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Du 23 avril au 4 mai 2013, 20h
EmpreintesEmpreintes
théâtre
Collage, adaptation et mise en scène Geneviève L. Blais
Texte tiré de témoignages et d’extraits des romans L’événement* d’Annie Ernaux et des extraits librement adaptés de Expulsion** de Luis de Miranda et Hélène Delmotte
Avec Paule Baillargeon, Kathleen Aubert, Eugénie Beaudry, Victoria Diamond, Isabelle Guérard, Nico Lagarde et Estelle Richard

Des mois, des années ou des décennies après l’interruption d’une grossesse qu’elles n’avaient pas désirée, des femmes prennent la parole. Elles cherchent à nommer, à comprendre, à accepter ou simplement à partager ce qu’elles ont vécu. L’avortement comme face à face avec soi-même, avec nos désirs, nos tabous, nos échecs, nos amours.

Les récits de ces femmes s’entrecroisent et se font écho. Que ce soit dans un contexte où l’avortement est illégal, dangereux et stigmatisant, ou encore dans un cadre médical où l’intervention est légalement acceptée, elles ont souvent vécu leur avortement presque en secret, seules même si quelqu’un leur tenait la main. 

Sur scène, leurs témoignages prennent forme dans leurs corps, révélant leurs ébranlements ainsi que les images et les questions qui les habitent. Sans pathos mais avec des fous rires et des moments de silence.

Un concerto de traces d’un événement qui peut être vécu comme un simple curetage, mais qui parfois ne l’est pas.

LE THÉÂTRE À CORPS PERDUS
Le Théâtre à corps perdus est né d’un désir : évoquer ce dont on n’ose parler et ce qui nous laisse sans voix. Nos créations explorent les zones troubles ou secrètes de notre humanité. Révélant émotions et  pulsions, le corps est au cœur de notre démarche, tant comme ancrage des enjeux qui nous interpellent que dans notre écriture scénique. Il nous fascine par son pouvoir d’évocation, par sa poésie brute et singulière.

Les expériences théâtrales que nous proposons jouent sur la frontière entre réel et fiction. Pour ce faire, nous brisons le 4e mur afin de faire de la scène un lieu de prise de parole, ou nous convions le public dans des lieux urbains signifiants. Nous questionnons ainsi le rituel du spectacle, afin d’interroger notre relation de spectateur face au monde.

Depuis sa fondation en 2003, le Théâtre à corps perdus a créé Judith (l’adieu au corps),  Blanc, Châteaux de la colère, Combats et Quelques éclats de verre.


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Conseillère à la dramaturgie Catherine Léger
Compositeur Jimmie Leblanc
Costumes Fruzsina Lanyi
Collaboration au mouvement Camille Renarhd
Conseiller artistique Éric O. Lacroix
Scénographie du sculpteur Jean Brillant
Éclairage Lucie Bazzo

*Éditions Gallimard, 2000
**Éditions Max Milo, 2005

Une présentation et une production du Théâtre à corps perdus.
La production est soutenue par le CAC, le CALQ et le CAM


La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Maxime Côté

Présentée encore pendant quelques jours au Théâtre La Chapelle, Empreintes, la nouvelle création de la compagnie À corps perdu se révèle une expérience remarquable et saisissante par ses réalités dérangeantes, fracassantes et remuantes. 

En exergue du récit L’événement d’Annie Ernaux (l’un des matériaux de la pièce à la forme éclatée), les deux citations choisies par l’auteure expriment parfaitement le choc ressenti à la sortie du spectacle judicieusement nommé Empreintes. Il y tout d’abord celle du journaliste Michel Legris: « Mon double vœu: que l’événement devienne écrit. Et que l’écrit devienne événement ». Et celle de l’écrivaine japonaise Yūko Tsushima: « Qui sait si la mémoire ne consiste pas à regarder les choses jusqu’au bout ». Les sept voix féminines plongent dans cette proposition qui transcende la simple transition de témoignages quotidiens et de textes littéraires.

En plus du troublant texte d’Ernaux, la metteure en scène Geneviève L. Blais a pigé dans des extraits librement adaptés du roman méconnu Expulsion de Luis de Miranda et Hélène Delmotte, ainsi que dans des entrevues avec des femmes confrontées à un moment ou l’autre de leur vie à ce dilemme douloureux qu’est l’avortement. Pendant près de deux heures sans moments superflus, les comédiennes s’approprient avec une grande sensibilité ces paroles crues, jamais manichéennes, simplistes ou moralisatrices.

Sujet toujours brûlant et polémique qui a inspiré entre autres la bouleversante chanson Non tu n’as pas de nom d’Anne Sylvestre, l’interruption volontaire de la grossesse a rarement été abordée artistiquement de manière aussi frontale que dans la plaquette d’Annie Ernaux. Alors que la plupart des œuvres fictives ou documentaires s’interrogent sur les conséquences avant ou après l’acte, l’auteure des Années expose sans gants blancs et sans pudeur les épreuves et déchirements de l’événement lui-même inspiré de sa propre vie, survenu en France en 1964. Présence rare sur les scènes de théâtre, c’est la magnifique Paule Baillargeon qui livre cette partition simple, mais d’une précision redoutable, micro en main, avec force tranquille. Si les autres fragments d’Empreintes ne possèdent pas la même sobriété chirurgicale à disséquer les tourments autour de l’avortement, ils s’imprègnent d’une parole chargée qui colle aux vécus quotidiens de milliers d’individus, hommes et femmes. 


Crédit photo : Maxime Côté

Une scène en particulier glace le sang, celle de la simulation d’une téléréalité (phénomène social qui hante également la psyché des personnages de la pièce Survivre au Quat’sous, à quelques coins de rue de La Chapelle). Une pseudo-animatrice demande au public (qui n’est pas celui de la salle heureusement) de choisir le destin de candidates hésitantes entre garder ou éliminer l’être grandissant dans leur ventre. Les mots manquent pour décrire l’effet de terreur qu’a suscité cette séquence pour l’auteur de ces lignes. Geneviève L. Blais réussit avec fulgurance à nous jeter en plein visage le sensationnalisme barbare, inhumain de cruauté de cette « société du spectacle » pour reprendre la célèbre formule de Guy Debord. La démonstration virulente de l’abolition des frontières entre vie intime et sphère publique, où tout enjeu devient de la vulgaire cagnotte et où toute activité risque de se retrouver sous le feu des projecteurs, évoque les meilleurs passages de Cinq visages pour Camille Brunelle de Guillaume Corbeil.  

La metteure en scène se démarque ici par la qualité de son travail, certainement l’une de ses plus brillantes réalisations scéniques. Alors que les bonnes intentions ne sont pas toujours concrétisées par des résultats éclairants précédemment, notamment dans Judith (l’adieu au corps), on ressent ici une liberté, une clarté et même une légèreté (malgré un propos plutôt sombre) dans la direction d’actrices. La conception sonore, à la fois atmosphérique et prenante, accompagne parfaitement ces histoires de vies et de morts.

En plus de la touchante Paule Baillargeon, les autres interprètes se révèlent aussi passionnées que sensibles. Kathleen Aubert, Eugénie Beaudry, Victoria Diamond, Nico Lagarde, Isabelle Guérard et Estelle Richard ont chacune l’occasion de briller comme des phares dans une nuit orageuse.  

À la fin de la représentation, le public a réservé aux artistes de la production courageuse une ovation chaleureuse. Il vous reste quelques soirs pour frémir avec ces Empreintes qui ne risquent pas de se dissiper en quittant la petite salle de La Chapelle.

01-05-2013