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Du 12 avril au 7 mai 2016, 19h30, mardi 3 mai 13h
Qui a peur de Virginia Woolf?
Texte : Edward Albee
Traduction : Michel Tremblay
Mise en scène : Hugues Frenette
Avec Normand Bissonnette, Lorraine Côté, Élodie Grenier, André Robillard

À deux heures du matin, après une réception universitaire bien arrosée, George et Martha invitent un jeune couple, Nick et Honey, à venir terminer la soirée chez eux. George et Martha se livrent alors à une scène de ménage impitoyable, et Nick et Honey se retrouvent impliqués dans un jeu cruel et pervers dont ils ne connaissent pas les règles, un jeu dont le but semble être la domination et l’humiliation de l’autre. Chef-d’œuvre de l’auteur Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf? questionne avec force et ironie l’utopie du rêve américain.


Assistance à la mise en scène : Simon Lemoine
Décor : Michel Gauthier
Costumes : Julie Levesque
Lumières : Sonoyo Nishikawa
Musique : Yves Dubois

Tarif : régulier : 35 $ ; 60 ans et plus : 30 $ ; 30 ans et moins : 25 $
Le premier samedi de chaque production, la paire de billets est au coût de 35 $ pour les 30 ans et moins

Production La Bordée


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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Critique

À l’instar de la saison dernière, le théâtre de La Bordée clôt sa programmation avec un classique américain : après Tennessee Williams et sa chatte sur un toit brûlant, c’est au tour des mots d’Edward Albee de résonner à l’intérieur des murs de l’institution de la rue St-Joseph.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Possiblement le texte le plus connu de l’auteur américain, Qui a peur de Virginia Woolf dépeint une nuit tortueuse durant laquelle George (Normand Bissonnette) et Martha (Lorraine Côté), l’un professeur d’histoire et l’autre fille du recteur de l’université, mariés depuis plus de vingt ans, s’amusent sans retenue à s’entredéchirer devant leurs invités, Nick (André Robillard), professeur de biologie arriviste et opportuniste, et Honey (Élodie Grenier), femme-enfant angélique et naïve. Écrite et montée pour la première fois en 1962, la pièce d’Albee explore les thèmes de l’illusion et de la vérité, use de la notion communicationnelle de la double contrainte tout en s’avérant être une critique sociale acide de l’époque à travers, entre autres, le ressentiment, l’humiliation et la cruauté qu’étalent George et Martha sur le tapis de leur maison cossue.

Traduite par Michel Tremblay, la pièce porte quelques marques tangibles de l’auteur montréalais. Tremblay a su adapter à la québécoise le langage parfois vulgaire, les multiples jurons et les allusions sexuelles plus ou moins subtiles. Par contre, elle conserve les nombreuses répétitions qui alourdissent accessoirement la pièce.

Cette version de Qui a peur… que propose La Bordée est amèrement décevante, et ce, en tout point. Alors que la pièce se veut un combat pernicieux et sans merci entre deux individus aigris, engagés dans une relation amoureuse destructrice, le metteur en scène Hugues Frenette fait bifurquer le propos vers la comédie dramatique, au tempérament presque burlesque, voire grotesque. Dès les premiers dialogues, tout est désamorcé : la tension entre les personnages ne s’élèvera jamais plus haut que quelques coups maladroits sur les meubles et le cynisme à travers les jeux dangereux du mensonge et de la manipulation sera utilisé comme levier humoristique. Le jeu des comédiens sombre alors dans la caricature, et jamais ceux-ci n’arriveront, durant les deux longues heures et des poussières de la représentation, à rendre un tant soit peu crédibles et viscérales la complexité psychologique du récit et la violence verbale et émotionnelle perverse des altercations de la nuit.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Si André Robillard s’en tire correctement, peinant par contre à imposer un Nick supposément opportuniste  et ancien champion de boxe, Élodie Grenier fait mieux, jouant avec candeur la légèreté de son personnage. Normand Bissonnette et Lorraine Côté, qui portent la pièce sur leurs épaules, n’arrivent malheureusement pas à incarner le George et la Martha d’Albee. Ils n’offrent aucun mordant aux luttes verbales de leurs personnages, demeurant dans un effet d’enfantillage agaçant – encore plus perceptible en deuxième partie. Les dilemmes moraux, la gravité des échanges, la cruauté et la démesure semblent toujours faux ; on s’enfonce sans arrêt dans un pathétisme frivole plutôt que d’assister à une mortelle partie d’échecs. Pourtant, ce sont deux comédiens chevronnés ; problème de casting?

La direction d’acteur présente aussi plusieurs lacunes, essentiellement dans les détails : ici, des mouvements cajoleurs, alors qu’on devrait se cracher dessus comme des chats de gouttière ; là, des moments d’intensité alors qu’on reste bien assis sur le sofa ; là encore, un ton de voix qui n’est jamais juste.  L'ironie ou le jeu sur plusieurs niveaux, qui pourraient tout expliquer, ne semblent même pas présents. La progression dramatique est boiteuse, trouée ; certaines actions, qui sautent du coq à l’âne, surtout entre Nick et Martha, s’expliquent mal, malgré l’alcool qui coule à flots.

La conception de la pièce n’échappe pas aux clichés. L’utilisation de la musique, signée Yves Dubois, est hyper classique ou, au mieux, cinématographique, appuyant les quelques moments plus fébriles par un son soutenu. Les éclairages de Sonoyo Nishikawa, enveloppant quand même bien la scène, indiquent sans surprise, par des effets d’assombrissement, les moments de tension. On isole même inutilement un monologue par un projecteur suspendu au-dessus de la scène. Le décor de Michel Gauthier balance entre deux époques : les grandes poutres de bois évoquent un côté classique, et la décoration tangue entre les années 50 et les années 2000. L’aire de jeu, un large salon riche avec sofa, petit bar et billard, est presque épurée ; pas de bibliothèque, pas de livres, toute allusion à l’érudition de George est alors évincée du décor. De plus, l'immensité et l'ouverture de la scénographie annulent les effets de cloisonnement qui pourraient peser sur les personnages et aider à la progression dramatique.

Peut-être qu’une partie du public trouvera un certain plaisir à assister à cette version décalée et édulcorée de Qui a peur de Virginia Woolf. Certes, la proposition ne manque pas d’énergie, mais la pièce désole et consterne par ses nombreux irritants.

14-04-2016