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Du 8 au 17 octobre à 20 h, du mercredi au vendredi
Femmes-bustesOutrage au public
Texte de Peter Handke
Mise en scène et réalisation de Christian Lapointe

Christian Lapointe s’attaque au texte fondateur de la non-représentation, le ludique et déstabilisant Outrage au public de Peter Handke, dont il réinvente, près de 50 ans après sa création, la radicalité jubilatoire. Prenant au pied de la lettre le titre de l’œuvre et la phrase « ce soir on ne joue pas », il fait du public le seul intervenant vivant de la pièce, le plaçant face à lui-même, à la fois comme sujet et objet de ce singulier spectacle, où la représentation théâtrale est retournée comme un gant.

Dans cette recréation aussi rafraîchissante que jouissive, Christian Lapointe dirige l’affront à l’aide de saisissantes voix de synthèse. Soumis aux commandes d’automates déshumanisés, les spectateurs se verront chassés du théâtre — nous ne vous disons pas comment ! — par les célèbres cascades d’insultes qui terminent la pièce de Handke. Objet de cinéma direct, d'art audio ou de théâtre numérique ? Allez savoir !

Depuis la fondation du Théâtre Péril, à Québec, en 2000, l’auteur et metteur en scène Christian Lapointe trace un parcours singulier, créant des objets théâtraux d’une exigeante densité, où la poésie, la mort et le réel se conjuguent pour interroger les manques existentiels du mode de vie contemporain. Inspiré tout autant par le symbolisme de William Butler Yeats — dont il a monté la trilogie du Chien de Culann, son premier spectacle, ainsi que Le seuil du palais du roi (2003) et le triptyque Calvaire, Résurrection et Purgatoire sous le titre Limbes (2009) — que par la densité textuelle et le rapport à la réalité des corps de Samuel Beckett, Lapointe a progressivement orienté sa recherche vers une mise sous tension de la part de réel qu’exige au théâtre tout acte de représentation. Que ce soit à travers ses relectures d’auteurs symbolistes (outre Yeats, Villiers de L'Isle-Adam dont il a monté l’irreprésentable Axel en 2006), des textes contemporains brutaux (Vu d’ici, d’après le roman de Mathieu Arsenault, 2008 ; L’enfant matière de Larry Tremblay au Théâtre Blanc, 2012) ou ses propres textes (dont C.H.S., présenté au FTA en 2007, puis au Festival d’Avignon en 2009 ; Anky ou la fuite, opéra du désordre, 2008 ; Trans(e), 2010 ; et Sepsis, 2012), Christian Lapointe travaille, selon les mots du critique Hervé Guay, à des « expériences atypiques dont on sort rarement indemne ». Il est créateur associé à Recto-Verso depuis 2011 et a été tout récemment nommé codirecteur artistique du Théâtre Blanc, à Québec.


Section vidéo


Direction technique et programmation vidéo Pierre-Olivier Fréchet-Martin
Photo Christian Lapointe
Rédaction Paul Lefebvre

Création au Studio d'Essai, Mois Multi, Québec, le 31 janvier 2013
Présenté lors du Festival TransAmériques du 3 au 7 juin 2013

Durée : 1h

15 $* étudiant / 20 $* régulier - un rabais est offert au public de la Rencontre internationale d’art performance **

* taxes incluses
** Un coupon donnant droit à un billet au coût de 10 $ seulement est remis à tout acheteur du forfait 6 soirées (en vente au coût de 20 $) pour la Rencontre internationale d’art performance qui se tient à Québec du 11 au 21 septembre.

Un spectacle de Recto-Verso


Studio d'Essai de la coopérative Méduse
591, rue de Saint-Vallier Est
Billetterie : billets disponibles à la porte et sur lepointdevente.com

 
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 Critique
Critique

par Francis Bernier

Pourquoi allons-nous encore voir du théâtre aujourd’hui ?

On connaît Christian Lapointe pour ses créations audacieuses et parfois même à la limite du supportable. Il franchit un autre pas dans cette direction avec sa relecture originale du texte culte Outrage au public de l'auteur autrichien Peter Handke. Insolite, sa version se situe entre la performance artistique et l’acte théâtral et donne un second souffle vivifiant aux discours de Handke.

Ce soir on ne joue pas. Ceci n’est pas une pièce de théâtre. Nous n'avons rien à vous raconter. Dès le début, on est averti que la présentation à laquelle nous assisterons sera tout sauf conventionnelle. Les spectateurs arrivent au compte-goutte dans le studio d'Essai du complexe Méduse et le traditionnel rideau a été remplacé cette fois-ci par un écran de projection. Devant l'estrade où est assis le public, une caméra épie leurs moindres allées et venues. Au bout de quelques minutes après le début du spectacle, l'écran s'allumera et on y projettera en direct l'image de l'assistance. Ceci n'est pas un miroir que l'on vous tend. Vous ne pensez rien. Nous pensons à votre place. Vous n'acceptez pas que nous pensions à votre place. Vous voulez rester objectifs.

