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Du 15 mars au 8 avril 2017
Dates public (en soirée) : 16, 17, 23, 24, 25, 31 mars, 1er, 6, 7, 8 avril 20h, samedi 16h
L'avare
Texte Molière
Mise en scène Claude Poissant
Avec Simon Beaulé-Bulman, Jean-François Casabonne, Samuel Côté, Sylvie Drapeau, Laetitia Isambert, Jean-Philippe Perras, Bruno Piccolo, François Ruel-Côté, Gabriel Szabo et Cynthia Wu-Maheux

« Que diable toujours de l’argent ! Il semble qu’ils n’aient rien d’autre à dire, de l’argent, de l’argent, de l’argent. Ah ils n’ont que ce mot à la bouche, de l’argent ! Toujours parler d’argent ! » - Harpagon

À leur père Harpagon, Cléante et Elise cachent leurs amours. Elise, celui de Valère qui s’est fait engager auprès d’Harpagon pour se rapprocher d’elle. Cléante, celui de Marianne qui vit auprès de sa mère. Chacun redoute les foudres paternelles, mais les obsessions de cet avare vont frapper de stupeur sa progéniture. Il veut marier la jeune Marianne pour redonner des couleurs à son veuvage et souhaite faire épouser à Elise et à Cléante de riches prétendants pour ajouter à ses économies. Ce coup de théâtre réussit à liguer toute la maison contre lui, même l’intrigante Frosine qui use de toute sa ruse pour contrer les projets d’Harpagon. Mais qui est réellement Harpagon ?

Si l’avarice n’était qu’un petit symptôme d’un monde individualiste, si l’égoïsme, la manipulation, le cynisme et le mépris étaient tout aussi viraux, Harpagon serait-il un éternel immature aigri par le temps ou un lucide homme d’affaires plus joueur que bête ?

Jouée pour la première fois au Théâtre du Palais-Royal à Paris en 1668, trois ans après que Molière obtint une pension de Louis XIV, L’Avare, pièce en prose et personnage sombre, suscite peu d’engouement. Le temps en décide autrement et en fait une de ses œuvres incontournables. Claude Poissant relit L’Avare avec toute sa bande de créateurs et invite Jean-François Casabonne à réinventer l’immortel Harpagon.


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Assistance à la mise en scène et régie Alain Roy
Scénographie Simon Guilbault
Conception sonore Laurier Rajotte
Costumes Linda Brunelle
Lumières Alexandre Pilon-Guay
Assistance aux costumes Virginie Thibodeau Urbain 
Stagiaire à la production Maria Carvajal 
Conceptrice : Caroline Laurin-Beaucage
Crédit photo TDP

Durée : à venir

Rencontre avec les artistes après la représentation : 25 mars

Production Théâtre Denise-Pelletier


Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : 514-253-8974

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Critique

Comme certaines traditions qui ne se perdent pas avec le temps, la présence de Molière sur les scènes québécoises perdure année après année. S’inscrivant dans la mouvance actuelle des relectures plutôt inusitées des œuvres de Jean-Baptiste Poquelin, L’Avare monté par Claude Poissant au Théâtre Denise-Pelletier s’avère une stimulante expérience. 




Crédit photos : Gunther Gamper

Fin septembre 2016, Denis Marleau transposait les personnages et l’action de Tartuffe au cœur de la Révolution tranquille au Théâtre du Nouveau Monde. Précédemment au Rideau Vert, Michel Monty avait logé la faune autour du Misanthrope dans un luxueux hôtel du Vieux-Montréal. Pour la présente production de cet Avare très éloigné de son contexte initial, Poissant a aussi situé l’intrigue à une époque plus contemporaine, mais sans l’ancrer dans une décennie précise. 

