par Isabelle Girouard
Prothèses et autres prolongements
Les Productions Recto-Verso lançaient jeudi dernier leur programmation de la 10e édition du Mois Multi, festival d’arts multidisciplinaires et électroniques. L’évènement, réunissant plus de 40 artistes du Québec, du Canada et de l’étranger, aura principalement lieu à la coopérative Méduse, mais tiendra aussi résidence au Musée des beaux-arts du Québec et au pavillon La Fabrique de l’université Laval. En collaboration avec le Mois Multi, l’association de création et de diffusion sonores et électroniques Avatar nous présente également dans ses studios Vitesse et Mémoire.
La programmation, intitulée Prothèses et autres prolongements, expose une réflexion artistique sur le thème du détournement, nous offrant la vision d’une réalité augmentée par de surprenants stratagèmes technologiques. Les œuvres, sortes de prolongements, d’extensions, sont ainsi créées afin de changer la perception visuelle ou auditive de l’auditoire, et seront parfois directement ajoutées aux corps des performateurs. Ces créations contemporaines et multidisciplinaires surprendront sans doute le spectateur curieux et avide de sensations nouvelles, d’art et de fines technologies.
Nous nous intéresserons particulièrement à la création multidisciplinaire du performateur catalan Marcel-li Antunez Roca, Hipermambrana. Inspirée du mythe du Minotaure, cette prestation expose la dualité entre la bestialité et la rationalité de la nature humaine. C’est le performateur lui-même qui, vêtu d’une prothèse exo squelettique, contrôle et dirige l’environnement visuel dans lequel il s’est inséré, imagerie provocante et plutôt « virile », pour reprendre les mots d’Émile Morin, fondateur et producteur de Recto-Verso.
Des conférences et des rencontres sont prévues avec les artistes.
Consulter le site internet du festival pour la programmation : www.moismulti.org
Hipermembrana
par Yohan Marcotte
Hipermembrana, du Catalan Marcel-li Antúnez Roca, est sans aucun doute la performance la plus attendue de la 10e édition du Mois-Multi – et probablement la plus appréhendée par ceux qui ont visionné les vidéos promotionnels… Ce n’est aucunement dans le but de mousser l’événement qu’on précise que la présentation s’adresse à un public averti. Ceux qui connaissent le groupe La Fura Dels Baus,que Roca a cofondé en 1979, savent bien que cet artiste n’a aucun scrupule à sonder, devant les spectateurs, les méandres les plus sensibles de l’humanité.
Cette année, le festival a pour thème « Prothèses et autres prolongements », la production Hipermembrana ne saurait mieux le représenter. Ce spectacle, Roca le présente avant tout comme une performance mécatronique. Il s’agit d’une présentation où les génies mécanique, électronique et informatique (en temps réel) sont mis à contribution en synergie afin de construire un spectacle où l’humain est en constante interaction avec des «machines».
Sur scène, il y a d’abord Roca qui est le grand «manie-tout», à la fois performeur et régisseur, grâce à sa prothèse exo squelettique équipée de senseurs qui le couvrent des épaules aux doigts. Il contrôle avec cet outil à peu près tout le côté technique du spectacle, c’est-à-dire les projections d’image sur deux écrans, la «machine à cris» (composée de matériel audiovisuel préenregistré où des trios de personnes deviennent une boîte à rythme vocale) et un système de modulation vocale qui lui permettent de mixer en direct une trame sonore basée sur des séquences de free jazz. Ce dispositif, loin de handicaper Roca dans la performance qu’il accomplit en compagnie du comédien Nico Baixas, lui donne la toute-puissance de son personnage, l’inventeur Dédale.
Bien qu’on présente Hipermembrana comme une performance, la narration dite par Roca au sujet du mythe du Minotaure et de L’Enfer de Dante vient orienter et unifier les segments performatifs et vidéographiques, qui restent les plats de résistance du spectacle.
Dédale crée une machine pour permettre à la femme du roi Minos de s’accoupler avec le grand taureau blanc, à la demande de celle-ci, car l’animal éveille ses désirs… La machine Dédale, à l’instar de celle de Roca en conjuguant corps et mécanique, permet de réaliser ce qui est impossible par les simples moyens du corps. Du désir de la reine et la technologie de Dédale est issu le Minotaure, hyper sexualisation sociale que Roca met en image, alliée aux objets médiatiques de contrôle, et voilà que se manifeste le monstre qui sommeille sous la rectitude de l’espace civique.Roca n’épargne aucune facette de l’abjection humaine à son public. Malgré la brutalité du contenu présenté, l’artiste a la décence de créer une distanciation entre les spectateurs et les tabous sociaux qu’il choisit de montrer en le faisant via le vidéo. Il brise aussi les tensions que les images choquantes peuvent créer en optant régulièrement pour un ton burlesque. À ce niveau, Nico Baixas y est pour beaucoup. Son jeu vicieux très assumé et ses mimiques de diable risible dilatent la rate des spectateurs à de nombreuses reprises, leur donnant un second souffle pour la traversée de cet enfer…
En terminant, il faut mentionner que Roca présente un programme double, le samedi 21 février à 21h, à la salle Multi de Méduse, soit Epizoo : où un corps humain, en l’occurrence celui de l’artiste lui-même, captif d’une machine agissant comme un squelette externe actionné par un ordinateur, sera manipulé – voire torturé – par les inspirations des spectateurs ; puis, en seconde partie, Protomenbrana : également performance mécatronique, annoncée comme un autre objet hybride « oscillant entre la conférence, la fable métaphysique et le spectacle poétique ». Roca y révèle ses sources d’inspiration et la méthode de travail de son projet Membrana.
20-02-2009