Conjuguant performances, tableaux vivants, textes et chansons, Les oiseaux mécaniques nous entraine dans un univers scénique indiscipliné et irrésistible où il est question de pouvoirs et d’aliénation, plus particulièrement celui de la musique. Dans Les oiseaux mécaniques, on opère le détournement d'un monument de la musique, la Neuvième Symphonie de Beethoven où les quatre mouvements seront joués.
Ainsi, le duo de l’APA, Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin, poursuit son exploration d’enjeux artistiques et politiques surprenants.
Comment se réapproprier une œuvre et pourquoi c’est nécessaire? Comment dire ce qui a déjà été dit sans se répéter? En quoi un jeune qui préfère Chopin à U2 devrait être un motif de consolation pour la société? Est-on manipulé par la musique? Et par les mots? Est-ce qu’écouter, c’est obéir? Qu’est-ce qui nous met en marche? On peut se bander les yeux, mais comment fermer nos oreilles? Les musiques risquent-elles de nous assourdir? Et pourquoi y a-t-il tant de bruit? Le silence peut-il encore exister?
Section vidéo
Image : Le déroulement normal, Stéphanie Béliveau, 2005 (détail)
Objets d’art Maxime Rioux, Julie Delorme
Film Alexandre Fatta
Lumières Philippe Lessard-Drolet
Son Frédérique Auger
* À l’image des autres créations du Bureau de l’APA, tous les performeurs-interprètes sont aussi concepteurs, en tout ou en partie, de leurs performances
Entrée 20 $ (taxes et frais de service inclus)
Production Le Bureau de l’APA
Salle Multi de la coopérative Méduse
591, rue de Saint-Vallier Est
Billetterie : 418 643-8131
Dates antérieures (entre autres)
Du 11 au 21 décembre 2013, Espace Libre
Mois Multi Février 2014
4 au 14 mars 2015, Espace Libre
critique publiée en 2013
Les créateurs Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin du Bureau de l’APA, flanqués de plusieurs membres de l’Orchestre d’hommes-orchestre, présentent jusqu’au 21 décembre prochain à Espace Libre leur plus récent projet, intitulé Les oiseaux mécaniques. Création inédite, foisonnante et d’une remarquable densité, elle se veut être une suite plutôt logique à la réflexion sur l’aliénation et le pouvoir initiée lors de leur spectacle précédant, La jeune-fille et la mort.
Il serait hasardeux de décrire en détail Les oiseaux mécaniques, tant la proposition est un joli chaos artistique. Une « chaosphonie », si l’on peut dire, puisque la troupe tente de se réapproprier et de réinterpréter, à leur manière, ce qui est considéré par plusieurs comme l’une des plus grandes symphonies de tous les temps, soit la 9e de Beethoven. Tout comme la composition magistrale de l’Allemand, le spectacle se sépare en quatre mouvements, avec des ouvertures, des thèmes, des développements, des codas et des conclusions. On se questionne sur l’omniprésence de la musique dans nos vies et nos espaces publics, sur le concept de la majorité, sur la puissance et l’influence des sons et de la musique. On aborde des notions d’histoire de la musique et du monde, on détourne les symboles du pouvoir directement dans les accessoires scéniques, on assassine à bout portant les gens qui veulent changer leur nom pour Caroline, portant ainsi un regard caustique sur ce « nom-son » auquel nous répondons toute notre vie.
Le bureau de l’APA ne fait pas les choses comme les autres : ses spectacles sont théâtraux, certes, mais s’approchent davantage de la performance et de l’art visuel, réunissant plusieurs concepteurs de différents milieux. La mise en scène des Oiseaux mécaniques propose de multiples couches, nous stimulant autant visuellement, dans un espace rappelant une scène de concert avec lutrins, musiciens et chanteurs, que par les sons, nombreux, produits par des instruments inventés, comme des violons mécaniques, la guitare de Jasmin Cloutier, le cor français de Benoît Fortier, le DJ set de Julie Delorme ou la voix humaine, dont celle, stupéfiante, de Danya Ortmann. Intellectuellement aussi, grâce à des argumentations, voire des laïus, philosophiques, poétiques, historiques et politiques, grappillés ici et là. Répétés au moins deux fois, de manière identique ou non, ces phrases viennent mettre en lumière notre contraignante réalité d’apprentissage et de pensée, rappelant du coup le titre du spectacle, qui fait référence directe aux serinettes, cet outil de la Renaissance utilisé pour faire apprendre aux serins et aux canaris un chant imposé, leur faisant oublier alors par la force de la répétition leurs gazouillis naturels.
Polymorphe, Les oiseaux mécaniques est un amalgame de tableaux et de collages parfois étranges, parfois surréalistes, parfois visuellement très fort, souvent décousu et aux nombreuses interruptions – notons celle, à trois reprises, d’un hilarant Johnny Walker, de plus en plus ivre, qui publicise son scotch Red Label, en en buvant deux doigts à chaque reprise –, mais soutenu par une structure sous-jacente réfléchie et solide. Plus le spectacle avance, plus il s’éloigne de la symphonie, se créant son propre univers ludique, brouillé, déstabilisant, indiscipliné, multiple, tonitruant, voire abrutissant, mais toujours fascinant. La complexité et la densité de la proposition nous font immanquablement perdre le sens de celle-ci, si du moins nous en avions capté un (ou plusieurs) depuis le début de la représentation.
« L’art n’est pas le contraire de la barbarie », dit à un moment Alain-Martin Richard, agissant comme membre de la troupe et comme critique du spectacle tout à la fois ; une des nombreuses dualités du projet. Avec ce parapluie déplumé sautillant grâce à la vibration d’une machine à coudre, ces chaises qu’on manipule violemment, ces fusils qui pétaradent, ces sons, cette musique et ces mots martelés, rien n’est plus vrai. « Est-ce qu’écouter c’est obéir? », se demande le Bureau de l’APA. S’il est vrai que nous ne pouvons nous isoler totalement des sons qui nous entourent, leur interprétation nous appartient totalement. Mais pendant combien de temps ? Métissé, fragmenté, mouvant, Les oiseaux mécaniques est un objet insolite, qui ne plaira pas à tous les publics, mais qui charmera assurément par son côté marginal et non-conformiste.