Créée à Paris en 1668, la pièce en prose (et non en vers, ce qui l’a empêché alors de connaître une renommée immédiate) est qualifiée par certains de franche comédie, en plus d’avoir même suscité l’opprobre de Jean-Jacques Rousseau par ses aspects «immoraux». Les spectatrices et spectateurs familiers avec les univers du probablement plus célèbre dramaturge français reconnaîtront immédiatement les thèmes de l’appât du gain financier, du besoin d’élévation et de reconnaissance sociale, tout comme les oppositions entre l’amour véritable et les mariages arrangés par les figures paternelles. Pendant près de deux heures sans entracte, L’Avare tourne autour d’Harpagon (Jean-François Casabonne), un être obsédé par les billets de banque («ses écus») qui craint sans cesse que ses proches tentent de le voler. Ses deux enfants, Cléante (Simon Beaulé-Bulman) et Élise (Laetitia Isambert) lui cachent leurs passions respectives; elle pour Valère (Jean-Philippe Perras), un prétendant qui s’est engagé auprès de son père pour se rapprocher d’elle, lui pour la douce Marianne (Cynthia Wu-Maheux). Or, le protagoniste s’est également entiché de cette dernière et préfère de riches partis pour sa progéniture. Celle-ci reçoit heureusement l’aide de la mystérieuse Frosine (Sylvie Drapeau) qui cherche à déjouer les plans de ce sombre Harpagon, «cet odieux vieillard» aux pulsions tyranniques. Car comme le lance l’entremetteuse à Marianne: «il vous aime fort, je le sais, mais il aime un peu plus l’argent.»  

Très à l’aise à dépoussiérer certains classiques du répertoire (dont les très appréciés On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset ou encore Marie Tudor de Victor Hugo au même endroit), Claude Poissant s’est permis ici une audace supplémentaire. Plutôt que de recourir à une prononciation plus «soutenue» comme une certaine tradition l’exige, le metteur en scène a préféré utiliser l’accent québécois (sans trop tendre toutefois vers le joual ou une diction trop relâchée). Récemment, le polyvalent Olivier Morin a privilégié également une langue aussi décomplexée pour son Peer Gynt d’Henrik Ibsen au Théâtre de Quat’sous. Ce choix artistique se défend ici en général assez bien, en raison du naturel de la troupe. Toutefois, certaines répliques perdent de leur force et demeurent inaudibles. Par ailleurs, le jeune auditoire a vivement réagi du début à la fin, surtout lors des allusions plus polémiques sur certaines personnes mentionnées dans l’histoire. 

L’une des grandes forces de cet Avare se traduit surtout dans le jeu très corporel des interprètes, puisant autant dans des eaux comiques que plus sombres. Les réactions fusent lorsqu’Harpagon frappe au visage l’un des personnages, ou encore lorsqu’il agrippe férocement La Flèche, le valet de Cléante (Gabriel Szabo). Ce passage d’une violence plus «virile» évoque la confrontation entre les deux hommes de Tom à la ferme de Michel-Marc Bouchard, l’une des meilleures réalisations de Poissant. Ailleurs, des scènes plus légères permettent aux «jeunes» acteurs de démontrer une virtuosité physique, entre autres lors de petites séquences chorégraphiées, bonnes, mais parfois anecdotiques. Aussi diversifiés soient-ils, les nombreux registres se mélangent dans un ensemble cohérent sur un plateau baigné par des éclairages somptueux d’Alexandre Pilon-Guay et une musique originale de Laurier Rajotte inspirée d’airs de Schubert.

Comme pour ses précédentes exécutions scéniques, le metteur en scène peut compter sur une distribution fougueuse. Dans la peau de l’avare, Jean-François Casabonne s’impose en despote raffiné, mélange de manipulation subtile et de crainte de perdre ses sous. Sa prestation rappelle tous ces affairistes prêts à bien des bassesses pour préserver leur prestige. En Frosine, sa principale adversaire aux réparties cinglantes, Sylvie Drapeau révèle un magnifique aplomb par sa grâce et ses tenues vestimentaires qui semblent sorties d’un exemplaire des magazines de mode Vogue ou Harper’s Bazaar des années 1960. Son sens de la comédie succède à sa prestation allumée dans La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, récemment au Rideau Vert. Cette aisance se déploie parmi leurs partenaires, surtout chez Gabriel Szabo (d’une drôlerie cabotine), chez Samuel Côté (un Maître Jacques ratoureux), ou encore dans le jeu élégant de Simon Beaulé-Bulman et de Cynthia Wu-Maheux.

Par contre, le dénouement déçoit par son traitement précipité et son allure cacophonique. Autrement, à l’exception de légers accrocs, cette recréation de L’Avare de Molière comble autant nos sens que notre intellect.

23-03-2017