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Du 26 février au 29 mars 2007 (La Licorne, Montréal)
Du 15 au 26 avril 2008 (Périscope, Québec)

Tête première

Texte : Mark O'Rowe
Traduction : Olivier Choinière
Mise en scène : Maxime Denommée
Avec Sandrine Bisson, Kathleen Fortin et Dominique Quesnel

Un monde entre le mauvais rêve et l’éveil. Un endroit d’où la lumière pourrait disparaître… Une petite ville imaginaire où un étranger sème la terreur et déclenchera une série d’événements qui uniront la destinée de trois femmes. À tour de rôle, elles nous offrent le récit de cette journée à la fois tragique et lumineuse où leurs enfants, sources de leurs espoirs, auront plus que jamais besoin de leur protection.

Créée en français en 2005, cette pièce propose un nouveau rendez-vous avec la langue à fois crue et poétique de O’Rowe, auteur notamment de Howie le Rookie. Reprenant les thèmes de la filiation, de la revanche et de la rédemption, son écriture aux images fortes constitue une forme de tragédie où le choeur, pourtant absent, s’impose par une myriade de personnages.

Assistance à la mise en scène : Jean Gaudreau
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Linda Brunelle
Éclairages : André Rioux
Musique originale : Larsen Lupin
Maquillages : Suzanne Trépanier

Une production du Théâtre de La Manufacture

La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie :418-529-2183

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Dates antérieures

Du 1er mars au 9 avril 2005 (La Licorne)

 

 

par Mélanie Viau

Un plongeon tête première dans la noirceur de son propre reflet, à la découverte de l’autre en soi, de cette bête terrée, blessée, profondément enragée. À force d’être resté tranquille, tapi au fond de l’être, le cauchemar sauvage s’est matérialisé en forme humaine, ravageant le corps, demandant vengeance à sa faiblesse, cherchant réparation. Le cauchemar comme métonymie d’une crise enveloppant une ville entière. Mais si le mal n’est que la couleur sombre du bien, si le mal construit l’homme autant que le bien, comment trouver protection lorsqu’il atteint la transcendance de l’action destructrice ?

Dans l’obscurité de Osville rôde un étranger à la gorge enflée, homme répugnant accompagné d’un chien énorme, un chien à trois yeux. Dans la souillure de son passage se lient le destin de trois femmes, trois positions à l’intérieur d’une même tranche de vie, trois regards terrifiés dans l’angle d’une catastrophe où le sang des bêtes et le sang des hommes se mêlent et ne font qu’un. Ce conte, d’une étrangeté troublante, prend vie sous la forme d’une poésie criante de vérité, celle du jeune Irlandais Mark O’Rowe (traduite admirablement par Olivier Choinière). La première mise en scène de Maxime Denommée l’édifie en un univers d’une incroyable force sémantique, organique, unifié dans les moindres détails. Osville devient présente sous nos yeux, dans chaque image créée, dans chaque son transporté, dans chaque silence inquiet de cette atmosphère lugubre même en pleine lumière. Un monde imaginaire prend vie et vous happe avec une extraordinaire force centripète.

Trois portes d’entrée reliées par des fragments de rue ouvrent l’espace du centre de Osville et ses périphéries. Quelques pneus, une cuvette, un baril d’essence pour couchette, un poteau indicateur pour le carrefour. Une ville dépotoir, une ville indésirable, d’indésirables, une ville sans refuge autre qu’à l’intérieur de soi. Et bien au-delà, dans le lointain, à la fois fantastique et effrayant, un ciel nuageux, infiniment profond et intensément vif, vient marquer le caractère irréel dont peuvent parfois se doter les pulsions trop intenses. Le décor d’Olivier Landreville, tout en perspective et en lignes de fuite, propose une dynamique active des lieux et des tensions, un pouvoir de visualisation venant suppléer aux évocations spatiales du texte. La musique originale de Larsen Lupin, électrique, souterraine, alarmante, anime l’ambiance froide et inquiétante où chaque ton d’éclairage (André Rioux) se voit comme un degré différent d’affect. Solidement installé, l’espace d’un coup s’active sous le verbe scandé des voix féminines. Des voix dures, rauques, cruelles, perdues, affolées, détruites. Des voix trahissant l’espoir et le désir.

