Transplanté d’un corps à un autre, un cœur (eh oui, un vrai !) nous raconte la vie de ceux qu’il a habité. Les artistes du Théâtre Incliné allient leur univers de marionnettes, de musique et d’ombres à la prose intrigante de Larry Tremblay pour créer l’Histoire d’un cœur, un spectacle pour adultes où le sens de la vie côtoie l’amour et l’hémoglobine.
Texte : Larry Tremblay
Mise en scène : José Babin
Interprètes : Pierre Limoges, Karine Gagnon, Alain Lavallée et Nicolas Letarte
Marionnettes et ombres : Alain Lavallée
Décor et éclairages : Éric Belley
Musique : Nicolas Letarte
Costumes : Thalie Savard
Finition et patine des marionnettes : Mélanie Charest
Assistance à la mise en scène : Marie-France Goulet
Stagiaire à la scénographie : Chloé Beaulé-PoitrasThéâtre Périscope (Québec)
Studio de création Marc-Doré
2, rue Crémazie Est, Québec
Réservation : (418) 529-2183
du 14 au 18 mars 2006
du mardi au samedi à 20h00Monument National (Montréal)
Studio Hydro-Québec
1182, boul. St-Laurent, Montréal
Réservation : (514) 871-2224
du 28 mars au 8 avril 2006
Du mardi au samedi à 20h30
par Magali Paquin
Un cœur, ça bat, ça vibre, ça toc toc toc et ça boum boum boum au gré des émotions de celui qui le porte. Ou de ceux qui le portent, dans le cas du cœur dont il est question dans cette pièce toute fraîche de Larry Tremblay, présentée en première mondiale dans le studio Marc-Doré du Théâtre Périscope.
Tel un personnage en soi, un cœur (Pierre Limoges) narre son existence, les hommes qui l’ont porté en eux et les femmes qu’il a côtoyées. Tout vêtu de rouge dans un décor teinté de gris et d’argent, il s’impose rapidement comme le personnage central de sa propre histoire. Le travail est exigeant pour le comédien, qui doit non seulement assumer la narration, mais aussi la voix des individus qui croisent sa route, représentés par des marionnettes. Ses complices de scène (Alain Lavallée, Nicolas Letarte et Karine Gagnon) manipulent quant à eux ces personnages aux allures aériennes, aux têtes détachées des corps. Bien que plutôt traditionnel, le maniement des marionnettes reflète des idées futées et donne lieu à des situations amusantes et incongrues, comme cette fameuse relation entre une chicha et une plante en pot… S’y joignent également, dans un heureux mariage, le théâtre d’ombre par lequel apparaît l’absence d’une mère, un castelet absurde ou des projections d’atmosphère, ainsi que des jeux sonores assurés en temps réel.
José Babin ne s’est pas empêtrée de changements de décors dans sa mise en scène, qui permet de se transposer dans divers lieux sans pour autant s’éloigner d’un environnement hospitalier. La lumière rouge de l’urgence se fait d’ailleurs toujours présente lorsque le cœur bat de l’aile. Mais s’agit-il de l’immobilité du visage des marionnettes, de la personnalité flegmatique du cœur assurant la narration ou encore des événements imaginés par l’auteur ? Il est difficile de se sentir interpellé d’une quelconque façon par les personnages et leurs péripéties. Amusant sans nécessairement faire rire, surprenant sans véritablement étonner, touchant sans émouvoir, on peut avoir l’impression de demeurer au neutre et de ne pas s’accorder au rythme de la vie du cœur. Un cœur dont on n’entend aucune pulsation, d’ailleurs, comme si l’on avait voulu évacuer cette caractéristique fondamentale de sa nature pour ne montrer que son enveloppe à visage humain.
Bien que cette production du Théâtre Incliné ne fasse pas battre les cœurs en chamade, elle n’en possède pas moins de belles qualités et ce, particulièrement au niveau scénographique. Le travail réalisé autour des formes multiples que peut prendre la représentation théâtrale est démontré par une maturité certaine dans l’utilisation des différents procédés, qu’ils soient marionnettes, jeux d’ombres ou expérimentation sonore. Il ne reste plus qu’à lui procurer une petite impulsion…
17-03-06
par Geneviève Germain
L’auteur Larry Tremblay nous a déjà habitués à ce genre de décompte. Sa pièce Les trois secondes où la Seine n’a pas coulé, présentée en janvier dernier au Théâtre d’Aujourd’hui, durait 55 minutes, ou 3333 secondes. Avec l’Histoire d’un cœur, il renouvelle ce rapport précis et particulier avec le temps en l’associant avec une autre cadence : celle des pulsations de la vie.
4235. C’est le nombre de battements qu’il reste au cœur de cette pièce avant de mourir. En effectuant un calcul rapide, si l’on part du fait que le cœur d’un adulte se contracte en moyenne 70 fois par minute, il lui reste donc environ une heure à vivre. Est-ce vraiment la durée de la pièce? Non, mais si on en retire la première scène, cela pourrait concorder. Peu importe, puisque le lien entre ce cœur qui bat, se débat, ralentit ou accélère et les minutes qui s’écoulent d’un même rythme est inévitablement accrocheur.
Ayant alimenté trois vies distinctes pourtant intimement liées, le coeur refuse de se laisser encore une fois « sauver » par l’équipe médicale. Il les supplie de le laisser s’éteindre tranquillement. Il leur offre, en contrepartie, de leur raconter une histoire, son histoire : l’improbable périple d’un cœur qui fut greffé à deux reprises. Ce n’est pas tant la vie de ce cœur que l’on découvre, mais plutôt celle des hommes qu’il a habités et des femmes que ces derniers ont côtoyées. L’histoire est déjà poétique. Imaginez qu’un même cœur ait orchestré, à coup d’oreillettes, de ventricules et de valves, la vie de trois personnes. C’est plutôt prometteur, non?
C’est d’ailleurs ce qui caractérise cette pièce : une incroyable faculté de faire appel à l’imagination et à la créativité. Cela se voit non seulement dans la beauté poétique du récit, mais aussi dans celle des jeux de mots, des jeux de gestes, des jeux d’ombres et de lumières. Alliant marionnettes, musique, ombres chinoises et mimes à un acteur-narrateur, la scénographie est déjà très riche. Peut-être même trop. Car bien que la recherche et le souci du détail soient apparents dans cette mise en scène de José Babin, le mélange des genres n’est pas toujours heureux. Il impressionne, certes, mais ouvre aussi parfois la voie à quelques longueurs.
Néanmoins, la présentation peut se targuer d’avoir un narrateur à la prestance et au talent renversants. Pierre Limoges empoigne le récit en se l’appropriant, tenant d’une main l’autre qui est gantée de rouge et recroquevillée en poing, représentant le cœur, lui-même étant également tout vêtu de rouge. Sur fond de tente médicale et d’appareillages médicaux, il raconte tout en prêtant sa voix aux autres personnages, chacun ayant sa propre tonalité, son propre accent. À ses côtés, maniant les marionnettes et les accessoires, Karine Gagnon, Alain Lavallée et Nicolas Letarte offrent des gestes fluides et précis à ces corps de chiffons découpés, lesquels laissent encore une fois place à l’imagination.
L’Histoire d’un cœur amuse par moments, suscite des sourires, éblouit nos sens, mais n’arrive tout simplement pas à nous toucher personnellement. Bien que la pièce sache séduire de par son aspect technique quasi-irréprochable et une histoire invraisemblable mais accrocheuse, elle tarde à faire réellement vibrer notre cœur.
29-03-2006