TROIS ! : 3 auteurs, 3 courtes pièces, 3 contraintes, 3 duos et un 3e personnage. Que se passe-t-il quand un duo se transforme en trio ?
3 X deux individus existent quelque part. Pour composer ces duos de départ, nous avons fait appel à Diane Lavallée et Élisa Compagnon, Philippe Lambert et Philippe Martin, Delphine Bienvenu et Yann Tanguay.
Un troisième individu arrive et perturbe la dynamique. Il y a troisième, il y a mouvement. Les choses et les individus changent. Pour interpréter ce troisième personnage, Benoît Dagenais se joint à chacun des duos.
TROIS !, c’est une (non) conversation entre une mère et une fille quand un boucher à neuf doigts fait résonner la sonnette de porte nouvellement réparée. TROIS !, c’est aussi un homme donnant du plaisir et des organes avec une générosité exemplaire qui se voit confronté à un don ultime. Et TROIS! c’est aussi une clinique où trois êtres explosent et exposent leurs drames dans un dialogue de sourds étrangement uni.
TROIS! c’est une tragédie de Louis-Dominique Lavigne, une comédie de Pascal Lafond et un drame de Marie-Ève Gagnon, dans une mise en scène de Stéphane Saint-Jean.
En 2003, le Théâtre du Désordre lance sa première production professionnelle : Douze(12). Présentée à la Petite Licorne, cette création regroupe 12 monologues écrits pour l’occasion par 9 auteurs. Repris en 2004 dans une version améliorée, Douze(12) connaît un vif succès auprès du grand public et des médias. S’ensuit une tournée des Maisons de la culture de Montréal. TROIS! s’annonce comme le prochain succès de cette jeune compagnie qui a le vent dans les voiles !
Auteurs
Marie-Ève Gagnon, Pascal Lafond, Louis-Dominique LavigneIdée originale et coordination artistique
Yann TanguayMusique
Stéphane AudetDécor, costumes et accessoires
Isabelle FilionLumières
Martin GagnéDistribution
Diane Lavallée et Élisa Compagnon, Philippe Lambert et Philippe Martin, Delphine Bienvenu et Yann Tanguay.
Benoît DagenaisConception et production Théâtre du Désordre
Codifussion Espace LibreDu 5 au 23 septembre 2006
Billetterie : 521-4191
par David Lefebvre
Jamais d’eux sans trois
Que signifie, pour vous, le chiffre 3? Que représente-t-il? Certains diront que le trois fait le mois, d’autres que c’est le chiffre de la décision (puisque aucune égalité possible, il y a forcément majorité), le mystère, l’imprévu, une règle tacite, les temps d'une valse, trois points de suspension. Pour le Théâtre du Désordre, c’est maintenant un spectacle, où trois auteurs se sont réunis pour imaginer de courtes pièces sur la dynamique particulière du “trois”. Ils avaient par contre certaines contraintes : ils devaient piger les noms des comédiens, le genre et l’objet influent de leur récit (roche, papier, ciseau). Puis, ils devaient créer chacun de leur côté un troisième personnage qui prendrait forme en collant certaines caractéristiques trouvées et qui serait présent dans les trois histoires. Louis-Dominique Lavigne, Pascal Lafond et Marie-Ève Gagnon ont répondu à l’appel de la création avec un plaisir certain.
