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Du 8 au 26 septembre 2015
GareRendez-vous Gare de l'est
Texte et mise en scène Guillaume Vincent
Avec Emilie Incerti Formentini

Une femme dans la trentaine évoque sa vie, son mari Fabien, son travail, et ses allers-retours à l’hôpital psychiatrique. Consciente de sa bipolarité, elle témoigne de son état. Rendez-vous gare de l’Est est le récit quasi documentaire de six mois d’une vie sous l’influence des médicaments. Au centre de ce récit, ce n’est pas la maladie qui règne, c’est cette femme lucide, au regard profond, drôle, vivante, qui nous observe et nous envoûte de toute son humanité. Émilie Incerti Formentini rompt presque avec la fiction tant elle incarne littéralement cette jeune femme. La pièce intimiste du metteur en scène Guillaume Vincent se dépose pour quinze soirs à Montréal après Avignon et une tournée de nombreux théâtres français.


Dramaturgie Marion Stoufflet
Concepteurs Laure Duqué, Géraldine Foucault, Marianne Griffon,
Niko Joubert, Muriel Valat et Guillaume Vincent

Émilie Incerti Formentini était en nomination le printemps dernier à la 27e  nuit des Molières. 

Mercredis causerie après la représentation - 9-16-23 septembre

Durée :1h

Une production Cie Midiminuit (Romainville, France) avec le soutien de l'Institut français


Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

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Critique

Crédit photo : E.Carecchio

Sur la scène de la salle Fred-Barry, le théâtre et la santé mentale font corps avec sobriété dans Rendez-vous gare de l’Est. Pourtant, le mariage entre la réalisation scénique et la salle rend parfois l’expérience ardue, mais également très salutaire.

Lors d’un voyage à Avignon, le metteur en scène et nouveau directeur du théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant, a grandement apprécié la pièce écrite et dirigée par Guillaume Vincent. Il a invité celui-ci, tout comme l’interprète du quasi-monologue Emilie Incerti Formentini, pour un séjour à Montréal. En regardant et surtout en écoutant la production aux moyens économes, on peut facilement comprendre son intérêt pour une création qui tente de disséquer avec poésie les fondements de la bipolarité.

La maladie mentale constitue un matériau riche pour quiconque sait extirper toute la substance d’une réalité dramatique, qui, malgré le recul des préjugés, se révèle encore souffrante pour les individus atteints. Elle a été traitée dans différentes œuvres, entre autres brillamment dans deux longs métrages sur la vie de Camille Claudel (avec respectivement Isabelle Adjani et Juliette Binoche) et les troublantes chansons de Brigitte Fontaine (Folie) ou Diane Dufresne (Le 304). Dans son traitement du sujet, Guillaume Vincent se démarque dans Rendez-vous gare de l’Est par ses échos évocateurs plutôt que dans une démonstration agressive.

Durant l’heure sans entracte, nous entendons les confidences d’une femme trentenaire, qui tente de surnager dans les affres causées par sa bipolarité. Prénommée Émilie, la courageuse héroïne nous raconte son quotidien avec ses hauts et ses bas, dont sa relation tumultueuse avec son mari Fabien.

Pour mener à terme cette expérience théâtrale, pour qu’elle colle au plus près de la réalité, Guillaume Vincent a interrogé une dame atteinte véritablement de ce mal. Il devient en quelque sorte un documentariste qui approche sa caméra au plus près de son sujet. Son regard de l’intérieur cerne les enjeux autour de ce diagnostic plus courant qu’on ne le croit. Dans le récit, les conséquences de la maladie sont bien rendues, surtout dans les pertes de cohérence d’une phrase à l’autre et dans le basculement extrême des émotions, passant de la joie à la colère et l’abdication.

Fort heureusement, l’orchestrateur de ce tableau intimiste laisse chacun des sentiments se déployer sans trop forcer la note ou sans trop expliciter sur les jargons de la psychiatrie. Rarement se sent-on prisonnier d’un traitement trop clinique, à l’exception des lumières de la salle qui ne s’éteignent pas immédiatement au début de la représentation.

Une parole aussi personnelle bénéficie beaucoup de la présence et de la justesse d’Emilie Incerti Formentini, nommée pour un prix à la Nuit des Molières. Présente sur la scène même avant notre arrivée, l’actrice porte dans toutes les parois de sa peau les états d’âme de cette fille au même nom qu’elle. Le  choix dramaturgique de Vincent renforce l’identification entre le rôle et son «exécutante», en plus de brouiller les frontières entre la fiction et le monde véritable. Avec sa robe verte foncée, son visage grave et sa chevelure retenue par un chignon, l’artiste joue sa partition très linéaire dans une grande sobriété qui s’accompagne d’une retenue dans chacun de ses gestes. Les intonations de sa voix tendent davantage vers le chuchotement que vers la déclamation rageuse, rendant ainsi plus vraisemblables les quelques montées dramatiques présentes surtout dans les dernières minutes de la représentation. Par le feu grondant qui bouillonne à l’intérieur avant de se propulser, la comédienne européenne évoque le tempérament de certaines de nos interprètes féminines comme Dominique Quesnel. Sa voix domine le plateau sans accompagnement sonore à l’exception d’un court extrait musical de Love is like a butterfly de Dolly Parton, peu de temps avant la chute finale.

Pour apprécier un théâtre de la proximité mélangeant les secrets et la cruauté, la disposition scénique doit faciliter l’audition attentive propice à ce Rendez-vous gare de l’Est. Malheureusement, l’aménagement de la salle Fred-Barry, généralement idéale pour des propositions artistiques où la parole occupe une place prépondérante (comme dans Victor Hugo mon amour ou L’énigme Camus –une passion algérienne au même endroit l’an dernier), est là où le bât blesse. Le public peut par moment se sentir ici étrangement loin des enjeux du récit et des propos étendus tout au long de l’histoire. Sur le plateau dépouillé des rideaux et d’accessoires à l’exception d’une chaise, quelques déplacements et quelques cris brisent le statisme. De plus, la disposition des sièges en gradins accentue la distance. Un rapprochement physique entre l’actrice et l’auditoire aurait permis de mieux goûter et d’apprécier à sa juste valeur une telle expérience.

«Dis tout sans rien dire», fredonnait Daniel Bélanger sur l’album Rêver mieux. Dans cet esprit, le Rendez-vous gare de l’Est réussit à exprimer beaucoup de choses sans trop hausser le ton. Ses artisans ne nous convoquent pas à un échange facile, mais laissent par contre dans notre mémoire des traces significatives d’une rencontre engageante.

16-09-2015