Du 13 janvier au 21 février 2009
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Le PillowmanLe pillowman

Texte : Martin McDonagh
Traduction : Fanny Britt
Mise en scène : Denis Bernard
Avec : Antoine Bertrand, Frédéric Blanchette, David Boutin, Daniel Gadouas et Marie-Ève Milot

Dans un État totalitaire, des policiers interrogent un jeune écrivain sur le contenu de ses nouvelles : leur ressemblance avec certains incidents étranges qui ont lieu dans la ville est en effet troublante. Or, ces récits sont à peu près inconnus. Demeuré un enfant, son frère semble pourtant les connaître...

Martin McDonagh propose ici une comédie noire à la fois vivifiante et dérangeante qui traite de la responsabilité de l’artiste face à sa communauté. C’est aussi un conte moderne qui parle des blessures que l’on porte en soi, d’amour fraternel et de la capacité d’émerveillement de l’enfance. The Pillowman a remporté le Laurence Olivier Award 2004 de la meilleure nouvelle pièce. L’auteur, reconnu dans plusieurs pays, nous a aussi donné The Beauty Queen of Leenane que La Manufacture produisait en 2001.

Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Mérédith Caron
Lumières : André Rioux
Musique originale : Ludovic Bonnier
Accessoires : Patricia Ruel

Une production du Théâtre de La Manufacture

Crédit photo : Rolline Laporte et Marie-Love Petit

La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

par Aurélie Olivier

La dernière pièce du Théâtre de la Manufacture, Après la fin, traitait de séquestration, d’intimidation, de prise de contrôle et de peur de l’autre. La noirceur est encore à l’honneur dans Le Pillowman, une pièce du très prisé auteur britannique d’origine irlandaise, Martin McDonagh, brillamment traduite par Fanny Britt.

PillowmanDans un État totalitaire, un écrivain (Antoine Bertrand) est interrogé par deux policiers sans scrupules (Daniel Gadouas, David Boutin). Les contes macabres qu’il invente à la pelle, et que seul connaît son frère (Frédéric Blanchette), handicapé mental, semblent en effet transposés dans la vie réelle (ils vont de la même façon se mêler à l’intrigue principale tout au long du spectacle). Les deux frères ont-il quelque chose à voir là-dedans ou s’agit-il d’une erreur monumentale?

On entend souvent dire que la télévision et les jeux vidéo, en banalisant la violence, sont responsables de sa montée chez les jeunes. La littérature, en revanche, est rarement montrée du doigt. Avec cette pièce, qui a remporté en 2004 le Laurence Olivier Award de la meilleure nouvelle pièce, Martin McDonagh s’interroge sur la responsabilité de l’écrivain (et plus largement de l’artiste) dans l’usage qui peut être fait de ses œuvres par la communauté. Multicouche, la pièce aborde également d’autres questions : celle de la privation des droits et des moyens qui peuvent être employés pour obtenir des informations en situation de crise; celle de la force des relations fraternelles; celle de la perte de l’innocence de l’enfance. Elle nous montre aussi comment chacun compose avec ses blessures, avec la violence à laquelle il a été confronté au cours de sa vie : certains exorcisent par la création, d’autres reproduisent, d’autres encore tentent de protéger ceux qui souffrent…

À l’image de la pièce, Olivier Landreville a conçu un ingénieux décor à double fond, suggérant que nombre de choses peuvent se cacher derrière ce que l’on voit. Au premier plan, une cellule matelassée, avec lit en fer, chaise et carrelage sale. Derrière des miroirs sans tain, les personnages des contes font de brèves apparitions, résolument grotesques. La mère de l’écrivain est ainsi incarnée par Frédéric Blanchette, grossièrement maquillé. Ce parti pris, s’il est gênant de prime abord (on commence par se demander si le metteur en scène Denis Bernard a voulu « économiser » un comédien), crée en fait un malaise de circonstance. Les personnages des parents sont ainsi aussi ridiculement pathétiques que leurs actions. Ils ressemblent aux marionnettes avec lesquelles ils confondent leurs enfants, soucieux qu’ils sont de les modeler, niant leur individualité. Quant aux personnages de l’enfant estropié et de la petite Jésus, ils sont tout simplement terrifiants. Les quelques effets vidéo (le visage de l’écrivain filmé par la caméra de surveillance projeté en gros plan sur les murs de la cellule), en revanche, n’apportent pas grand-chose et nous donnent plutôt le sentiment que le metteur en scène a sacrifié à la mode. Que l’on apprécie ou pas ses choix esthétiques, il n’en demeure pas moins que le talent de metteur en scène de Denis Bernard – qui a aussi signé pour le Théâtre de la Manufacture la mise en scène de Coma Unplugged, récompensé par le Masque Production Montréal en 2007 et le prix « Production montréalaise » de l’Association des critiques de Théâtre – est manifeste.

Pillowman
Crédit photos : Suzanne O'Neill

Durant tout le spectacle, la cruauté physique et psychologique est omniprésente et pesante pour le spectateur qui, de par l’exigüité et la configuration des lieux, se trouve presque au centre de la cellule, voyant même son visage se refléter dans les miroirs. Heureusement, l’humour permet de relâcher la tension de temps à autre et, constamment, on oscille entre l’horreur et la tendresse. Troublant.

La qualité du spectacle repose en grande partie sur le talent d’Antoine Bertrand et de Frédéric Blanchette. Le premier donne à l’écrivain une immense humanité, malgré son imagination tordue et les squelettes qui dorment dans son placard. Quant au second, il incarne avec subtilité le frère légèrement handicapé mental, un peu naïf, mais pas complètement, à la fois doux et cruel, impliqué et détaché. Il se dégage de leurs interactions une douceur et un amour palpables, extrêmement touchants. Une prestation que l’on retiendra.

17-01-2009

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