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Du 9 novembre au 7 décembre 2016
Dates public (en soirée) : 10, 11, 17, 18, 19, 22, 24, 25, 26 novembre, 1er et 2 décembre - supplémentaire 9 décembre 20h
1984
Texte George Orwell
Nouvelle adaptation de Robert Icke et Duncan Macmillan
Traduction Guillaume Corbeil
Mise en scène Édith Patenaude
Avec Véronique Côté, Jean-Michel Déry, Maxim Gaudette, Éliot Laprise, Justin Laramée, Alexis Martin, Claudiane Ruelland et Réjean Vallée

Dans un régime dirigé par Big Brother, Winston Smith est chargé de réécrire l’Histoire dans le cadre de son travail au ministère de la Vérité. Il demeure à chaque instant susceptible d’être traqué par la Police de la Pensée. Malgré cela, il tente de comprendre la motivation de la dictature totalitaire mise en place. Il commence à écrire un journal afin de laisser une trace de la vérité. Amoureux de Julia, il rêve comme elle, d’un soulèvement. Tous deux croient fermement à cette Fraternité de résistants que dirige clandestinement le charismatique O’Brien.

O’Brien est-il le seul espoir pour que Winston échappe aux châtiments, prix à payer pour ses crimes envers le Parti ?

Cette adaptation théâtrale de 1984, d’une redoutable efficacité, tire le suc du roman culte de George Orwell. Elle met en évidence la société de surveillance, la réduction des libertés individuelles mais aussi tous les mécanismes mis en place par l’homme pour cadenasser la pensée. Présentée la saison dernière au Théâtre du Trident, 1984 a reçu de la presse et du public un accueil fort éloquent.


Section vidéo


Scénographie Patrice Charbonneau-Brunelle
Costumes Karine Mecteau-Bouchard
Lumières Jean-François Labbé
Conception sonore Mykalle Bielinski
Vidéo Louis-Robert Bouchard
Caméra sur scène Éliot Laprise
Assistance à la mise en scène Caroline Boucher-Boudreau
Crédit photo TDP

Durée : 2h05 avec entracte

Rencontre avec les artistes après la représentation : 19 novembre

Coproduction Théâtre Denise-Pelletier et Théâtre du Trident


Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : 514-253-8974

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Dates antérieures (entre autres)

Du 3 au 28 novembre 2015 - Trident (Québec)

 
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Critique

«Big Brother vous regarde». Cette phrase, ou plutôt cet avertissement, a marqué des millions de lecteurs à travers le monde depuis des décennies. Dans la transposition du célèbre roman 1984 de l’écrivain George Orwell, considéré par certains comme le livre le plus important du 20e siècle, la coproduction du Théâtre Denise-Pelletier et du Théâtre du Trident de Québec provoque de nombreux frissons de frayeur.






Crédit photo : Stéphane Bourgeois

Lors de l’avant-première montréalaise, l’actualité collait directement au propos disséqué tout au long de l’œuvre aux accents prophétiques. La nuit précédente, le milliardaire Donald Trump remportait la présidentielle américaine dans un climat d’incertitude. Parmi les spectateurs se trouvait le chroniqueur Patrick Lagacé (qui a eu droit à un selfie d’un admirateur) qui aurait été «surveillé» par le Service de Police de la ville de Montréal (SPVM), tout comme d’autres journalistes récemment.

Publié en 1949 peu de temps avant le décès de l’auteur, 1984 a connu rapidement un immense succès. Il constitue un plaidoyer contre le totalitarisme et contre notre passivité susceptible d’entraîner des régimes de terreur sur les plans physiques et idéologiques. Pendant un peu moins de deux heures très rythmées, nous faisons la connaissance de Winston Smith. Sa principale tâche consiste à réécrire l’Histoire au ministère de la Vérité. Le régime se trouve sous l’emprise de Big Brother qui surveille tous les individus avec sa Police de la Pensée. Le jeune homme s’interroge sur les effets du totalitarisme où toute liberté de pensée ou de dissidence n’existe pas. Il rencontre l’amour en la personne de Julia, avec laquelle il rêve d’un soulèvement. Pourtant, des forces maléfiques scrutent chaque parole et chaque geste…

La version théâtrale traduite par le dramaturge Guillaume Corbeil (Cinq visages pour Camille Brunelle) expose toute la cruauté d’un monde où le langage a perdu de sa force subversive et de sa bataille contre l’ignorance. La novlangue, rendue célèbre grâce à l’œuvre, se répercute aussi dans l’appauvrissement de la pensée intellectuelle. Les répliques, où l’un des collègues de Smith vante les actes de délation de son fils de sept ans (avant que ce dernier ne cause la perte de son père), donnent froid dans le dos.

