Texte : Larry Tremblay
Mise en scène : Francine Alepin
Assistance à la mise en scène : Isabelle Gingras
Distribution : Carl Béchard et Larry Tremblay
Une nuit, au beau milieu d’un sommeil engourdissant, Léo se réveille au déclic de son destin. Son lit, sa maison et même son propre corps conspirent à une obscure vengeance. Dans un délire physique et métaphysique, pimenté d’une ambiance à la Psychose, l’homme se déconstruit en perdant d’abord les dents, puis la langue, l’index, et la tête… Ensuite, de façon tout aussi inattendue, nous basculons dans la rue, au petit matin, alors que Léo rencontre son double Léø. Une véritable joute verbale s’ensuit, au cours de laquelle les deux antithèses s’affrontent, se consolent et exorcisent leur vide existentiel.
Omnibus nous offre un spectacle surprenant, réglé avec une adresse infi nie et porté par des acteurs à la gestuelle aussi précise que suggestive. Les deux courts textes de Larry Tremblay, Le déclic du destin et Le problème avec moi, lancent tout entiers leurs personnages sous les feux de la rampe; pas un fragment ne peut échapper à notre regard. Ils nous font découvrir un univers burlesque où l’homme se joue franchement de lui-même afi n d’échapper à la monotonie de sa vie.
Texte publié : Le problème avec moi, Lansman Éditeur (2007)
Le déclic du destin, Leméac Éditeur (1989)
Décors et lumières : Anick La Bissonnière et Martin Gagné
Costumes : Véronique Borböen
Musique : Jean-Frédéric Messier
Représentations du mardi au samedi à 20h sauf pour le 26 avril à 15h
Production Omnibus - Le corps du théâtre
Codiffusion Théâtre Périscope
Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie :418-529-2183
par Yohan Marcotte
Le problème avec moi à l'affiche au Périscope, présente deux textes (Le Déclic du destin, 1989 et Le problème avec moi, 2007) de Larry Tremblay interprétés par l'auteur lui-même, en compagnie de Carl Béchard. Sur scène, on peut voir d'abord un individu... fragmenté : Léo. Il se présente au public à travers le duo de comédiens.
Il s'agit d'un être profondément angoissé par le constat de la dégradation de son corps. Devant nous, il étale sa phobie avec gravité. On ne peut qu'être fasciné par la voix distanciée de Larry Tremblay dans cette ambiance créée par des éclairages froids et on ne peut trouver, pour tout réconfort, qu'un éclat de rire fracassant de-ci, de-là. Le texte, pouvant rappeler Beckett, insuffle un aspect cocasse à la peur par des invraisemblances amusantes. Il faut également souligner la gestuelle des deux complices qui se révèle très expressive et parvient dans cet univers stérile à nous réchauffer le cœur.
Si la première partie du texte présente en parallèle deux « morceaux » d'une même entité, au sens où le duo évolue dans un seul et même lieu sans jamais interagir ensemble volontairement, la seconde partie les présente en dialogue à l'avant-scène devant un rideau de douche géant. Les personnages y apparaissent tout à coup comme en aplat et ont une nouvelle parenté du côté du burlesque.
Les multiples références à Psycho de Hitchcock sont un point incontournable du spectacle. Le personnage, d'abord fasciné par la fameuse scène de la douche, se montre profondément intéressé par le meurtrier du film parce qu'il cherche à comprendre le dédoublement de personnalité de ce fameux personnage et trouve ainsi une sorte de modèle tordu pour mettre vainement en lumière sa propre réalité.
Une pièce autant intellectuelle que physique, bien que ce dernier ait raison du premier, qui nous fait profiter du travail de la compagnie Omnibus (et du même coup de Larry Tremblay sur scène), ce qui arrive si rarement dans la Vieille Capitale. Faites vite, en ville jusqu'au 2 mai 2009 seulement.
par Mélanie Viau
Un corps disloqué, dédoublé, clivé. Un corps objet se dissociant du moi dans une étrangeté somme toute inquiétante, un corps symptôme, psychotique et perdu dans les profondeurs de sa névrose déclenchée par une pâtisserie… une simple pâtisserie fourrée de crème. Une fois engloutie, Léo ouvre grand les yeux et son identité n’a plus de substance : ses membres le quittent un à un, le castrent et deviennent un autre, à l’idéal d’un autre, un personnage de fiction d’horreur, au destin des plus tordus. Issu d’une œuvre adolescente de Larry Tremblay, le personnage traverse l’écrit du Déclic du destin, se retrouve et se confronte à lui-même dans Le problème avec moi, s’incarne dans deux corps, devient objet malléable. L’immense mérite de la mise en scène proposée par Francine Alepin tient à cela : unifier les deux textes et les ficeler si fort au travers de la partition corporelle et de sa dynamique avec l’espace qu’ils deviennent immanquablement une seule et même trame, un mariage parfait du verbe et du geste qui conduit Léo aux confins d’une panique scopique. Indubitablement, Alepin signe un spectacle des plus impressionnants, articulé avec le plus grand soin, nous exposant avec force le pouvoir du corps sur scène, le pouvoir immensément dramatique que possèdent ici les deux acteurs en totale maîtrise de leur propre sémiotique. Stupéfiante dérision d’une angoisse névrotique qui vous tient du début à la fin dans une tension inébranlable.
Les premières images du spectacle installent les grandes lignes directrices : un geste calqué d’un film culte, geste-panique d’un bras derrière un rideau de douche, l’ultime finalité… Léo (Larry Tremblay) entre dans sa chambre, pièce construite en symétrie, suivi de Léø (Carl Béchard) qui entre à son tour, portant la moitié manquante du costume de l’autre. Au centre de la scène, un lit, foyer de l’inconscient du personnage au ton monotone, dépressif, au discours partagé entre les deux instances vocales, à la diction impeccable, irréelle. Les jeux d’entrées et de sorties des deux acteurs au physique étonnamment très semblable imposent un rythme étourdissant au monologue, créant des échos, des dédoublements à la pensée confuse, des images cauchemardesques pour l’œil effrayé de celui qui se pose en témoin de sa propre « mort ». Le décor, chambre sombre et stérile, constitue un médium parfait pour les éclairages, qui viennent à la fois moduler l’ambiance sinistre et accentuer les traits grossiers et épouvantés des visages aux yeux ronds. En deuxième partie, la salle de bain, suggérée préalablement derrière les deux portes de la chambre, apparaît matériellement au premier plan : un immense rideau de douche devient le fond sur lequel se détachent les deux Léo qui se rencontrent dans la rue, en allant au bureau. Enfin, le décor et les costumes (ceux-ci travaillés avec une justesse implacable par l’illustre Véronique Borboën) assurent le passage sans anicroches des personnages entre les deux pièces, dont la fin à la Hitchcock se pose inévitablement comme la conclusion logique des premières manifestations hystériques. Entourée d’une équipe dont la virtuosité n’est plus à prouver, Francine Alepin possède définitivement les outils pour créer un objet d’une intelligence remarquable, à l’esthétique soignée et au rendu dynamique des plus divertissants.
En plus de cette certaine teneur psychanalytique, où le physique, en maître, se détache du psychique pour le contrôler, il importe de bien mentionner que le spectacle dans son entier se pose avant tout comme une véritable partie de plaisir, où le public s’esclaffe de rire à tous moments devant un personnage auquel il est difficile, malgré nous, de ne pas s’identifier. Un moment de théâtre d’une profonde singularité. Enlevant. Cathartique.