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Du 30 octobre au 24 novembre 2007

Matroni et moi

Texte d'Alexis Martin
Mise en scène de Patric Saucier
Avec Catherine Larochelle, Hugo Lamarre, Jack Robitaille, Nicola-Frank Vachon et Michel Thériault.

Gilles, jeune étudiant en philosophie, est issu d’un milieu aisé et vit un amour désassorti avec une barmaid, Guylaine, dont le frère fricote avec la pègre. On demande à Gilles d’aller livrer un document important au véreux Matroni. Cette rencontre provoque des étincelles et un débat d’idées éclate entre les deux hommes. Menaces et séquestration ne suffiront pas à intimider le jeune homme qui restera enfermé dans ses convictions jusqu’à l’arrivée impromptue de son père. Brillante comédie d’Alexis Martin, Matroni et moi nous rappelle l’urgence de vivre dans un monde qui croule sous les mots, les conventions et l’égocentrisme.


Conception : Élise Dubé, Lucie Larose, Christian Fontaine et Fabrice Tremblay.

La Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie :418-694-9721

 

 

par Yohan Marcotte

D’entrée de jeu, le décor aux angles irréguliers et aux couleurs très vives, disposé sur la scène de la Bordée, nous laisse présager une pièce éclatée, telle une boîte à surprise. Effectivement, la mise en scène de celle-ci se révèle éclatante et, à notre plus grand bonheur, nous fait rire jusqu’à s’en fendre l’âme. Matroni et moi a maintenant une douzaine d’années et cette pièce se montre toujours aussi intelligente et profonde.

Le prologue est toutefois une déroutante entrée en matière : un air italien kitch est interprété de piètre façon par un chanteur baryton imbu de lui-même qui n’a pas le charisme suffisant pour gagner le public. Cette « fausse note » laisse le spectateur face à un doute : il peut craindre une version aux teintes trop criardes du texte d’Alexis Martin, bien connu au travers de sa version cinématographique. Cependant, très rapidement le spectateur s’aperçoit qu’il a été berné. Et cela va sans contredire l’esprit de création de la pièce, qui a d’abord été montée au Nouveau Théâtre Expérimental, où on se plaît à se jouer des spectateurs et de leurs attentes. Lorsque les personnages, interprétés par Catherine Larochelle et Nicola-Frank Vachon, entrent en scène, la marque d’un excellent travail d’interprétation est tracée (et il ne faut surtout pas oublier la prestance d’Hugo Lamarre, de Jack Robitaille ainsi que de l’ambigu Michel Thériault qui ont su insuffler le brio de leur talent à la production).

J’aurais pu ajouter un bémol à cette qualité, au niveau de la direction d’acteur. Nous pouvons reconnaître, dans la présente interprétation, les personnages immortalisés sur la pellicule cinématographique, mais si ce choix a été pris, il semble que c’est pour caricaturer le modèle et le dépasser (sans porter préjudice à celui-ci)… jusqu’à atteindre une personnalité propre, soit un esthétisme rappelant la bande dessinée où le burlesque est à l’honneur!

Le jeu est plutôt physique. Par exemple, la mise en scène a commandé aux personnages de se figer dans certains temps forts de leur gestuelle, ce qui suggère le travail de composition d’une case de B.D. où l’on choisit une image fixe pour suggérer l’action. Cela est présenté de manière fluide à la scène, sans trop insister, de sorte qu’on perçoit moins ce procédé comme un exercice de style, que comme un clin d’oeil à un genre qui visiblement plait au metteur en scène, Patric Saucier.

Le spectateur voit davantage des types de personne, plutôt que des personnages ayant une personnalité propre. En effet, même Gilles, l’intellectuel universitaire qui fait envie à Guylaine pour l’étendue de ses connaissances, ne peut s’empêcher de s’excuser à propos de sa thèse qui ne présente rien de neuf au sujet des répercussions de la mort de Dieu dans la société moderne, laissant chaque individu seul juge de ses actes.

Plusieurs types de personnes sont rassemblés et confrontés dans cette pièce. Elle brosse un portrait des plus intéressants au sujet de notre monde, lui qui s’est principalement tourné vers la liberté en s’émancipant de la gouverne d’un ordre extérieur à soi, tel que la religion : l’intellectuel qui tente par sa pensée de s’abstraire de la basse réalité grâce à sa réflexion; la serveuse qui rêve de se sortir de son rôle « d’appât à clients » grâce à un retour à l’école; son frère qui tente de se sortir de la misère qu’il a connue depuis toujours en servant un mafioso; ce même mafioso qui tente de vivre au-dessus des lois en agissant dans la clandestinité et en dominant les gens à son service comme un maître exerce son autorité sur son chien. C’est la rencontre du mafioso Matroni et de l’intellectuel, qui changera le cours de l’existence de ce dernier et cette route déviée donnera bien du fil à retordre aux magouilleurs.

Suivant Japon à Premier Acte, il semble que l’automne théâtral de la ville de Québec ait la faveur de l’humour. Cette fois, nous avons affaire à une écriture bien achevée, tant sur le plan de la structure que de la justesse des différents langages mis en présence. Cette production sait dévoiler les ressorts de notre monde en perte de repère pour nous brasser la cage par la rigolade et par sa force de lucidité. Franchement, merci et bravo !

04-11-2007