Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 11 octobre au 19 novembre 2011, du mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h
Chaque jour
Présenté à la Grande Licorne
Texte Fanny Britt
Mise en scène Denis Bernard
Avec Anne-Élisabeth Bossé, Vincent-Guillaume Otis et Marie Tifo

Lucie et Joe forment un couple qu'en apparence rien ne semble unir… sinon le sexe! Alors qu'ils passent un séjour en «amoureux» dans l'appartement chic de la patronne de Lucie, le couple se retrouve au bord du précipice. Ce week-end-là, Joe a «trouvé» un iPod dans le métro et son contenu musical sera à l'origine d'un grand bouleversement. Résisteront-ils à la secousse?

Chaque jour pose un regard aimant, parfois dur, jamais complaisant, sur ce que nous sommes. Au-delà de cette fascinante histoire de couple, se trame l'avenir d'une femme qui est obligée de reconsidérer le monde dans lequel elle a choisi de vivre encore et toujours. Combien de temps supportera-t-elle l'insupportable? Et comment son amant, qui découvre soudainement la «beauté» dans un iPod, pourra-t-il aller dans l'insondable, entrer en lui-même et découvrir tous les trésors qui l'habitent peut-être? Une situation dans laquelle nous pouvons aussi nous reconnaître comme société. Que sont devenus nos désirs, nos rêves?

Fanny Britt, entre autres auteure des pièces Hôtel Pacifique (2009) et Enquête sur le pire (2010), signe ici un texte percutant. La mise en scène est confiée à Denis Bernard, qui s'est fait remarquer avec ses mises en scène de Coma Unplugged (2007) et Le Pillowman (2009) pour le Théâtre de La Manufacture.


Assistance à la mise en scène Marie-Hélène Dufort
Décor Olivier Landreville
Costumes Marc Senécal
Éclairages André Rioux
Musique Ludovic Bonnier
Accessoires Fannie Breton-Yockell
Maquillages Suzanne Trépanier

Tête-à-tête : Jeudi 20 octobre

Une production du Théâtre de La Manufacture


Théâtre La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

Facebook Twitter
 
______________________________________
 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Suzanne O'Neill

Au moment de pénétrer dans la grande salle de la Licorne reconstruite, Fanny Britt demeurait à mes yeux une dramaturge douée, mais dont le talent n’avait pas encore totalement éclos. Après la présentation de sa nouvelle création intitulée Chaque jour, la même impression perdure. Et ce n'est pas le trio de comédiens extrêmement talentueux qui parvient à sauver son très décevant texte.

Malgré leurs indéniables qualités, les œuvres précédentes de l’auteure (Couche avec moi c’est l’hiver, Hôtel Pacifique et Enquête sur le pire) n’avaient pas créé l’effet marquant qui témoignait d’une signature distinctive. Elles savaient néanmoins décrypter avec une grande perspicacité les travers et les failles de la société contemporaine. Sa plume exposait plus particulièrement l’état d’esprit d’une génération en manque de repères, engloutie dans les affres de la solitude et les pièges tendus par un présent consumérisme. La pièce Chaque jour s’inscrit dans ces portraits emblématiques des fragiles relations interpersonnelles, mais qui laisse surtout un sentiment d’inachèvement par son manque d’unité malgré l’esquisse de pistes intéressantes. Quant au genre fantastique peu fréquent sur les scènes de théâtre, celui-ci avait connu une expérience plus convaincante avec À présent de Catherine-Anne Toupin.

Pendant près d’une heure trente, l’histoire se penche sur la petite vie de misères quotidiennes de Lucie et Joe, un couple que rien ne semble rapprocher. Elle aime chanter dans les bars de karaoké, il préfère regarder le hockey à la télévision. Un soir, Lucie doit se rendre dans le luxueux appartement de sa patronne pour nourrir son chat. Elle décide d’inviter son mec pour profiter du confort du lieu. Entre deux échanges d’une extrême banalité, Joe lui avoue la jouissance ressentie après avoir volé un iPod à un «fif» dans le métro. D’abord d'un ton réaliste, c’est l’une des pièces musicales téléchargées sur le baladeur numérique qui va plonger la pièce dans un climat fantastique dont l’étrangeté se révèle au final plus confuse que prenante.

Le principal problème de cette production demeure son manque de profondeur et d’ancrage. Rarement, les personnages atteignent une dimension qui les élève au-delà de la caricature de la fille de club, de l’homophobie assumée d'un macho et de la patronne qui ressemble à une blonde poupée Barbie obnubilée par son image. Ces clichés les rapprochent plus d’un théâtre d’été (à entendre les rires des spectateurs à plusieurs reprises) ou d’un feuilleton télévisé. Avec un matériau similaire, des auteurs comme Serge Boucher ou Jean Marc Dalpé auraient probablement conféré aux protagonistes une portée plus tragique dans leur misérabilisme. Ni attachantes ni totalement antipathiques, les créatures de Fanny Britt demeurent ainsi plutôt ennuyantes. Par ailleurs, l’approfondissement de détails à priori anodins (comme la passion du karaoké de Lucie, la mélodie qui a détraqué Joe dont on entend seulement qu’un bruit en sourdine ou des révélations sur la mort du mari de la patronne) apporterait un peu de chair autour de l’os. Malgré un rythme soutenu, la pièce se termine abruptement, sans éclat et sans dénouement saisissant.

La mise en scène de Denis Bernard évoque certaines de ses réalisations antérieures réussies, notamment Coma Unplugged, par son habileté à recréer une palpable tension dans la progression de l’action et sa solide distribution d'acteurs. Ses trois interprètes démontrent encore une fois leur talent malgré la faiblesse de la partition. Marie Tifo se révèle exquise en arriviste au ton mielleux qui dévoile peu à peu son venin. Brillante, Anne-Élisabeth Bossé émeut par la vulnérabilité de sa Lucie qui rappelle une autre comédienne fort douée,  Markita Boies. Son partenaire de jeu, Vincent-Guillaume Otis livre également une prestation sentie en viril antihéros. 

Pour la réouverture de la salle de la rue Papineau, le directeur artistique Denis Bernard espérait un grand coup en cette saison automnale. Le résultat n'est donc pas à la hauteur des attentes. Même si Chaque jour ne risque pas de laisser de souvenirs impérissables auprès du public, on peut souligner le désir de Fanny Britt d’aborder de nouvelles avenues au risque parfois de se tromper.

15-10-2011