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Du 19 janvier au 13 février 2016, 19h30, mardi 9 février 13h
Matéo et la suite du monde
Texte et mise en scène : Jean-François F. Lessard
Avec Mathieu Bérubé-Lemay, Frédérique Bradet, Julien Fiset-Fradet, Marie-Hélène Gendreau, Jack Robitaille

Un lourd silence règne dans le cours de cinéma donné par Jacques-Henri Lefebvre. Matéo est figé, la main levée, comme s’il allait poser une question, mais… rien ne sort. Il n’est plus là. Il est loin, quelque part entre la suite du monde et la suite de sa vie, entre un documentaire de Perrault et la quête d’un bonheur authentique. Matéo et la suite du monde, c’est l’histoire d’un quotidien déchiré, c’est un voyage fabuleusement tourmenté sur une île où habitent les personnages qui ont marqué l’existence de Matéo, jeune homme vivant avec le syndrome d’Asperger.


Assistance à la mise en scène : Catherine Simard
Décor : Vanessa Cadrin
Costumes : Dominique Giguère​
Lumières : Denis Guérette
Musique : Mathieu Campagna
Images et vidéo : Keven Dubois et Eliot Laprise

Tarif : régulier : 35 $ ; 60 ans et plus : 30 $ ; 30 ans et moins : 25 $
Le premier samedi de chaque production, la paire de billets est au coût de 35 $ pour les 30 ans et moins

Production La Bordée
Coproduction Entr'actes


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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Critique

Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Coproduite par Entr’actes et La Bordée, la pièce Matéo et la suite du monde nous entraîne à l’intérieur de la classe de cinéma d’un ancien grand réalisateur, Jacques-Henri Lefebvre. Le sujet : Pour la suite du monde, un film documentaire des années 60 de Pierre Perreault et Michel Brault qui utilise les techniques de la fiction pour montrer d’une toute nouvelle manière à l’écran la vie quotidienne des habitants de L’Isle-aux-Coudres. Le jeune Matéo, qui vit avec le syndrome d’Asperger, lève la main, comme il le fait mille fois durant les heures de classe. Mais Matéo ne produit pas un son, laissant son bras en l’air, figé dans le temps. D’abord moqueur, puis mal à l’aise et ensuite inquiet, le professeur demande à Matéo de parler, de bouger, mais rien n’y fait. Matéo est perdu dans les dédales de son esprit, cherchant à refaire le montage de sa vie. Il est hanté par la recherche de son personnage principal et tourmenté par des créatures masquées, à l’instar des hommes et femmes qui célèbrent la Mi-Carême dans le film de Perreault et Brault, inspirées par des êtres réels : sa sœur, qui s’occupe de lui depuis la mort de leur père et le départ de leur mère, son meilleur ami et une collègue de classe, Maria.

Texte sur l’envahissement, sur la nécessité de la transmission et le sentiment d’échec familial, écrit et mis en scène par Jean-François F. Lessard, Matéo et la suite du monde propose un voyage à l’intérieur de la tête d’un homme vivant avec le syndrome d’Asperger, parfois lugubre, parfois lumineux grâce à plusieurs traits d’humour, mais sans censure ou tabou. À preuve, la gentille Maria, collègue de classe qui tente de l’amadouer, se juxtapose à une actrice porno et à un chien dans son esprit qui se débride sans retenue. Justin, le meilleur ami qui adore tout ce qui est glauque, devient quant à lui un pêcheur meurtrier au couteau bien aiguisé.

La scénographie, conçue par Vanessa Cadrin, laisse une grande place au cinéma. Ici, quelques troncs d’arbres chétifs, sans branches, s’élèvent ici et là, rappelant la nature du documentaire ; là, trois immenses murs, sur lesquels on projette, entre autres, les images du documentaire, fermant la scène. Celle-ci, qui devient l'arène du monde intérieur et extérieur de Matéo, s’imprègne totalement du septième art : elle y plonge, s’y noie, et passe de la métaphore à la réalité.

Par contre, la pièce souffre du principal défaut de ses qualités : à l’image de Matéo qui est incapable de connecter avec ses sentiments, la pièce peine à communiquer au public les émotions ressenties : l’incertitude, la frustration, la colère. L’empathie que devrait ressentir le spectateur envers les personnages s’en voit restreinte ; on intellectualise les actes, on interprète et on analyse davantage qu’on ressent réellement les bouleversements que vivent Matéo et son entourage. Plusieurs clés pour décoder la pièce sont trop bien enfouies entre les lignes, se terrant dans les questionnements de Matéo, dont les raisons du départ de sa mère et de la gentillesse de Maria. Mais plus précisément encore, elles se cachent dans les raisons pour lesquelles son professeur, idole et figure paternelle inavouée, a décidé d’arrêter de tourner ; un mutisme que Matéo n’accepte pas, ne comprend pas, harcelant le professeur pour qu'il s'explique. Du coup, Matéo relie inconsciemment cet arrêt soudain à la voix éteinte de son père suicidé.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Quelques scènes sortent du lot : une altercation entre la sœur et le frère et les retrouvailles entre le père décédé et le fils sont plus émotives et plus poignantes, venant réellement toucher le spectateur qui semblait, jusque-là, voué à n’être qu’un témoin passif de la remise en question de Matéo.

Mathieu Bérubé-Lemay (Matéo) et Julien Fiset-Fradet (Justin), tous deux vivant avec des limitations fonctionnelles, donnent une couleur bien particulière et juste à leurs personnages. Si un certain décalage dans le jeu est relativement perceptible entre eux et les autres comédiens, on en fait fi rapidement, charmés par ses deux êtres uniques. Beaucoup de colère se trouve chez les personnages de Frédérique Bradet (la sœur) et de Jack Robitaille (le professeur), pour des raisons propres à chacun d’eux. Ces états d’âme auraient eu plus d’impact avec une montée dramatique plus éloquente, pour mieux cerner leurs sentiments bouillants ; malgré tout, on comprend leurs réactions et on ne peut que se projeter en eux. Marie-Hélène Gendreau (Maria), joue tout autant la douceur, avec sincérité, que le sexe cru et direct, avec aplomb. Le travail de proximité entre Mathieu Bérubé-Lemay et la comédienne, lors de quelques scènes très intimes, est parfois stupéfiant – même si le tout s’est peut-être fait le plus naturellement le monde… ou pas.

Matéo et la suite du monde n’est pas le genre de pièce qui bouleverse les conventions et le confort des spectateurs ; par contre, elle réussit à placer sous les projecteurs, et avec beaucoup de naturel - grâce au talent des interprètes et à la complexité de l’intrigue – certaines réalités de notre société. On ne peut qu’applaudir et soutenir Entr’actes et ses interventions artistiques et sociales, parce qu’elle donne, en quelque sorte, un sens à la suite du monde.

22-01-2016