L’œuvre que Peter Handke a créée en 1966 était originalement jouée par des comédiens et c’est ici que se trouve l’intérêt de la version de Christian Lapointe : il remplace les acteurs par des voix synthétisées qui réciteront machinalement tout au long de la représentation le texte de Handke. Des voix robotisées et dépourvues d’émotions qui s’apparentent au genre de voix que l’on peut entendre dans les programmes de traduction en ligne ou encore à celle d'une boîte vocale – des voix qui s'enchaînent et se superposent dans un chaos dirigé et hypnotisant. Le fait qu'il n'y ait pas de comédiens amène un côté froid et aseptisé au final, mais le tout n'est pas dénué d'originalité ni de sens ; le spectateur se retrouve de cette façon face à lui-même et devient en quelque sorte le pourquoi et le comment de la pièce. Les mots de Handke sont mis à l'avant-plan par Lapointe, et grâce à sa non-mise en scène ingénieuse et assumée, il parvient à moderniser un discours vieux d'un demi-siècle et à le réinterpréter de façon juste et personnelle, faisant abstraction de tous les codes théâtraux habituels

Y a-t-il outrage? Peut-être pas, si on en juge par la réaction des gens de l'assistance, mais il reste que Christian Lapointe signe une création intelligente et marginale qui déstabilise et pousse à la réflexion et à l'introspection. Outrage au public est une production pour les plus audacieux seulement.

13-10-2014



par Pascale St-Onge (2013)

Vous n'êtes pas spectateur

Suivant une ligne directrice très claire dans la programmation du FTA de cette année, le spectacle de Christian Lapointe, Outrage au public, s'inscrit dans une tentative extrême de prise de contact avec le spectateur. Dans les derniers milles du festival, voilà un spectacle qui est un véritable complément aux autres propositions de la programmation de cette septième édition.

Aucun décor, aucun acteur ; il n'y a que des voix de synthèse, neutres autant que possible, qui s'adressent au public pour l’informer du fait qu'il ne se passera rien, et ce, de toutes les variations possibles. Un écran projette des images de la salle et du public ; celles-ci deviennent ensuite rapidement décalées. Les spectateurs y voient alors ses fantômes et ses anciennes actions, plaquées sur son image captée en direct. Syntonisant l'exercice de Peter Handke à la vidéo, la conception de Christian Lapointe va au bout de la réflexion qui a été entamée par l'auteur il y a bientôt 50 ans. Le texte de Peter Handke est la seule chose qui raccroche le public à l'idée d'une représentation, puisque rien d'autre ne le permet. Pourtant, celui-ci se contredit lui-même, prétextant ne pas être théâtre, ne pas être spectacle ou ne présentant rien.

« Vous ne vivez rien ». Vraiment? Sans entrer dans les balises de ce que la plupart pourraient énoncer comme étant nécessaire pour être spectacle, il y a tout de même une expérience. C'est indéniable. Cependant, sa nature et sa forme remettent plusieurs choses en question, jusqu'à la pertinence même de ce texte, cette critique dont vous faites présentement la lecture. Car, en effet, qu'y a-t-il à critiquer sur une expérience dont nous sommes nous-mêmes le sujet? Il est possible de constater par écrit la liberté qu'a prise le public durant l'exercice : certains quittent la salle, une partie seulement revient ; d'autres dansent, d'autres se lèvent et se promène sur la scène ; certains parlent au voisin ou usent de leur téléphone cellulaire. Comme si le public avait accepté d'être l'objet du spectacle et avait voulu provoquer quelque chose, car autrement il ne se passe « rien ».

Véritable questionnement sur la raison d'être et l'avenir du théâtre, proposant au public une prise de conscience sur son rôle de spectateur, son activité et sa présence, Outrage au public nous offre un moment de réflexion de qualité en grand groupe. Tel un essai, le texte se vautre dans la tentative impossible de représenter le vide, ou d'être vide de sens, faisant ainsi ressortir les contradictions du texte. Le partage de ce moment entre tous provoque des sentiments divergents et étonnants, mais à la fin de l'expérience, lorsque les lumières s'éteignent (longtemps), un autre questionnement survient : devons-nous applaudir? Si oui, qui applaudissons-nous? La réflexion est soutenue jusque dans les dernières secondes où nous prenons place dans la salle.

04-06-2013