La mise en scène d’Édith Patenaude confère à l’ensemble une tension palpable du début à la fin. En introduction, la discussion, où un groupe vante les mérites du bouquin, lien direct avec les annexes de 1984, n’est pas inintéressante, mais reste superflue. Pourtant, lorsque l’intrigue commence réellement, la sensation de danger ne flanche pas une seconde. L’enchaînement des lieux, dont la cafétéria où se rencontrent les travailleurs et où débute l’idylle entre Winston et Julia, la boutique de l’antiquaire ou encore les séquences d’interrogatoires musclées, se déroule rondement. La présence des écrans et des caméras qui scrutent en gros plan les visages accentue cette sensation d’envahissement, tout comme ces éclairages souvent aveuglants et inconfortables.

Parmi les passages les plus saisissants, mentionnons les ébats charnels du protagoniste avec son amante et les flashbacks émouvants avec sa mère disparue tragiquement sans aucune explication. Mais rien n’équivaut au choc ressenti lorsque Winston subit la torture par ses bourreaux. Ceux-ci l’assoient de force dans un fauteuil avant de commettre les pires atrocités, comme un écho à une scène similaire dans le tout aussi célèbre Orange mécanique de Stanley Kubrick. Le dénouement se révèle touchant, alors que Winston se retrouve au «pays doré» dont il rêvait avant la dictature de Big Brother. Il illustre parfaitement la jonction entre un avenir réalisable et les moments plus lumineux du passé antérieur aux événements tragiques. Car derrière les horreurs exposées, se dissimulait chez Orwell un espoir d’un monde plus libre et véritablement fraternel (adjectif détourné d’ailleurs de son sens à plusieurs reprises par le renégat O’Brien). La production bénéficie d’une conception sonore d’une redoutable efficacité dans l’expression du sentiment d’étrangeté qui ponctue sans cesse l’action.   

Les interprètes s’imprègnent avec intensité de la costaude partition. Dans le rôle principal, Maxim Gaudette insuffle tout le désespoir et la fragilité d’un être torpillé peu à peu par le système et qui cherche une échappatoire à ce monde sans issue. La justesse de son Winston Smith impressionne grandement tout autant que celle du despote O’Brien, rendu par un Alexis Martin qui expose ici le raffinement propre aux dangereux manipulateurs. La Julia de Claudiane Ruelland demeure crédible, comme le reste de la distribution, soit Jean-Michel Déry, Eliot Laprise, Justin Laramée, Véronique Côté et Réjean Vallée.

«Mais si le but poursuivi était, non de rester vivant, mais de rester humain», peut-on lire dans 1984. Dans cette adaptation de l’emblématique réquisitoire contre tous les états despotiques obsédés par la sécurité et l’espionnage de ses citoyens, Édith Patenaude et son équipe nous tendent un miroir implacable de notre société sans cesse à l’affût de dérives dangereuses quant à nos libertés individuelles et collectives.        

11-11-2016

critique publiée en 2015


Crédit photo : Stéphane Bourgeois

Loi C-51. Edward Snowden. Dépendance à l’écran télé, de l'ordinateur ou des téléphones intelligents. GPS qui nous suit partout. Déstructuration et appauvrissement du langage causés, entre autres, par les SMS. Télé-réalité. Propagandes sur Internet. Système de sécurité étendu et envahissant - une caméra de surveillance pour 15 habitants en Angleterre. Le récit dystopique 1984 de George Orwell, que l’on pouvait qualifier encore récemment de roman pionnier de la science-fiction moderne, quitte de plus en plus son côté fantastique pour s’approcher étrangement d’une certaine réalité contemporaine. Il s’impose de plus en plus comme l’avertissement qu’Orwell dédiait à ses compatriotes, en 1949 : inquiété, entre autres, par le système soviétique, le Parti Unique et les camps de rééducation, marqué par la Deuxième Guerre mondiale, Orwell avait imaginé ce conte philosophique pour mettre en garde les gens contre le totalitarisme de l’époque. Aujourd’hui, 1984 fait partie de la culture populaire et s’avère, par ses thèmes et ses théories, terrifiant d’actualité. Ce n’est plus une lubie, Big Brother is watching.

