887 est une incursion dans l'univers de la mémoire. Le spectacle prend naissance dans les souvenirs d’enfance de Robert Lepage. Des années plus tard, il plonge au cœur de sa mémoire et s’interroge sur la pertinence de certains souvenirs. Pourquoi se souvient-on du numéro de téléphone de notre jeunesse, alors qu’on oublie l’actuel ? Comment une ritournelle d’enfance traverse-t-elle le temps et demeure-t-elle entière dans notre esprit, alors que le nom d’un être cher nous échappe ? Pourquoi des informations futiles persistent-elles, alors que d’autres, plus utiles, se dérobent ?
Comment cette mémoire fonctionne-t-elle? Quels en sont les mécanismes? De quelle façon un souvenir personnel trouve-t-il écho dans la mémoire collective?
887 s’attarde également à diverses manifestations commémoratives : le nom des parcs, des rues, des monuments, de tout cet héritage patrimonial dans lequel on vit, mais que l’on ne voit plus. Logiquement, la pièce s’intéresse aussi à l’oubli, à l’inconscient, à cette mémoire qui s’efface avec le temps et dont les limites sont compensées par le stockage numérique, les montagnes de data, les mémoires virtuelles. Dans ce contexte inédit, qu’en est-il finalement de la pertinence d’une représentation sur scène, cette pratique fondée sur l’exercice de la mémoire ?
Toutes ces questions se distillent dans un récit où Lepage, quelque part entre le théâtre et la conférence, expose au spectateur les affres d’un comédien qui – par définition, ou pour survivre – doit se souvenir, d’abord du texte qu’il a dire devant nous, mais également de son passé, et de la réalité historique et sociale dont il hérite et où il s’inscrit.
Texte, conception, mise en scène et interprétation Robert Lepage
Crédits supplémentaires et autres informations
Conception et direction de création Steve Blanchet
Dramaturge Peder Bjurman
Assistance à la mise en scène Adèle Saint-Amand
Musique originale et conception sonore Jean-Sébastien Côté
Conception des éclairages Laurent Routhier
Conception des images Félix Fradet-Faguy
Collaboration à la conception du décor Sylvain Décarie
Collaboration à la conception des accessoires Ariane Sauvé
Collaboration à la conception des costumes Jeanne Lapierre
Speak White, poème © Michèle Lalonde 1968, utilisé avec l'autorisation de Michèle Lalonde.
Durée 2 heures
Tarifs : 85 $
Production Ex Machina
critique publiée en 2016
La mémoire personnelle au service du collectif
Robert Lepage présente ces jours-ci son spectacle solo 887, près de 10 ans après avoir joué Le projet Anderson. Si le vécu personnel de l’artiste est toujours très présent dans son travail, ce sixième solo est sans doute celui qui s’affiche le plus ouvertement autofictionnel. Prenant appui dans le Québec des années 1960 et 1970, Lepage met en parallèle son enfance et son adolescence dans la capitale avec la montée du mouvement souverainiste. Sous des allures de conférence sur son propre travail de création, Lepage fait découvrir son entourage au public, de sa grand-mère atteint de la maladie d’Alzheimer aux voisins de l’immeuble de six logements qu’il habitait lorsqu’il était petit.
C’est autour du fil conducteur de la mémoire que se tisse le spectacle, qui débute alors que Lepage doit apprendre le poème Speak White de Michèle Lalonde pour une soirée célébrant le 40e anniversaire de la célèbre Nuit de la poésie du 27 mars 1970. La difficulté que lui pose la mémorisation de ce poème de trois pages lui sert de prétexte pour s’interroger sur le fonctionnement de la mémoire. De quelle manière les souvenirs se hiérarchisent-ils dans notre esprit ? Qu’est-ce qui fait que l’on se rappelle parfois avec exactitude de détails anodins alors que des événements importants nous échappent?
En ancrant sa pièce dans un lieu très précis, soit le 887 avenue Murray à Québec, Robert Lepage utilise également la géographie de la capitale – notamment la toponymie des parcs, des rues et des bâtiments – comme prétexte pour revisiter l’histoire du Québec. Plusieurs documents d’archives s’insèrent d’ailleurs dans le spectacle, comme des photos anciennes de la jeunesse de son père, ou encore un extrait de la lecture du manifeste du FLQ à la télévision de Radio-Canada.
Dans ce spectacle, la mémoire individuelle de Lepage est constamment mise en parallèle avec l’histoire nationale. L'artiste semble incapable d’aborder les vingt premières années de sa vie sans établir un parallèle avec la situation sociopolitique de l’époque. C’est donc son regard d’enfant et d’adolescent sur l’histoire du Québec qui transparaît, alors qu’il démontre à quel point cette mémoire est défaillante et oublieuse, et ce, malgré les « Je me souviens » qui apparaissent sur les plaques d’immatriculation des voitures québécoises. Grâce à son père, chauffeur de taxi et soutien financier d’une famille nombreuse, Robert Lepage a toujours été très conscientisé aux luttes de classes qui faisaient des Anglais les patrons et des Français les ouvriers. En 1967, alors que Charles de Gaulle prononçait « Vive le Québec libre ! », il était présent au défilé à Québec, lors du trajet Québec-Montréal du général. Ce moment est d’ailleurs reconstitué grâce à une maquette dont les détails sont reproduits sur grand écran grâce à des manipulations de l’artiste avec son téléphone cellulaire. Ce procédé low tech ingénieux est réutilisé à plusieurs moments dans la pièce – que ce soit pour faire visiter les différents logements de son bloc appartement ou pour raconter un de ses Noëls passé à Château-d’Eau –, ce qui crée un contraste intéressant avec la complexité générale des manipulations de l’espace scénique qui constitue la marque de commerce de la compagnie Ex Machina. Rappelons que si Lepage semble apparaître seul sur scène, une dizaine de techniciens l’accompagnent toujours en coulisses.
À l’automne 2013, Lepage avait organisé une rencontre théâtrale à l’Anglicane de Lévis, afin de présenter les grandes lignes de son « nouveau spectacle solo ». Déjà à ce moment, l’essentiel de la pièce était déjà présent, que ce soit la scénographie qui oscille entre le low-tech et le high-tech, ou encore les souvenirs clés de son enfance qui ponctuent son récit. Ce travail de longue haleine transparaît dans la version du spectacle présentée au TNM, alors que le comédien, auteur et metteur en scène offre un spectacle abouti et parfaitement maîtrisé. 887 se présente donc comme une pièce authentique et intime, qui donne au public un miroir très juste de la société québécoise des années 1960 et 1970. C’est à une célébration poétique et pertinente de la culture du Québec que l’artiste nous convie.
Dates antérieures (entre autres)
Du 26 avril au 8 juin 2016 - TNM
Du 13 septembre au 8 octobre 2016, Trident
Du 23 octobre au 3 novembre 2018 - TNM
Du 19 novembre au 20 décembre 2019 - Le Diamant