Au boutte de la 309, après le stretch de sapin, entre le bar de danseuses et le landing à bateaux, grouille l’univers poétique de Marjolaine Beauchamp. S’y dévoile la voix dédoublée des femmes de misère, la rythmique mélodique d’une région mythologique, le slam théâtral des quat’roues dans' gravelle. Marjolaine Beauchamp gratte à main nue la plaie ouverte dans la terre de ces régions qu’on veut oublier. Au son des musiciens Olivier Fairfield et Pierre-Luc Clément, Micheline Marin et Marjolaine Beauchamp peignent la tragédie intérieure d’une femme et son double cherchant la poétique à travers la fumée de cigarette et la poussière des chemins de terre. Pierre Antoine Lafon Simard signe ici une mise en scène où les mots, sciés comme les barils d’un calibre 22, strip-teasent le mal-être d’un blues bien loin de la métropole.
LE THÉÂTRE DU TRILLIUM
Le Théâtre du Trillium est l’une des quatre compagnies fondatrices de La Nouvelle Scène à Ottawa. Directrice artistique depuis 2008, Anne-Marie White a donné à la compagnie, fondée en 1975, un esprit résolument contemporain, en ouvrant la programmation à des démarches artistiques uniques et vibrantes, à des formes théâtrales libres de toute étiquette et à des prises de paroles sensibles et téméraires de la francophonie mondiale. Anne-Marie White a entre autres signé la mise en scène de Le Bout du monde de l’auteure danoise Astrid Saalbach, ainsi que les textes et mises en scène d’Écume (en tournée jusqu’en 2013 : Québec, Ontario, Saskatchewan, Alberta, Colombie-Britannique) ainsi que Déluge (2012), en co-mise en scène avec Pierre Antoine Lafon Simard, qui signe également la mise en scène de Taram (Ottawa, 2011). La démarche artistique d’Anne-Marie White s’inscrit comme l’une des plus révélatrices de la francophonie hors Québec des dernières années.
Environnement sonore Pierre-Luc Clément et Olivier Fairfield
Lumière Guillaume Houët
Régie et direction de production Benoit Roy
Photo Rolline Laporte
Une présentation La Chapelle
Une production du Théâtre du Trillium
par Pascale St-Onge
Ceux qui sont familiers avec l'univers du slam et des événements de la région ont possiblement fait ce même constat: chez plusieurs slameurs se trouve une théâtralité très forte, mais rarement assumée. L'exercice auquel se prête Marjolaine Beauchamp, slameuse de longue date, est des plus intéressants : ajouter à ses textes une mise en scène, une autre voix, un plateau. TARAM est la rencontre trop rare entre le slam, sa poésie et le théâtre.
Tout près d'un camping, dans une région dont on parle toujours le moins possible, se cache la misère laide canadienne. Celle qu'on ne regarde jamais, le texte de Marjolaine Beauchamp la met sous les projecteurs. Deux voix, deux danseuses dont la nature de la relation n'est pas précisée, nous offrent des bribes de souvenirs, des réflexions sur la vie, la famille, la drogue et le reste. Comment elles en sont arrivées là, comment elles voient leur avenir, etc.
Le spectacle créé à Ottawa est en tournée depuis 2011 et s'arrête pour la première fois à Montréal. Pierre Antoine Lafon Simard signe une mise en scène brillante et inventive, bien que minimaliste, en parfaite harmonie avec la parole des deux personnages, sans toutefois montrer toute l'horreur à laquelle ont succombé les danseuses. Non, aucune nudité, aucune débauche ; qu'une intimité avec leurs réflexions et leur voix. Les deux musiciens sur scène sont un apport important à la mise en scène, donnant le rythme approprié avec le volume souvent au maximum. Sans compter l'environnement sonore qu'ils ont conçu et qui s’avère des plus réussis. Le plateau est également magnifique, les éclairages sensibles aux différentes ambiances créées par les changements brusques de scène.
Marjolaine Beauchamp exploite ses thématiques habituelles, notamment la famille qu'elle aborde ici de tous les angles possibles, avec cette langue qui déchire et qu'on lui connait si bien. Notre confort n'est pas épargné, les mots qu'elle utilise sont à l'image de la réalité qu'ils décrivent : sales, malsains, bruyants. Aucun repos pour nos oreilles, mais la poésie est tout de même au rendez-vous. Voilà le génie de la jeune auteure. Les confidences parfois indésirables s'accumulent, notamment par l'entremise de Micheline Marin qui se démarque dans la peau de cette femme complètement ravagée par la vie, l'âge et les excès. Cependant, il semblerait qu'il manque à l'ensemble du spectacle quelques mécanismes plus théâtraux pour aider à la cohérence du tout, afin de maximiser la réception sans toutefois dénaturer l'objet. TARAM reste effectivement beaucoup plus dans le spectacle poétique que dans le théâtre slamé qu'il semble tenter d'atteindre.
Une chose est certaine, rarement on a entendu une dramaturgie qui décape autant, où chaque son est réfléchi à ce point, tradition qu'on doit aux origines slam de la poète. Une porte s'est ouverte, le slam a mis un pied sur la scène de nos théâtres (ou est-ce notre théâtre qui s'est immiscé dans le slam?) et on ne peut qu'espérer que ce pont entre les deux ne s'effondrera pas de sitôt, car visiblement, chacun a beaucoup à offrir à l'autre.