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Du 18 février au 28 mars 2015
VirginiaQui a peur de Virginia Woolf?
Texte Edward Albee
Mise en scène Serge Denoncourt
Traduction Michel Tremblay en collaboration avec Serge Denoncourt
Avec Maude Guérin, Normand D’Amour, Kim Despatis et François-Xavier Dufour

Deux heures du matin, un couple bien nanti revient à la maison après une soirée bien arrosée. Tels deux fauves en cage, aux crocs plus qu’acérés, ils se livreront à un carnage psychologique, à une guerre de pouvoir à finir, jusqu’à l’aube. Afin de nourrir davantage leur soif de violence et de sensations fortes, ils accueilleront un jeune couple qui leur servira de pantin afin de mieux assouvir leur volonté de dominer et d’humilier l’autre. Qui a peur de Virginia Woolf?, un psychodrame captivant qui pose une question cruciale: Qui a peur de vivre une vie sans illusion?

La pièce culte d’Edward Albee, d’une grande force dramatique, propose un portrait vitrio­lique de la bourgeoisie américaine et de ses hypo­crisies sociales et conjugales. Des dialogues de haute voltige où on ne distingue plus le vrai du faux. Une descente aux enfers cruelle et violente.


Section vidéo


Décor : Guillaume Lord
Costumes : François Barbeau
Éclairage : Étienne Boucher
Conception sonore : Nicolas Basque
Accessoires : Normand Blais
Assistance à la mise en scène : Suzanne Crocker

Une production DUCEPPE


DUCEPPE
175, rue Sainte-Catherine O. - Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112, 1-866-842-2112

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : François Brunelle

Classique psychologique emblématique du répertoire états-unien et international, Qui a peur de Virginia Woolf? suscite toujours l’intérêt plus de cinquante ans après sa création à Broadway. Même si la mise en scène et le jeu des interprètes ne rendent pas toujours justice au texte, le résultat scénique de la production de Duceppe demeure assez concluant.

Écrite au début des années 60, la pièce d’Edward Albee (de loin sa plus connue) a immédiatement enflammé les planches de nombreux théâtres. Elle a connu ensuite très rapidement une transposition pour le cinéma par Mike Nichols (sa première réalisation) avec un véritable couple de célébrités du temps (Élisabeth Taylor et Richard Burton) dans les rôles des monstrueux Martha et Georges. Le Québec a vu sur ses planches différentes versions de cette joute populaire au cours des décennies, avec notamment Paul Hébert, Marjolaine Hébert, Raymond Cloutier et Louise Marleau.

Le metteur en scène Serge Denoncourt a choisi la traduction de Michel Tremblay probablement pour apporter une couleur plus locale à l’ensemble ou pour permettre au public de mieux s’identifier aux situations présentées sur scène. Malgré un contexte social, économique et géographique très différent des Belles-sœurs ou d’À toi pour toujours, ta Mari-Lou, la griffe du dramaturge québécoise paraît souvent perceptible. Dans cet univers de salon cossu d’universitaires d’une autre époque (avec ses innombrables livres de référence, des revues Life et Woman éparpillées sur le plancher, ses 33 tours et sa table tournante), le langage cru, avec ses expressions vulgaires et ses sacres, occupe une place importante.

Durant près de trois heures entrecoupées d’un entracte, s’entre-déchire un couple dans la quarantaine : George, un universitaire du département d’histoire qui n’a jamais réussi à publier un seul ouvrage, et sa femme Martha, fille du recteur de la même institution. À deux heures du matin après une soirée où la boisson et les injures ont coulé à flot, ces deux bourgeois ont invité un jeune couple nouvellement arrivé dans leur petite ville, composé du professeur de biologie Nick et de sa femme Honey. Jusqu’à la fin de la représentation, le huis clos se déroule dans une atmosphère de tensions et de pugilats. La tempête se termine seulement à l’aube après avoir atteint des sommets de cruauté. 

