C’est-à-dire un beau bouquet de vacuité, où les personnages s’emmerdent drôlement et où les spectateurs sont aux premières loges d’une acuité nouvelle : percevoir l’humain se débattant dans les creux de son existence. Car la vie, parfois, donne l’illusion de se faire attendre.
05-12-2007
par Magali Paquin (2006)
Œuvre phare de Samuel Beckett, «En attendant Godot» a été
joué à de multiples reprises depuis sa création, en 1953,
avant de se retrouver sur les planches de la Bordée. L’histoire
des clochards Vladimir et Estragon, attendant sans raison apparente un inconnu
dénommé Godot, doit en partie son succès à l’aura
mythique qui l’enveloppe. L’identité du personnage de Godot
donne lieu à de multiples interprétations, dont la plus prégnante
est relative à Dieu (God?). S’inscrivant à mi-chemin entre
l’absurde, le drame et le jeu clownesque, «En attendant Godot»
est l’une de ces pièces que l’on a tendance à classer
facilement dans la catégorie des j’aime, j’aime pas. Une
pièce qui se termine comme elle a débutée, s’étalant
en dialogues qui ne semblent avoir aucun but, ne peut en effet que déstabiliser
le spectateur à la recherche d’une intrigue ficelée.
Or, ces conversations qui paraissent si futiles, les préoccupations
du cours des jours, ne font-elles pas elles aussi parti intégrante
du quotidien ? L’amitié sans attente envers l’autre, l’attente
sans objectif précis, n’est-ce pas une représentation
juste d’une facette de l’existence humaine ? Le fait est qu’ici,
les semblants de futilité qui nous habitent sont exposés sans
pudeur ni hypocrisie. Dans cette perspective, il ne s’agit donc plus
d’absurdité, mais d’un regard lucide sur nous-mêmes.
«Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?» «On attend.»
«Oui, mais en attendant ?»… Beckett donne voix aux sans
voix, dépeint l’humanité à sa manière. Le
passage éphémère d’un maître et de son esclave,
Pozzo et Lucky, prend un tout autre sens lorsque le premier devient aveugle
et l’autre muet. Refus de regarder, refus de parler. Les mots qui se
pressent aux lèvres de l’esclave à la corde au cou sont
pourtant si intenses…
La scène s’étale dans la grisaille d’un sol courbe,
dans le vide de l’espace et de l’horizon bleuté. Dans le
ciel immense, un lourd mécanisme marque les heures au gré du
soleil qui se lève ou se couche. Il marque les battements du cœur,
aussi, peut-être, à la manière d’une montre témoin
de l’existence. L’environnement sonore créé par
les trouvailles musicales de Pascal Robitaille ne pouvait être plus
approprié pour enrober la simplicité des lieux. Ses magnifiques
«machines à sons» emplissent subtilement l’atmosphère,
façonnant un agréable équilibre avec le dénudement
visuel.
La metteure en scène Lorraine Côté s’est permis
quelques dérogations aux indications scéniques, que Beckett
voulait pourtant rigoureusement appliquées. Les chapeaux melon qu’auraient
dû porter les quatre personnages sont ainsi absents, de même que
l’arbrisseau, transformé en grand arbre dont seul le tronc et
une frêle branche sont apparents. L’originalité la plus
marquante est par contre d’avoir confié le personnage de Pozzo
à Denise Gagnon, surtout lorsque l’on sait que Beckett, de son
vivant, avait refusé toute reprise de sa pièce par la gent féminine.
Le choix est heureux, tant la comédienne assure une puissante présence
sur scène. Il en va de même pour les deux vagabonds, Vladimir
et Estragon, interprétés respectivement par Jack Robitaille
et Jacques Leblanc. Deux grands du théâtre québécois
partageant la scène qu’ils ont chouchouté ou chouchoutent
encore comme directeur artistique, il y a de quoi impressionner. La qualité
du jeu non-verbal de Hugues Frenette, méconnaissable sous les traits
de Lucky, mérite également d’être saluée.
«Rien ne se passe ; personne ne vient, personne ne va, c’est
terrible», disait Estragon. Et pourtant, ce vide est meublé d’interrogations
apparemment futiles et d’une quête de soi, inconsciente. N’est-ce
pas ainsi que les hommes vivent ?
23-01-2006