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Du 23 octobre au 10 novembre 2012, 20h - supplémentaires du 17 au 20 décembre
La jeune fille et la morveDom Juan_ Uncensored
théâtre
Texte Jean-Baptiste Poquelin dit Molière
Adaptation et mise en scène Marc Beaupré
Avec David Giguère, Iannicko N’Doua, Marie-France Marcotte, Guillaume Tellier, Geneviève Boivin-Roussy, Rachel Duston Sauvé

Dom Juan entre en scène, une sténographe le suit.
Il envisage les spectateurs, puis sa secrétaire.
Il dicte : « Paris. 15 Février 1665. Première de Dom Juan. Tragi-comédie. Timide. Tiède. Mais chaude est la personne au bras de l’auteur, Molière. »
Ces mots qui bafouent un chef d’œuvre et son auteur, la sténographe les affiche « live » sur la page Twitter de Dom Juan. Le public les découvre projetés en salle, le reste du monde peut s’y pencher, sur le web.
Ce « Tweet », il transgresse le mode dramatique de l’art théâtral et initie la course effrénée du désir d’un homme. Bientôt, à la poursuite de celui-ci, le chœur des offensés qui réclame justice.
Ce qu’il y a d’uncensored dans Dom Juan, ce n’est encore rien de tout ceci.
En bout de course, le châtiment. Oui. Mais d’un autre ordre.

TERRE DES HOMMES
Terre des Hommes a été fondée par Marc Beaupré, François Blouin et Guillaume Tellier. La compagnie a présenté son tout premier spectacle, Le silence de la mer, de Vercors, le 26 février 2008 au Théâtre La Chapelle à Montréal. Un second spectacle, Caligula_remix, d’après Albert Camus, a aussi été présenté à La Chapelle en 2010, puis repris en 2012 au Gésu dans le cadre de Montréal en Lumière ainsi qu’en France aux festivals EXIT de Créteil et VIA de Mons/Maubeuge. Parallèlement à Dom Juan_uncensored, Terre des Hommes travaille à trois nouveaux spectacles : L’Iliade_showdown, une œuvre hybride, mi-théâtrale, mi-battle-rap, inspirée d’Homère, Le roi est mort, vive le clown!, l’agression d’un homme par des textes tragiques, ainsi qu’une relecture «bédéesque» et radiophonique de Lorenzaccio d’Alfred de Musset.


Lumière Alexandre Pilon-Guay
Scénographie Romain Fabre
Conception sonore Benoit Beaupré, Jacques Poulin-Denis
Ingénierie Logiciel Maxime Fafard
Sténographie Rachel Duston Sauvé
Projections Joël Beaupré
Assistance à la mise en scène Marie-Flore Véronneau et Julien Véronneau
Régie et Direction technique Julien Véronneau

Une présentation La Chapelle
Une production Terre des Hommes
Créée en résidence à La Chapelle, Cie Jean Duceppe, et au Monument National


La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

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 Critique
Critique

par David Lefebvre

« Un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature. »


Crédit photo : Benoît Beaupré

En 2009, le comédien et metteur en scène Marc Beaupré relevait un défi théâtral de taille en remixant le Caligula de Camus, un exercice qui allait ravir tant la critique que le public. Trois ans plus tard, Beaupré révèle son travail de réflexion sur le Don Juan de Molière (et de Mozart), à l’intérieur des murs de la salle qui l’avait accueilli, soit La Chapelle. Dom Juan_ Uncensored n’est pas une simple relecture du texte classique et mythique : il est question ici d’un personnage qui transcende sa propre histoire, s’en extirpe pour faire son propre procès, pour proposer son point de vue. C’est un personnage qui s’interprète et qui se compare à de multiples versions de lui-même, à différentes époques et différents lieux, en poussant la réflexion de ce qu’on a fait de lui, à se faire comprendre, recherchant aussi, peut-être, une liberté, une délivrance ou une autre sorte d’immortalité à laquelle M. Poquelin et Amadeus l’avaient condamné, soit l’enfer.

Dom Juan_ Uncensored est un plaidoyer morcelé, en perpétuelle déconstruction. Nous sommes à l’opposé de ce que fut Caligula Remix : alors que l’harmonie chorale s’enlise dans le chaos conduit par la démesure du coryphée (Emmanuel Schwartz), ici apparaît un certain équilibre au cœur de la chorale d’hommes et de femmes qui est contre son leader solitaire (David Giguère). Le texte de Beaupré danse entre une parole baroque et contemporaine, empruntant ici des extraits du texte de Molière, faisant, là, chanter par-dessus le magnifique opéra de Mozart. On emprunte souvent le ton de la narration, pour créer un effet de recul et ainsi aborder le thème de l’hypocrisie. Si Don Juan cherche la liberté totale, les autres le poursuivent au travers ses fantasmagories et sont en quête de justice : Elvire est une femme bafouée, la mère est honteuse, Sganarelle cherche à se démarquer et Don Carlos rêve d’une vengeance assouvie. Chacun d’eux s’exprimera enfin librement, à un moment ou un autre de la représentation, et ce, en toute légitimité. On transgresse les genres, les époques et les codes pour explorer en toute impunité la psyché des personnages, voire leurs fantasmes, leur vision du libertin ou leur propre situation. On se retrouve à la fin de la première de la pièce, en 1665, où le futé libertin réussit à  se taper en coulisse la femme de Molière, pour voyager ensuite jusqu’à la Révolution française, où Sganarelle devient un héros révolutionnaire. Don Juan se voit digne de sa réputation en séduisant toutes les Filles du roi (un souverain, d’ailleurs, que Don Juan s’amuse à tuer en duel, pour la Reine, se foutant bien des réalités historiques) venues coloniser la Nouvelle-France – et du coup être l’ancêtre des Québécois, pour visiter finalement à deux reprises, et ce, de bien différentes façons, son destin funeste, cette rencontre fatale et ultime avec la statue du Commandeur.

