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Du 4 au 12 janvier 2013, 20h
SpasmesSpasmes
Texte : collage de textes
Mise en scène Carole Nadeau
Avec Steeve Dumais, Elinor Fueter, Lucas Jolly, Patrick Lamothe et Carole Nadeau

Spasmes puise son inspiration dans l'œuvre du peintre Francis Bacon et à son étonnante « logique de la sensation », décortiquée par Gilles Deleuze dans son essai sur l’artiste. Cette logique cherche à s’adresser aux nerfs avant l’intellect. Sur la scène, creuser le parti-pris de la « sensation ».

Le corps-objet. La parole du corps-objet. Corps-viande. Corps-chair. Corps-carcasse, corps-animal…

Spasmes est un spectacle de performances physiques ponctuées de textes, de vidéoprojections en direct, de jeux de matières soutenus par un environnement sonore décalé. Des chansons dans la tradition kitch du karaoké se mêlent à des improvisations musicales plus débridées, créant un amalgame éclaté et loufoque de mélanges de genres.

Carole Nadeau, figure majeure des arts interdisciplinaires au Québec et à l’étranger, en est à sa cinquième présence à Espace Libre après y avoir présenté des spectacles marquants, dont Le mobile, en 2010. Pour la quinzième création du Pont Bridge, elle nous entraîne une fois de plus à la jonction du théâtre, de l’installation et de la vidéo, par l’entremise d’un artisanat technologique.


Section vidéo
une vidéo disponible


Environnement sonore Steeve Dumais et Carole Nadeau
Direction technique Cynthia Bouchard-Gosselin
Photo Lulu Vanrecheim

Jeudi 10 janvier à 19h, suivi d'une discussion avec l'équipe de création
Vendredi 11 janvier à 18h30, suivi d'une table ronde

Régulier: 34$
Moins de 30 ans: 29$
Prévente: 24$, offre jusqu'au 3 janvier pour les représentations des 4 et 5 janvier 2013.

Production : Le Pont Bridge


Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191

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 Critique
Critique

par Ariane Cloutier

Carole Nadeau surprend encore une fois avec sa pièce performance Spasmes, présentée en ouverture de la saison 2013 à l’Espace libre. La fondatrice de la compagnie Le Pont bridge se démarque par sa manière de décortiquer le langage théâtral pour en faire un processus artistique absolu, rejoignant le côté sensoriel de l’être humain. La comédienne, conceptrice et metteure en scène présente souvent des pièces au fil narratif brisé, construites sur une scénographie cinématographique, telles que Provincetown Playhouse et Le Mobile. Cette fois-ci, on ressort de l’expérience avec la tête pleine d’images fortes et une impression générale qui demeure floue.

Évoquant l’œuvre du peintre du vingtième siècle Francis Bacon, ce spectacle exposition propose à travers ses tableaux des références directes aux sujets du peintre : des corps torturés tordus par la douleur, corps fait viande, carcasses suspendues, déviances sexuelles, pape dénaturé… Même le traitement visuel fait allusion aux méthodes de Bacon avec des clairs-obscurs, des fonds noirs avec personnage encadré d’un cube et des fonds aux couleurs sanguinolentes. Certains éléments scéniques sont également empruntés aux toiles du maitre, par exemple, des objets sanitaires, des ampoules sur fil à nu, la chaise du pape, etc.

La pièce est conçue comme un déambulatoire par lequel les spectateurs sont orientés au son et à la lumière à travers diverses stations et une salle noire au plancher blanc clinique. Les spectateurs restent libres de porter leur intérêt sur une station ou une autre, lorsqu’il y en a plusieurs en activité, de s’asseoir dans un coin et même de se commander une consommation au bar. On y retrouve un pape chantant désopilant (interprété avec brio par Steeve Dumais) une drag queen déglinguée, des scènes de danse torturée, un numéro de cuisine électroacoustique, des carcasses de viande humaine… Le côté plus léger que devrait apporter le contexte du cabaret et du bar (jouant sur l’aspect bon vivant notoire de Bacon) se retrouve atténué tant le ton du spectacle est sombre. Les personnages désarticulés et le fil de narration déconstruit nous ramènent plutôt dans un univers inquiétant très lynchéen.

En référence à la méthode de Bacon, la conceptrice refuse en effet toute forme de narration pour le spectacle.  La compréhension de Bacon telle que décrite par Nadeau illustre parfaitement la pièce : « c’est une structure sans logique de début, de milieu, de fin d’un parcours narratif linéaire (modèle canonique du théâtre) vers une structure éclatée, fragmentée, d’autonomie de micro événements qui sont reliés hypertextuellement de manière non linéaire par effets de miroir, d’échos, de réverbérations ».

La scénographie, toujours en avant-plan avec le Pont Bridge, est basée sur ce que Carole Nadeau qualifie d’« artisanat technologique ». Il s’agit d’employer différents outils techniques et matériaux, de manière parfois inattendue. Elle récupère de ses œuvres précédentes les jeux de transparences, les distorsions et les réflexions par l’utilisation de plastique vinyle ou plexiglas miroir, qui fonctionne à merveille avec l’esthétique déconstruite de Bacon. La scénographe utilise aussi de simples projections sur le mur de béton de l’Espace libre ainsi que des effets sonores et narratifs issus de performances en direct. Ces méthodes, bien que pertinentes dans leur propos, nécessiteraient une légère mise à niveau technique. À noter, par ailleurs, une très grande créativité dans la fabrication des costumes, conçue de presque rien.

Si l’impact visuel est puissant, qu’en est-il du contenu de la pièce? Il y a certes des moments dramatiques forts, des prestations de danse sublimes (notamment de la part de la danseuse Elinor Fueter), des images qui transmettent bien leur allégeance à l’artiste. La pièce donne naissance à des instants textuels surréels, par exemple lorsqu’est lue la poésie de Larry Tremblay récemment parue sur Bacon. Le danger qui guette le théâtre expérimental est de ne pas réussir à se faire comprendre de son public. Par cette démarche très courageuse, Nadeau nous livre une expérience très intéressante, mais qui semble produire un résultat inachevé. La pièce nous laisse sur notre faim, comme s’il nous manquait des morceaux pour arriver à en capter l’essence. En préconisant une forme non narrative, Nadeau souhaite peut-être s’adresser à une sensibilité universelle, mais il semble que la clef de la compréhension de la pièce soit réservée à ceux qui se donneront la peine de chercher ses référents. L’expérience en vaut par ailleurs le déplacement, car elle allume la curiosité, non seulement quant à Francis Bacon, mais aussi à la perception qu’ont de Bacon les Carole Nadeau, Larry Tremblay et Gilles Deleuze, entre autres. À vous de découvrir quelle sera votre vision de l’étrange monde de Francis Bacon.

07-01-2013