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Du 16 septembre au 11 octobre 2014, 19h30 (30 septembre à 13h) - supplémentaire 11 octobre 13h30
FéesLes fées ont soif
Texte Denise Boucher
Mise en scène Alexandre Fecteau
Avec Lise Castonguay, Lorraine Côté, Marie-Ginette Guay

La Statue, Marie et Madeleine. Trois femmes qui se sentent prisonnières des rôles auxquels on les a confinées au fil des siècles. Trois femmes qui crient leur frustration, leur rancœur, leur aliénation. Trois femmes qui unissent leurs voix pour clamer leur individualité, leur identité, leur liberté.

Cette œuvre phare de Denise Boucher avait provoqué la polémique lors de sa création en 1978 et n’a jamais été rejouée sur une scène professionnelle au Québec depuis. Un propos qui suscitera certainement les débats… Les fées ont-elles encore soif en 2014 ?!


Section vidéo


Assistance à la mise en scène : Joée Lachapelle
Décor : Vano Hotton
Costumes : Élène Pearson
Lumières : Laurent Routhier/Projet Blanc

Tarif : régulier : 35 $ ; 60 ans et plus : 30 $ ; 30 ans et moins : 25 $

Une production La Bordée


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Il y avait longtemps que la langue magistrale de Denise Boucher s’était fait entendre dans un théâtre de la province. Quel bonheur de constater qu’elle est toujours aussi libre, cinglante, drôle et émouvante.

La Bordée démarre sa saison férocement avec trois fées assoiffées, à la parole plus vivante que jamais. Si le quotidien de ces trois archétypes féminins – la mère, la sainte et la putain – a changé depuis la première représentation des Fées ont soif au TNM en 1978, leurs peurs et leurs préoccupations sont encore bien présentes, de l’image de leur corps à leur liberté, en passant par le mariage, la prostitution, l’avortement, le viol et l’oppression des hommes et de la religion.

Le jeune et brillant metteur en scène Alexandre Fecteau (le NoShow), récipiendaire du plus récent prix John-Hirsh qui souligne « les accomplissements majeurs sur le plan de l’excellence et de la vision artistique » d’un jeune metteur en scène, remis par le Conseil des arts du Canada, a su avec doigté actualiser le texte de Denise Boucher, et ce, à tous les niveaux.

D’abord dans l’espace : alors que les comédiennes de la version originale ne bougeaient pratiquement pas, il donne aux actrices un décor où elles marchent allègrement, rappelant les passerelles de défilés de mode. Puis dans les costumes, où bottes à talons en acrylique rencontrent tabliers de femmes en maillot ou représentation de Wonder Woman, clins d’œil stéréotypés totalement assumés. Les comédiennes portent aussi des carcans, des gaines et autres bandages, qui restreignent leurs mouvements ou rappellent vaguement la chirurgie esthétique. Le moulant costume noir de la putain, qui couvre tout sauf les seins et l’entrejambe, est sans équivoque. Et celui de la Statue, constitué de nombreuses prothèses, montre une Marie prisonnière de son propre aura de sainteté, étouffée par sa propre idéologie. Lorsque les trois femmes libèrent finalement leurs cheveux, symbole féminin par excellence, l’image est simplement stupéfiante.

Par la musique aussi, car les fées chantent leur misère, leur désespoir, leur errance ; les toutes nouvelles compositions musicales signées par Maude et Navet Confit, flirtent allègrement avec le rock et le folk.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Dans son désir de contemporanéité, le metteur en scène emprunte aussi aux soulèvements sociaux, dont le mouvement Projet Unbreakable, qui montrent des femmes, victimes de violence et d’abus, brandir des pancartes où elles ont écrit les paroles de leur agresseur, et l’ajout à la trame narrative de certains textes du blogueur Rammi Rammal, parus sur le site d’Urbania, qui collent parfaitement à l’esprit de ces Fées version 2014. Il utilise de façon pertinente et percutante la vidéo, projetée sur deux immenses panneaux en fond de scène. D’entrée de jeu, comme mise en contexte, on diffuse des extraits du reportage de Radio-Canada (à Tout le monde en parlait), qui portait sur le scandale des Fées ont soif et du soulèvement populaire qui s’en est suivi ; sont ensuite projetées des images d’anorexie,  de Photoshop, d’hypersexualisation et du groupe terroriste africain Boko Haram qui a enlevé, entre autres, plus de 200 jeunes filles au Nigeria. Sans oublier les images de la statue, qui filme ses propos, enfouie quelque part, seule, répondant indirectement aux échanges de la mère et de la putain.

Déjantées, déchaînées, charnelles, drôles et touchantes, les trois comédiennes au talent immense , Lise Castonguay (la Mère), Lorraine Côté (la Putain) et Marie-Ginette Guay (la Statue), sont le véritable joyau de ce spectacle poétique et cru, au rythme toujours constant. En plus d’incarner leur rôle avec panache, elles empoignent ce long poème à trois voix avec ferveur et passion. Elles se permettent même quelques digressions : un hommage à un professeur du couvent, un salut à une politicienne qui aurait mérité un départ plus honorable et un coup de gueule hilarant à la langue française péjorative, comparant la définition populaire de certains mots féminisés, tel un et une secrétaire, salaud et salope ou bœuf et vache.  Le public est même appelé à participer, à crier haut et fort ce qu’il n’est plus capable d’endurer, de la pub de tampons au gouvernement conservateur.

Renversante est cette édition des Fées ont soif sous la gouverne d’Alexandre Fecteau, qui  réussit avec brio à unir la parole du passé et celle du présent. Une prise de parole (encore) nécessaire et jouissive,  qui anime à nouveau les consciences et l’espoir de ne plus avoir peur.

18-09-2014