Et où tout cela nous mène-t-il? Vers un spectacle hybride, hétérogène mais balancé, présentant un drame, une comédie et une tragédie, tout en maintenant une ligne directrice et commune grâce à ce fameux troisième personnage qui brise, ou plutôt, qui vient changer ou perturber la dynamique d’un duo. Celui-ci est interprété (dans les trois textes) par l’excellent Benoît Dagenais, qui arrive à jouer avec beaucoup de saveur et même une certaine profondeur ce “boucher végétarien, aimant les très jeunes filles mais généreux de sa personne et de son argent”. C’est la tragédie de Louis-Dominique Lavigne qui part la danse, avec un texte intitulé “Non bon oui non non bon!”. Une mère et sa fille, qui meublent le temps et le silence par un discours au sens qui nous échappe (et qui leur échappe à elles aussi, suppose-t-on) par des oui, non, bon, ça… sont dérangées par l’arrivée d’une tierce personne qui sonne à leur porte. Diane Lavallée et Élisa Compagnon campent les deux femmes, jouant entre la (parodie de la) tragédie grecque et la démesure du temps qu’on tue, à la Tchekhov. Les deux femmes sont d’ailleurs magnifiquement vêtues de robes rappelant les toges grecques, confectionnées par Isabelle Fillion. Le premier discours du troisième personnage, terriblement intéressant, est un flot ininterrompu de paroles auto-descriptives, d’un humour parfois noir mais efficace. Proposant trois individus tout aussi invraisemblables les uns que les autres, ce texte nage dans plusieurs eaux (tragédie grecque, langage québécois, humour absurde…) et nous parle de la perte du sens des choses et des pensées.
Photographe : Marlène Gélineau PayettePascal Lafond signe une courte comédie titrée “L’Altruiste”. Un homme qui a tout donné, jusqu’aux membres de son corps, ne possède plus que sa propre tête. Mais on la veut, justement! La culpabilité de refuser de donner, le droit de dire non quand on a toujours dit oui, l’égoïsme, voilà ce qui se cache dans ce “Feydeau sous acide”. Absurde à souhait (dès le départ, avec cette tête d’homme sur un meuble, qui parle et joue de la langue, faut voir!), le texte est drôle, et assurément contemporain, avec ses questions d’ordre moral sur le don de soi, au ton parfois désinvolte et grivois ; le thème de la sexualité est très présent dans ce récit. Il est plaisir, travail, monnaie d'échange, chantage... Philippe Martin incarne cette tête ; tout se joue dans le regard, dans la voix, dans la gestuelle faciale, et il accomplit la tâche avec brio. Philippe Lambert incarne un supposé recenseur du gouvernement et le troisième personnage est, ici, le serviteur dévoué.
Photographe : Marlène Gélineau Payette“No matter what”, de Marie-Ève Gagnon, est un drame plutôt intense. Un homme (Yann Tanguay) se rend dans une clinique médicale pour une pierre au rein mais affronte la réceptionniste (Delphine Bienvenu) qui est tout sauf gentille. Mais que se cache-t-il vraiment sous ses discours racistes, homophobes, pessimistes, haineux? Le troisième personnage vient connecter les deux premiers, apporter malgré lui un semblant d’explication dans les paroles et les sens cachés (- Je veux mourir - Qu’est-ce qu’y dit? - Il dit qu’il veut vivre mais il ne sais pas comment). Même teinté d’humour, ce qui fait passer la pilule, le récit est une dégringolade abrupte dans le (petit, peut-être, mais réel) drame humain et personnel, chargé d’une émotion qui nous touche, directement ou non.
Photographe : Marlène Gélineau PayetteLe décor général est plutôt simple : deux cadres de porte, un petit escalier, trois chaises. Un rideau noir (qui, éclairé par derrière, nous dévoile l’envers du décor) camouffle l’arrière-scène et les autres comédiens qui agissent parfois comme chœur. Martin Gagné s'occupe de la conception des éclairages et Stefan Audet crée une trame sonore adaptée pour chaque texte.
Le metteur en scène Stéphane St-Jean réussit à maîtriser les différents styles pour nous présenter un spectacle risqué, vertigineux mais surtout inspiré. Quelques fils, quelques thèmes, relient ces histoires, dont la perte (de sens, de soi, des pensées, de contrôle…), l’amour, la vie. Trois textes un brin ludique, un concept de création bâti sur le hasard et quelques contraintes, mais surtout une jolie réussite, encore une fois, pour cette jeune troupe.
07-09-2006