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Du 5 au 12 avril 2017
Noyade(S)
pour les 12 à 17 ans
Écriture et mise en scène : Jean-François Guilbault et Andréanne Joubert
Soutien dramatique : Rebecca Déraspe
Avec Alex Trahan, Anne Trudel, Marc-André Poliquin avec Cassandre Émanuel

Louis, le bon garçon sociable, et la solitaire Sedna naviguent à cent à l’heure entre leur connexion internet et leur réalité quotidienne, entre la maison et l’école. Mais devant leur écran, c’est une autre histoire : Louis se cherche des superpouvoirs, alors que Sedna, elle, s’imagine une nouvelle vie, loin de son univers étouffant. Tous les deux rêvent d’une porte de sortie, d’un exit à leurs inconforts, à leur ennui, et c’est le web qui leur fournira le moyen de s’évader…

LA RÉALITÉ VIRTUELLE… ET CRUELLE !
Un personnage mystérieux à tête de loup, Narcisse, apparaît sur les réseaux sociaux. Frondeur, irrévérencieux, charmeur et provocateur, il reste surtout anonyme. Il offre aux autres la liberté d’être eux-mêmes et de s’exprimer en quelques clics de souris. Tous deviennent obsédés par ce sauveur numérique, ils se connectent à lui comme on se branche à un respirateur artificiel. La situation dégénérera en cyberintimidation, ce qui les entraînera tous dans une dégringolade qui, elle, sera bien réelle…

Inspiré par le mythe grec de Narcisse et la légende inuite de Sedna, ce spectacle coup-de-poing propose une réflexion sensible sur la construction de l’identité, la notion de responsabilité et celle de citoyenneté numérique.


Conception visuelle : Joëlle Péloquin et Gabrielle Bossé-Beal
Vidéo : Mathieu Doyon
Musique : Jean-François Pedneault
Éclairages : Julie Brosseau-Dorée
Direction production : Joëlle Tougas et JF Guilbault
Direction technique et régie : Émilie Boyer-Beaulieu et Mélissa Perron

Durée 80 minutes

Une création de Samsara Théâtre


Maison Théâtre
245, rue Ontario Est
Billetterie : 514-288-7211

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Dates antérieures (entre autres)

Festival Rencontre Théâtre Ados en 2014

 
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Critique

Peut-on exister sans le regard d’autrui posé sur soi vingt-quatre heures sur vingt-quatre? Est-il légitime de se construire une nouvelle personnalité plutôt que d’affronter ses limites? À la Maison Théâtre, la production Noyade(S) de la compagnie Samsara Théâtre, rédigée et dirigée par Jean-François Guilbault et Andréanne Joubert, saisit avec une violence lucide des tourments d’une jeunesse actuelle.


Crédit photos : Gauthier Mignot

Conçue initialement pour les douze à dix-sept ans, la pièce d’une durée d’environ 80 minutes rejoint le public, toutes générations confondues. Elle traite des enjeux éthiques autour du monde virtuel, où chacune et chacun seraient, en principe, libres de s’inventer une identité. L’histoire explore les angoisses et les états d’âme de Louis (Alex Trahan), un garçon gentil, mais complexé, et de Sedna (Anne Trudel), une fille solitaire. Tous deux naviguent sous divers pseudonymes sur Internet. Mais aucune obligation de dire la vérité n’existe devant un écran d’ordinateur. Louis se prétend à la recherche de nouveaux pouvoirs pour compenser sa timidité et son apparence «ordinaire», tandis que Sedna rêve du prince charmant et de liberté loin de son père qui l’ignore depuis le décès de sa mère. Or, un mystérieux et inquiétant Narcisse à la tête de loup surgit sur les réseaux sociaux (Marc-André Poliquin), permettant à des centaines d’internautes de s’exprimer sans censure ou pudeur. Mais pas sans conséquence.   

Précédemment, la compagnie avait conquis les sens et le cœur des tout-petits avec Déjà au début. Le charme opère tout autant dans Noyade(S) dans un registre diamétralement opposé avec ses couches d’angoisses bien contemporaines. Le spectacle s’amorce dans de magnifiques éclairages bleus de Julie Brosseau-Dorée. Le travail scénographique permet avec une très grande ingéniosité de passer d’un endroit à l’autre, avec chaque fois des atmosphères très distinctes (clinique comme dans un hôpital pour les moments à la maison et à l’école, feutrée pour les fêtes bruyantes, plus ludique avec des teintes de vert pour les séances à la piscine scolaire).      

Le propos de Noyade(S) s’inspire du mythe de Narcisse, et de la légende inuite de Sedna. Pourtant, une autre figure emblématique imprègne davantage les questions soulevées par le sujet, soit le Frankenstein popularisé par Mary Shelley. Rapidement, le Narcisse, d’abord fruit de l’imagination de son instigateur très naïf, devient un monstre qui exacerbe les fantasmes de deux adolescents (et de certains de leurs consœurs et confrères de classe). Il permet à ceux-ci de soi-disant briser les nombreux interdits d’un univers où le contrôle presque totalitaire de la vie privée et les pulsions exhibitionnistes se conjuguent sans difficulté. Les auteurs soulignent avec ironie la dépendance de ces individus à actualiser sans cesse leur page Facebook, à oser envoyer des photos de nudité, à filmer en direct des partys et à délirer sur un gars inexistant (Narcisse) imaginé avec un corps parfait et une empathie sans limites. Par conséquent, le désenchantement qui s’ensuit se répercute avec encore plus de férocité, tout comme la solitude qui perdure malgré les occasions pour s’étourdir.


Crédit photos : Gauthier Mignot

Sur les scènes québécoises, les enjeux autour de l’omniprésence du monde virtuel dans nos existences occupent une place importante ces dernières années. Mentionnons, entre autres, Le iShow et Siri de Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais. À cet effet, la grande force de cette proposition audacieuse de Joubert et de Guilbault réside dans sa maitrise de la technologie. Cette dernière n’envahit jamais le récit, mais l’accompagne harmonieusement. Sur le plan dramaturgique, l’écriture puise même étonnamment dans différents registres. Les répliques dites en duo, surtout au début afin de démontrer la routine aliénante du réveil avant de se rendre à l’école avec la reprise du thème musical de Superman par John Williams et d’une sonnerie stridente de réveille-matin, évoquent certaines phrases célèbres des Belles-sœurs de Michel Tremblay. Malgré les décennies de différence entre Noyade(s) et la cupidité de l’entourage de Germaine Lauzon, les personnages ne semblent pas s’être beaucoup affranchis d’une «maudite vie plate», malgré le confort matériel et l’évolution des mœurs. Par ailleurs, les passages les plus émouvants sont les plus dépouillés ; par exemple, lorsque Sedna ni tout à innocence, ni tout à fait cynique, témoigne de son mal-être et de sa souffrance si envahissante et si perceptible.             

Les interprètes démontrent une touchante justesse et une admirable souplesse physique dans les séquences acrobatiques (qui ont suscité bien des réactions favorables de l’auditoire). Si les acteurs masculins insufflent l’énergie et la sensibilité adéquates à leurs rôles, leur partenaire féminine, Anne Trudel, s’avère bouleversante dans la peau de Sedna, une adolescente aussi résiliente que fragile. Les deux metteurs en scène ont ainsi orchestré les divers éléments de la partition sans fausse note.

À la sortie du théâtre, émane un sentiment d’espoir, en adéquation avec une finale qui ne se «noie» pas dans la noirceur exposée tout au long de cette Noyade(S), miroir courageux et sans faux-fuyants de notre époque. 

06-04-2017