Si les mœurs ont évolué depuis les années 1960, tout comme les réalités de couples et la progression du féminisme, la pièce d’Albee garde toutefois le même aura. Elle continue de captiver le public qui s’est manifesté ici à de nombreuses reprises (surtout par le rire). L’affrontement du couple hôte déteint sur les comportements et les attitudes de leurs invités. Comme un duel de lutte, les répliques fusent et cherchent toujours à faire plus mal à l’adversaire dans l’espoir de le clouer au tapis. Les couteaux volent bas dans ce ring où s’intensifient les combats de générations et de sexes, baignant dans un sadisme à faire pâlir toutes les cinquante nuances de Grey et autres ersatz. Encore aujourd’hui, la pertinence de l’histoire se traduit par une écriture vigoureuse qui saisit très bien les forces et failles des protagonistes souvent imbibés d’alcool et de déchirures indélébiles. 


Crédit photo : François Brunelle

La production de Duceppe a presque sombré dans le vaudeville durant les premières scènes. Le ton très vulgaire pousse loin dans la caricature et l’exagération (présente dans le texte), mais sans laisser la progression du conflit s’amorcer avec une tension adéquate. Dès l’arrivée de Nick et d’Honey, les réparties deviennent plus justes, plus mordantes et plus affinées. La réussite d’une telle entreprise se répercute dans un traitement crédible de cette bataille verbale. Sans en camoufler les excès langagiers, sa réalisation ne doit jamais devenir risible comme un mauvais téléroman mélodramatique.

Par ailleurs, la musique accompagne parfaitement le propos. Avant le début de l’action, la chansonnette du conte de Disney Les Trois Petits CochonsWho’s Afraid of the Big Bad Wolf? d’abord récitée en anglais par une voix de petite fille, et ensuite par une interprète féminine adulte en français laisse judicieusement planer les douloureux dilemmes et échecs face la maternité (ou la non-maternité), l’une des épées de Damoclès qui plane sans cesse au-dessus de la tête des personnages de l’œuvre. Plus tard, les quelques séquences sonores tout en délicatesse renforcent la gravité et la profondeur des enjeux explicités dans les répliques.

Pour donner toute la chaire à ces individus détraqués, les acteurs et actrices doivent être à la hauteur. Pour bien des comédiennes, Martha constitue un rôle en or pour exprimer toute la folie, la démesure cruelle à la fois pathétique et despotique d’une femme broyée par la vie. La bourgeoise décadente oscille sans cesse entre la manipulatrice et la manipulée. Brillante artiste sur la scène et au petit écran (notamment dans le répertoire de Tremblay où elle a excellé, entre autres, sous les traits de Pierrette Guérin et de Carmen) Maude Guérin ne plonge pas assez dans les abîmes de sa Martha pour nous convaincre et nous secouer totalement des écueils de cette vie tragique. Durant ses crises, elle reste parfois à la surface des choses, mais, heureusement, ses moments de vérité, surtout vers la fin, sont très intenses et ressentis. Son partenaire principal, Normand D’Amour, démontre l’étendue de son talent en puisant dans les nombreuses zones sombres ou tempétueuses de son George. François-Xavier Dufour explore également à fond l’animalité et la rudesse de Nick, alors que Kim Despatis s’abandonne à la folie d’une Honey en apparence nunuche devenant peu à peu névrosée. La direction d’acteurs manque parfois de précision dans les relations entre les individus, mais s’avère la plupart de temps percutante dans les confidentes taboues et les échanges acrimonieux.

Une production de Qui a peur de Virginia Woolf? constitue une expérience d’endurance pour les artistes et les spectateurs. La violence verbale atteint des sommets vertigineux de férocité et joue sans cesse avec nos nerfs. Heureusement, Serge Denoncourt et sa distribution généreuse insufflent à l’exigeante partition une énergie et un éclat manifeste, malgré quelques accrocs.

24-02-2015