En coproduction avec le Théâtre Denise-Pelletier, le Trident frappe un grand coup en présentant en première mondiale une percutante adaptation de 1984, signée Robert Icke et Duncan Macmillan, génialement traduite par Guillaume Corbeil. L’une des plus brillantes idées de cette adaptation est de mettre en contexte le récit du roman dans sa propre ligne du temps. On se retrouve plusieurs années après la mort de Winston Smith, où des lecteurs discutent du livre avec beaucoup d’émotion. Smith semble exister dans ce monde en même temps que dans le sien, faisant le pont entre la pseudo-réalité du bouquin et celui du futur ; une utilisation d’une rare intelligence des appendices du livre intitulé « Les principes du novlangue », la réelle fin du livre, qui décrit peut-être le sort du monde après la mort de Smith, si l’on sait lire entre les lignes.


Crédit photo : Stéphane Bourgeois

La mise en scène d’Édith Patenaude, qui donne quelques sueurs froides, est d’une redoutable efficacité : elle place le spectateur dans une situation d’hyper passivité, lui faisant avaler tout ce qu’elle veut bien lui montrer. Durant presque toute la représentation, les scènes sont captées par une caméra et retransmises sur écran géant au-dessus de la scène. Comme de nombreux moments sont joués loin du public, en retrait ou cachés, ces images sont le seul lien possible entre les acteurs et la salle. L’idée colle totalement au récit, créant une relation de voyeurisme exacerbé et une distance non négligeable entre les spectateurs et les personnages ; une certaine apathie s’installe dans l'auditoire, qui se disloque, explose et disparaît entièrement lors des scènes de torture, en avant-plan, à la fin de l’histoire. Louis-Robert Bouchard à la conception vidéo, Larry Rochefort à la direction photo et Eliot Laprise qui manipule la caméra font un travail extraordinaire : il y a une réelle qualité cinématographique qui se déploie sur grand écran, avec de superbes plans de caméra, éblouissant (et trompant) l’œil du spectateur attentif - impossible de quitter des yeux cet écran qui magnifie les gestes des personages. La scène est plongée dans une pénombre pesante et mystérieuse, métaphore de l’aveuglement des humains dans cette société endoctrinée. Mais sans lumière, point d’image : la retransmission vidéo est donc possible grâce aux éclairages de Jean-François Labbé, qui utilise des projecteurs pour isoler les personnages et les extirper doucement de la noirceur, ou de puissants néons verticaux qui créent un effet futuriste saisissant, aveuglant la salle lors de moments plus intenses.   


Crédit photo : Stéphane Bourgeois

La scénographie de Patrice Charbonneau-Brunelle offre trois espaces distincts : côté jardin, une longue table de type cafétéria où se rencontrent Winston et les camarades Syme et Parsons ; au centre, un espace vide, avec quelques colonnes qui semblent soutenir l’énorme écran, qui se transformera en chambre secrète, lieu de rendez-vous pour les ébats interdits de Julia et Winston ; côté cour, des étagères de métal, recréant sommairement la boutique de l’antiquaire où Winston trouve son journal et une boule de neige musicale, fragment d’un passé maintenant disparu, oublié. La musique électro de Mykalle Bielinski (Photosensibles), qui rappelle parfois les trames sonores de films de science-fiction à la Blade Runner, appuie avec efficacité le rythme parfois suspendu, parfois tendu, de la pièce.

Maxim Gaudette endosse d’admirable façon le rôle de Winston Smith ; d’abord doutant, puis persuadé de sa haine envers le Parti, on le sent toujours décalé, entre le rebelle qu’il devient et l’être fantomatique, en marge de sa société, désireux de laisser une marque du passé aux générations futures - une idée interdite par la Police de la Pensée, qui torture et tue les compatriotes qui osent réfléchir (ainsi). Claudiane Ruelland joue une Julia vivante, inspirante, résistante, qui veut jouir de la vie. Alexis Martin est diablement parfait dans les habits d’O’Brien : peu d’acteurs auraient pu incarner avec autant d’élégance et d’intransigeance ce personnage calculateur et sans cœur, à la rhétorique implacable, totalement dédié au Parti. Véronique Côté, Jean-Michel Déry, Eliot Laprise, Justin Laramée et Réjean Vallée complètent joliment la distribution.

Sommes-nous libres, comme Winston n’a jamais pu l’être, ou sommes-nous devenus esclaves d’un système qui n’a que changé d’apparence ? En jouant avec les éléments du livre culte d’Orwell, dont la perception de la réalité et de la vérité, la pièce pousse encore plus loin les interrogations qui sont au cœur du roman ; cette version de 1984 s’avère des plus réussies et aurait certainement plu à l’écrivain anglais.

06-11-2015