C’est avec une certaine irrévérence que Don Juan, tel un DJ, se sert de platines à sa disposition pour créer sa trame sonore à partir de l’opéra Don Giovanni de Mozart. Ce choix s’avère tout aussi habile qu’à propos, voire d’une justesse implacable. Les émotions qui surgissent de la musique font naître, certes parfois avec un clin d’œil forcé, la tragédie, la beauté et le merveilleux dans cette pièce d’une mordante modernité, cynique et tendue. Pour amplifier le côté narcissique et vaniteux du protagoniste, le metteur en scène choisit judicieusement d’incorporer une autre convention ultra-contemporaine, soit le réseau Twitter : un enjeu majeur de la mise en scène de Beaupré. Accompagné d’une sténographe sur scène, Don Juan appelle son nom et dicte le texte, pour qu’ainsi chaque parole soit retransmise sur le réseau social et projeté du même coup, en direct, sur le mur en fond de scène. Ce procédé accentue le mode narratif de la représentation, le côté égoïste et égocentrique du personnage ; les autres protagonistes n’entreront que tardivement dans ce jeu dont ils ne tireront que peu de choses. Pour engager la réflexion autour de ce média bien particulier, de son symbolisme et de son utilisation, on invite aussi les spectateurs possédant un téléphone intelligent à interagir et à s’immiscer au cœur même de la dramaturgie. Fausse bonne idée? Peut-être. En vérité, l’information que l’on reçoit provenant de la scène est carrément décuplée, créant un effet d’étourdissement ; notre attention s’y voit ainsi diluée. Si les quelques messages du public ont plus ou moins d’intérêt, ou sont simplement des réactions spontanées et humoristiques à l’action, d’autres réussissent à créer une réelle réflexion sur l’œuvre en cours. Mais peu s’y sont risqués, du moins lors de la première ; peut-être par gêne, ou simplement parce que tout va si vite qu’on ne peut véritablement engager un dialogue sans en perdre un sacré bout. De plus, une personne au début de la représentation se dit mandaté d’engager le dialogue, d’être un porte-parole du public. On le verra peu sinon pas du tout poster de messages, ou tenter de pousser plus loin les pensées des spectateurs. Dommage, on rate ici une chance en or d’incorporer davantage le public à la représentation.


Crédit photo : Benoît Beaupré

Si les acteurs secondaires (Marie-France Marcotte, Guillaume Tellier et Geneviève Boivin-Roussy) sont d’une grande justesse, ils sont pourtant sous-utilisés, contraints à rester sur leur chaise en marge de la scène, n’apparaissant sous les projecteurs que deux ou trois fois lors de la représentation. De plus, les quelques interventions en groupe, dos au public, empêchent parfois la bonne compréhension du texte : les murmures sont souvent inaudibles et les discours énoncés en chœur sont plus cacophoniques qu’esthétiques. Marie-France Marcotte, qui incarne la mère, prend aussi la forme féminine du père Don Luis. Beaupré explore par elle la maternité, sentiment ou affrontement auxquels Don Juan n’a jamais fait face. Iannicko N’Doua impose un Sganarelle plus valeureux que couard, très physique, empruntant autant à Arlequin qu’à un acrobate clownesque, se permettant quelques moments de cabotinage. David Giguère offre une prestation sans faille : la démarche fière (dont on se moquera lors du spectacle) et le tempérament orgueilleux et arrogant, mais sans méchanceté, de son Don Juan le rendent sympathique, sinon humain, malgré tous les sentiments que peuvent éprouver le public face à cet impénitent charmeur. Et par quelques effets de distanciation, où les comédiens sortent de leur jeu pour s’adresser à la foule sous leur vrai nom, Beaupré s’engage dans une réflexion du comédien versus la représentation, mais sans creuser plus profondément cette piste qui aurait pu être prometteuse.

Malgré une certaine évolution depuis la présentation d’une version antérieure au plus récent OFFTA, Dom Juan_ Uncensored se veut un étourdissant travail d’exploration, aussi saisissant qu’insaisissable. On reste certainement confus devant les thèmes majeurs et denses du spectacle, d’une rapidité parfois déconcertante, tentant de s’agripper à des raisonnements, des bouts de phrases projetés ou des réflexions qui nous échappent trop facilement. Par contre, la finale, beaucoup plus posée et claire, vient créer un réel moment de grâce, où le temps est aboli, où l’éphémère au théâtre - un autre thème qui se terre au creux de la réflexion donjuanesque de Beaupré - bat en retraite, le temps d’un bref moment, le temps qu’un ange passe.

Pour suivre Dom Juan_Uncensored sur le fil Twitter, suivez le mot-clic #djxxx.

24-10-2012