Du 27 janvier au 14 février 2009, 19h30
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Liaisons dangereuses

Texte de Choderlos de Laclos
Adaptation et mise en scène de daniel paquette
Avec Pierre-Yves Cardinal-David, Isabelle Duchesneau, Frédéric-Antoine Guimond, Catherine Hamann, Louis Olivier Maufette, Milva Ménard et Chantal Dumoulin

Deux aristocrates brillants et spirituels, la marquise de Merteuil, exquise et dangereuse, et le séduisant vicomte de Valmon, signent un pacte d'inviolable amitié à la fin de leur liaison. C'est au nom de celui-là que la marquise demande à Valmont de séduire la candide Cécile de Volanges qui doit prochainement épouser son ex-favori, M. Gercourt. Mais Valmont a entrepris de séduire la vertueuse Mme de Tourvel.

Société Richard III

Fred-Barry - Caserne Létourneux
411, avenue Létourneux (angle Notre-Dame Est)
Métro Pie-IX, autobus 139 sud jusqu’à Notre-Dame
Billetterie : (514) 253-8974 ou réseau Admission (514) 790-1245

par David Lefebvre

« M. de Valmont n’est peut-être qu’un exemple de plus du danger des liaisons. »
- Présidente de Tourvel
« Je serai le dieu qu’elle aura préféré. »
- Valmont

Après le joli travail d’adaptation de Roméo et Juliette proposé par daniel paquette et la Société Richard III, le comédien-metteur en scène et la compagnie s’attaquent à un autre classique, plus littéraire cette fois-ci : Les liaisons dangereuses, de Pierre Ambroise Choderlos de Laclos. De Laclos, général d’armée, était aussi un écrivain amateur. Après quelques essais, dont l’Almanach des Muses et Ernestine, il voulut écrire quelque chose qui «sortait de l’ordinaire, qui ferait du bruit». Alors qu’il était posté à Île-d’Aix pour assister à la construction de fortifications contre les Anglais, il passa la plupart de son temps à écrire. Le résultat fut une bombe et un best-seller instantané. Les liaisons dangereuses, recueil de lettres fictives, explorait les intrigues amoureuses de l’aristocratie de l’époque. Malgré le succès remporté, il fut longtemps considéré comme un écrivain à scandale, tels le Marquis de Sade et Rétif. Pourtant, son écriture ne se complaisait jamais dans la débauche, et le libertinage qu’il exposait était plus intellectuel que sensuel.

L’adaptation de paquette reste assez fidèle au bouquin sur certains points, dont quelques extraits des lettres du récit original qui se retrouvent dans le texte, que les personnages-auteurs récitent aux spectateurs. La langue est aussi relativement intacte, conservant les préambules, la poésie et les emportées de certains personnages – une langue romancière du 18e siècle. Mais tout le reste est déconstruit, pour tenter de rendre vivants et crédibles sur scène ces gens de la haute société, et les placer en interaction. Premier changement notable : on transporte l’action à l’époque de l’entre-deux guerre. Un moment de l’histoire plus près de nous et plus facile à transposer, peut-être, que la richesse et la désinvolture du 18e, mais dont l’austérité handicape la nature libertine du récit. Le travail de paquette respecte le ton initial de de Laclos, en gardant ces sentiments plus intellectualisés que passionnels – on gagne, on perd, ce sont de petites guerres en salon clos, sans remords ni regret. Pour cette adaptation, on élague pratiquement tout ce qui peut référer à une sexualité débridée, sulfureuse, pour ne conserver que ces élans d’amour, ou au contraire, cette aversion à l’égard de celui-ci, considéré comme un déraisonnement. Une scène nous le prouve bien, entre Valmont et la naïve Cécile : alors qu’il doit la prendre dans son lit, la mise en scène se contente de démontrer les ébats que par quelques pas de danse jambes en l’air de la part de la demoiselle, sur de la musique style cancan. Toute allusion grivoise ou licencieuse est ainsi écartée. Ce qui cause problème : dans des lettres, ces petits moments sous-entendus sont des politesses de conversation, destinées à agrémenter la lettre, et cela est tout à fait correct, mais sur scène, l’absence de ceux-ci, non transposés en actes réels ou même sous-entendus, se fait cruellement sentir et rend le tout plutôt froid.

Malgré tout, le moteur de l’histoire reste la séduction, arme destructrice de Valmont et de la Marquise. Une arme qui tire à blanc : ici, personne ne semble être séduit. Encore moins le spectateur, qui peine à comprendre pourquoi tel personnage est si attaché à tel autre. Il manque de matière à ces élans passionnels, ces obsessions, ou ces manipulations véritablement machiavéliques qui projettent les protagonistes dans des tourments à rendre fou. Même cette fausse connivence entre Valmont et la Marquise manque de cynisme, d’ironie, et fonde leur relation sur une chose : la domination. Un sentiment qui se répercute finalement sur tous les personnages de la pièce : on domine ou on est soumis. L’homme prend la femme par derrière, elle s’effarouche puis succombe. Domination, soumission : jeu de séduction trop simple pour des liaisons si complexes.

Des questions s’imposent : a-t-on trop réfléchi sur ces personnages, trop voulu les laisser dans leur état littéraire, ou alors voulait-on mettre la pédale douce vu l’âge relativement jeune des spectateurs, qui prendront place dans la salle ?

En général, la troupe s’en sort pourtant assez bien. Louis-Olivier Mauffette incarne un Valmont ambigu, mais solide. On sent bien sa prestance, mais moins son côté hypocrite, manipulateur véreux. Valmont est d’ailleurs omniprésent sur scène, comme s'il occupait toujours les pensées des femmes de son entourage : une idée intéressante, mais mystérieuse quant à sa pertinence réelle. Catherine Hamann joue la Marquise de Merteuil avec la vengeance dans la peau. Avec un peu plus de grâce et de féminité, tout en conservant cet aplomb qui fait de la Marquise un personnage diabolique et rusé, elle placerait la Marquise à un niveau encore plus intrigant. Cécile de Volanges (Milva Ménard) oscille entre l’ingénue et l’innocence ; le Chevalier Danceny passe du professeur de musique à l’entraîneur de tennis. Pierre-Yves Cardinal-David, qui le joue, lui insuffle un côté intellectuel naïf maîtrisé. Isabelle Duchesneau incarne la belle Présidente Tourvel avec pureté et résistance, déchirée entre ses convictions puritaines et ses sentiments pour le Vicomte, comme le demande son personnage. Chantal Dumoulin joue Madame de Volanges, la mère de Cécile, avec panache – ses robes sont les plus colorées de la pièce. Frédéric-Antoine Guimond rend Madame de Rosemonde, la tante de Valmont, terriblement sympathique. Il donne de la chair à ce personnage, et permet d’insérer dans la pièce quelques instants de comédie. Tout se joue dans un décor nu : seuls quelques meubles, des chaises surtout, se dispersent ici et là selon l’endroit où se passe la scène.

Le livre de de Laclos a connu quelques adaptations fort réussies. Comment oublier Glenn Close dans Dangerous Liaisons de Stephen Frears, ou même le quatuor Ryan Philippe-Sarah Michelle Gellar-Reese Witherspoon-Selma Blair dans Cruel Intentions ? Celle de daniel paquette, quoi qu’audacieuse et proposant quelques bons éléments, manque de magnétisme, de tension, et glisse dans un style classique un peu figé, qui s’est pris au piège lui-même.

30-01-2009

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