Kathleen Fortin, Dominique Quesnel et Sandrine Bisson hypnotisent littéralement. Leur immense talent de conteuses, doublé d’un sens impeccable de la rythmique et d’une figuration corporelle totalement investie, donnent à la poésie sèche, crue, cruelle et mordante de O’Rowe une chair vivante, signifiante. La forme et le contenu solidement imbriqués l’un dans l’autre, l’architecture du montage au travers des trois monologues fait progresser le récit vers sa chute avec une ingéniosité calculée, susceptible de créer des remous. On en sort troublé, certes, mais avec l’immense plaisir d’avoir assisté à un tel moment de théâtre.

Tête première ouvre notre regard sur cet univers des possibles, celui qui gronde au fin fond de l’être humilié, trahi. Cet univers de forces vengeresses qui auraient le pouvoir de chambouler une ville entière si les pulsions qui les animent avaient le pouvoir de se décharger. Le désir aveugle d’entrevoir la possibilité de détruire l’objet de sa rage, ne serait-ce que pour se calmer un peu, s’apaiser, trouver enfin le confort, quelque part, hors de soi.

01-03-2008

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par David Lefebvre (2005)

J'aime beaucoup l'écriture de l'Irlandais Mark O'Rowe, qu'Olivier Choinière adapte à merveille, pour sa couleur moderne, son sens du suspense, son talent de conteur, son côté sale et en même temps lumineux et sa violence extrêmement humaine. Pour les personnes qui ont vu Howie le Rookie, on est en terrain connu avec Tête première : même conception textuelle, même type de mise en scène (monologues de personnages). Mais on va encore plus loin, en ajoutant un troisième personnage et en élaborant sur la structure, le rythme, les décors...

Trois récits qui finalement ne forment qu'une histoire : celle de trois femmes, dans un quartier paumé d'une ville pas si inconnue, au pavé humide et aux habitants presque funestes. Il y a Olive Day (Kathleen Fortin) qui sort avec un homme mou. Pourtant elle est dure, et s'amuse à le torturer en baisant ici et là avec plaisir. Mais elle lui dissimule le vérité à propos de leur fils, un fait qui se transforme en vraie bombe à retardement. Il y a Alison Ellis (Dominique Quesnel), mère de famille et épouse qui se trouve vieillissante. Son fils a reçu un coup de sabot d'un cheval devenu fou et il n'est plus lui-même depuis ce temps. Son mari ne dégage plus la sécurité qu'il représentait avant ; la famille est ébréchée... Et nous faisons la rencontre de la pute et junkie Tilly McQuarrie (Sandrine Bisson), au ventre scrap et à la tête pleine de secrets. Sans oublier ce personnage inconnu, l'homme thyroïde, au chien à trois yeux, qui se retrouve dans les trois histoires...

Une journée, trois récits qui s'entrecroisent, une fatalité.

     

Maxime Denommée relève haut la main ce premier défi de mise en scène. Du décor jusqu'aux photos dans le programme, on a porté un soin spécial à l'esthétique qui est d'une rare beauté. La scénographie en perspective d'Olivier Landreville est composée de trois portes, un mur de nuages peints, une rue pavée et quelques rebuts. Comme la journée racontée se passe sous la pluie, le pavé a un reflet légèrement mouillé. L'éclairage d'André Rioux, gothique au départ puis représentant cette journée pluvieuse et ce soleil qui perce les nuages vers le fin du récit, est travaillée. Mais tous ces artifices très bien conçus, incluant l'ambiance sonore de Larsen Lupin, collé aux éléments du texte, ne font qu'accentuer et aider le puissant récit. Les trois comédiennes nous offre une excellente performance, avec ce monologue à trois voix, en maniant avec dextérité et passion le langage cru et particulier de O'Rowe-Choinière. Particulier, parce qu'on a enlevé la plupart des pronoms personnels (surtout les "je") et que les verbes sont tous au présent, ce qui renforce l'effet choc et coup de poing de l'histoire et qui, par le fait même, nous demande quelques minutes d'adaptation pour comprendre parfaitement et apprécier le spectacle. On est appelé à travailler en faisant les liens pour bien suivre, en se créant un petit film intérieur. Mais ce n'est nullement un défi ou un désagrément, ça se fait tout seul et en douceur. On embarque totalement et avec plaisir dans un feu roulant d'événements tragiques qui nous tient en haleine jusqu'à la toute fin, où l'on se permet finalement de respirer. Les mots créent des images bruyantes qui éclatent dans notre tête. On y parle de plaisir, de douleur, de la vulnérabilité, de maternité, d'enfance, d'espoir.

J'adore me faire raconter une histoire, et grâce au talent des concepteurs, des comédiennes et de la direction de Denommée, on plonge véritablement tête première dans celle-ci...

04/03/2005