Du 19 au 30 janvier 2010, mardi au samedi 20h
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Limbes

Traduction, adaptation et mise en scène : Christian Lapointe
D’après Calvaire, Résurrection et Purgatoire de William Butler Yeats
Avec : Sylvio-Manuel Arriola, Christian Essiambre, Olivier Lépine, Jocelyn Pelletier, Eve Pressault et les narrateurs - musiciens Mathieu Campagna, Christian Lapointe

On assiste d’abord à l’histoire de Jésus de Nazareth, de sa crucifixion à sa résurrection. Ensuite, à notre époque, le Christ et son fils, vagabonds, se retrouvent devant le monde en ruine, notre propre purgatoire. Et la véritable tragédie commence, alors qu’on est forcés à envisager l’Apocalypse. Avec Limbes, Christian Lapointe revient à l’oeuvre du poète symboliste irlandais William Butler Yeats, prix Nobel de littérature, et nous propose un nouveau spectacle sans concession, intégrant jeu masqué et musique live. Toujours aussi radical, singulier, de plus en plus nécessaire.

Le Théâtre Péril a été fondé en l’an 2000 par le metteur en scène Christian Lapointe et la scénographe, spécialiste en conception et fabrication de masques, Danielle Boutin. Le Théâtre Péril privilégie un théâtre rigoureux qui rappelle constamment au spectateur sa condition d’être fragile et mortel tout en confrontant le monde contemporain. Christian Lapointe et le Théâtre Péril ont été particulièrement remarqués avec la pièce C.H.S. présentée successivement au Carrefour international de théâtre de Québec, au Festival TransAmériques et au Festival d’Avignon. En septembre 2008, Christian Lapointe a ouvert la saison de La Chapelle avec le percutant Vu d’ici qui a été repris au Carrefour international
de théâtre de Québec

Dramaturgie : Hanna Abd El Nour
Scénographie : Jean-François Labbé
Costumes : Dominic Thibault
Musique : Mathieu Campagna
Lumière : Martin Sirois
Vidéo : Lionel Arnould
Masques : Danielle Boutin
Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Amand

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Une présentation La Chapelle
Une production Théâtre Péril - une coproduction Théâtre français du Centre national des arts

La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

par David Lefebvre


Crédit photo : Guillaume D. Cyr

Aucunement familier avec le travail de Christian Lapointe, j’ai assisté, intrigué, à Limbes, la plus récente création de ce concepteur et metteur en scène. La pièce, produite par le Théâtre Péril, est conçue à partir de courtes pièces du poète irlandais William Butler Yeats - Purgatoire, Calvaire et Résurrection - et a été présentée pour la première fois à Québec, puis au Centre National des Arts d’Ottawa.

D'emblée, les comédiens Sylvio-Manuel Arriola, Christian Essiambre, Olivier Lépine, Jocelyn Pelletier et Eve Pressault se positionnent devant le public et ouvrent la bouche. Leur discours s’entremêle et devient incompréhensible, tant la cacophonie règne et l’ampleur des décibels augmente. Ces mots, crachés, deviennent un cri de douleur, intense, dématérialisé. Puis, le spectacle commence. Masqués, vêtus de robes noires, les comédiens inaugurent cette cruelle fête, ce rituel étrange qui abordera le sens de la mort et de son contraire, le châtiment, la désacralisation, la terreur. Ils interprètent le mythe de Jésus Christ, de sa conception à sa résurrection, par l’entremise, entre autres, des apôtres, des témoins, des croyants. Se rapprochant du théâtre Nô, cette partie est épurée, et le texte est littéraire, spirituel et d'une grande poésie. Lors de cette première partie, le sentiment de cérémonie sacrale est omniprésent. L’excellente trame musicale, interprétée par Mathieu Campagna et Christian Lapointe – instruments à cordes, musette, flûte, percussions – rehausse et accompagne les protagonistes et leur histoire cauchemardesque.

Sans entracte, sans répit, on plonge directement dans la deuxième partie du spectacle, soit une relecture du premier segment, plus caricaturale, plus incisive, plus vulgaire. Les masques sont remplacés par des sacs de papier, et l’interprète masculin de Jésus par une femme de blanc vêtue. Actes sexuels, violence, moqueries, jeu décalé, voix et niveau de langage toujours fluctuants, c’est un véritable exercice théâtral, qui flirte avec le non-jeu, auquel nous assistons. La direction d’acteur, tout au long de ce spectacle, est rigoureuse, précise. Les corps se font gestes, transcendés, marionnette ; ou alors, ils se débrident, se décalent, sautillent, vibrent de multiples spasmes. La mise en scène propose parfois quelques moments d’un symbolisme saisissant, traduisant la pensée de Yeats, à l’esthétisme indéniablement recherché, qui respecte chaque style théâtral qu’elle explore.


Crédit photo : Guillaume D. Cyr

Limbes, en théorie, est un projet ambitieux, intéressant, voire passionnant. Inspiré des mots du poète irlandais, Lapointe crée, par la réécriture et l’adaptation de quelques moments clés de la vie de Jésus, un procès du genre humain, un constat dantesque, une psychose affreuse de la démence humaine. On affronte l’Apocalypse, on nous dévoile notre propre purgatoire intérieur. Les principales démarches artistiques, tout aussi contraires que complémentaires, nous immergent d'abord dans une ambiance christique, annonciatrice et dénonciatrice de la ruine du monde, puis dans un monde grotesque, monstrueux, parallèle au premier. Pourtant…

Pourtant, Limbes est une véritable épreuve pour l'amateur de théâtre. Pendant trois longues heures, nous assistons à un spectacle complexe si dense, si exigeant, que nous perdons soit la concentration, soit l’intérêt, après seulement quelques minutes du début de la représentation. Et plus celle-ci avance, plus le malaise grandit. On nous pousse délibérément dans les limbes de notre conscience, en marge, vers un état intermédiaire. Décortiqués, on peut apprécier ou accorder beaucoup de qualités aux différents éléments de la pièce (jeu, mise en scène, éclairages, scénographie, musique), mais réunis, on se demande rapidement où le spectacle veut en venir. La deuxième partie, empreinte de contradictions et de juxtapositions, qui tente de profaner la première par l'excès, n’arrive pas à satisfaire les attentes ; les moments satiriques offrent à peine de quoi sourire, les moments plus choquants ne déstabilisent pas et la réécriture se trouve beaucoup trop près de l’original pour profiter pleinement de la déconstruction du récit. L’exaspération s’installe rapidement au sein de l'assistance, qui a vu, lors de la première, certains de ses membres s’évader vers la sortie avant la fin de la représentation. La finale, troisième partie du projet, reprend la parole de Lapointe et de Yeats, par l’entremise d’une vidéo, et essaie d’alléger ce long moment de destruction et de déchéance. On sent l’influence des enjeux du 21e siècle : intégrisme, mort de la foi, questions sur l’art, sur les tendances politiques. Trois parties, trois paroles : rituel, trash, vidéo ; voilà peut-être l’évolution du théâtre contemporain, selon la vision d’un concepteur radical, totalement dédié à son art.

Travail colossal, à des années-lumière du divertissement de masse, Limbes est un exercice qui mérite probablement d'être vu et reconnu, mais l'épreuve peut en décourager plusieurs. Pour les initiés.

20-01-2010

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