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Du 21 septembre au 1er octobre 2011, 20h
La demeureEmily Dickinson
Texte Emily Dickinson
Mise en scène, scénographie, lumière, son Oleg Kisseliov
Création et interprétation Larissa Corriveau et Marie-France Marcotte

C'est Emily Dickinson C'est une voix qui rend aveugle Qui traverse le gouffre entre les vivants et les morts C'est une femme dans une chambre Qui converse avec le temps Qui répond aux fantômes Qui s'emporte et s'envole Qui s'offre tout entière À l'ironie du sort C'est un volcan Dans une cage thoracique C'est un crâne chargé à bloc Qui vise le reste C'est le centre de la Terre au centre du cœur.

Oleg Kisseliov
Oleg Kisseliov a fait plusieurs mises en scène au Québec et en Russie, dont Camera Obscura, La Métamorphose, Elizaveta Bam, Le Songe d'une nuit d'été. Il travaille à la Taganka, à l'Académie des beaux-arts de Berlin puis enseigne la méthode de l'Impulsion créatrice dans une quinzaine de pays. Il rejoint La Demeure pour Emily Dickinson. La Demeure a été fondée par Larissa Corriveau pour permettre la création et la diffusion d'œuvres poétiques inédites et de répertoire. Elle est l'hôte des publications du cahier littéraire Jour Heureux. La Demeure accueille la poésie comme le langage incorruptible qui fait face au mythe et l'interroge.


Assistance à la mise en scène Nadia Vislykh
Collaboration à la dramaturgie Larissa Corriveau

Carte Premières
Cartes Prem1ères
Date Premières : 21 au 27 septembre 2011
Régulier : 28$
Carte premières : 14$

Une présentation et une production La Demeure.


La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

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 Critique
Critique

par David Lefebvre

Comme je ne pouvais m'arrêter pour la Mort/ Elle eut la bonté de s'arrêter pour moi


Crédit photo : Zed Touati

Emily Dickinson est considérée aujourd’hui par ses pairs comme une poétesse américaine majeure. Il aura fallu pourtant bien des années avant que cette femme recluse, qui ne quittait pratiquement jamais sa chambre, mais qui était socialement active grâce à une heureuse correspondance, connaisse la consécration et la reconnaissance méritée. À peine une dizaine de ses poèmes, sérieusement altérés, avaient été publiés avant sa mort. Après son décès, sa plus jeune sœur, Lavinia, découvrit sa cachette : près de 1800 textes, réunis en petits carnets, sont alors mis à jour. Mabel Loomis Todd, la maîtresse du frère d’Emily, ainsi que le journaliste Thomas Wentworth Higginson les modifient pour les rendre conformes aux règles de l’époque. Il faudra attendre 1955 pour que paraisse un recueil complet édité par Thomas H. Johnson et d’ainsi avoir la chance de savourer presque intégralement les mots de Miss Dickinson.

L’écriture de ce poète hors-norme est avant-gardiste, formée de courts vers, de rimes imparfaites, de majuscules parsemées ici et là et d’une ponctuation hasardeuse. Ses thèmes les plus récurrents sont la mort, l’immortalité, la nature – elle était une botaniste érudite – et l’intellect comme espace inexploré, comparant le cerveau à des châteaux, des prisons, des lieux hantés qui effraient beaucoup  plus que n’importe quel assassin qui pénétrerait dans une maison.

Le metteur en scène Oleg Kisselev, qui signe aussi l’adaptation de la pièce Emily Dickinson, avoue rêver de ce spectacle depuis une vingtaine d’années. Il  arrive enfin à mettre sur pied ce projet grâce à sa rencontre avec la comédienne et dramaturge Larissa Corriveau. Aidés par Emmanuel Schwartz à la traduction et Sophie Côté à la direction technique, Emily Dickinson est une incursion douce et incarnée au cœur de l’œuvre imposante de cette auteure américaine.

La scénographie, simple, nous situe à l’intérieur de la chambre d’Emily. Une fenêtre blanche, une table basse et une chaise, une machine à coudre. Aucun mur : cette chambre n’est pas un lieu confiné, mais un espace de liberté pour l’écrivaine. Larissa Corriveau, délicieuse et fulgurante, offre tout son talent et son corps à cette dame en blanc, telle qu’on la décrivait souvent, habillée d’une robe de coton ; sa voix sans âge nous happe et nous berce, les mots et les phrases tirés des poèmes et de la correspondance entre Emily et quelques personnes, dont Higginson et Thornton Wilder, nous imprègnent d’une beauté et d’une intelligence singulière. Son imaginaire est stupéfiant, ses comparaisons et ses métaphores font éclater des images dans notre tête : de l’abeille qui se nourrit des trèfles au divin et à l’éternité, son langage est une union entre la nature et le sacré. Elle se confie aussi sur ses propres doutes, ses questionnements. Son célèbre « Mes Vers sont-ils vivants ? », adressé à Higginson, retentit. La comédienne habite tout l’espace scénique, éclairé ou non, grâce à une chorégraphie contemporaine qui jongle entre l’idée de liberté et de folie. Tout le corps de la comédienne parle, de ses mains qui dansent jusqu’au bout de ses pieds hyperactifs. Elle est ici candide, dégustant une orange, là, terrifiante, couchée par terre, les yeux exorbités, le corps en transe.  

L’environnement sonore est composé d’enregistrements audio qui donnent accès à l’histoire familiale d’Emily Dickinson, abordant la liaison de son frère ou encore de certaines interrogations posthumes. Les voix sont celles de Sarah Desjeunes, Sharon James, Maxime Laurin et Gaetan Nadeau. Si la trame musicale, bigarrée, vient transmettre toute la charge visionnaire et émotive de l’œuvre de Dickinson, par des compositions, entre autres, de Miles Davis et de Rachmaninov, le choix des pièces peut surprendre ou laisser pantois, surtout à cause de son audace et de ses nombreux anachronismes. Difficile d’apprécier à sa juste valeur une poésie du XIXe siècle sur une trame smooth jazz.

Emily Dickinson est une superbe introduction ou une magnifique opportunité de découvrir à nouveau l’univers de cette auteure contemporaine, grâce à une comédienne chevronnée, intense et sensible, et une mise en scène tout aussi sobre que poétique.

24-09-2011