Du 28 avril au 23 mai 2009
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Blackbird

Texte de David Harrower
Traduction Étienne Lepage
Mise en scène Téo Spychalski
Avec Gabriel Arcand, Catherine-Anne Toupin

Quinze ans après l’aventure érotique d’un homme mûr avec une très jeune fille - beaucoup trop jeune pour que cela reste sans conséquences personnelles et légales graves - l’homme et la femme se rencontrent inopinément. Mais pas par hasard. Non. La femme, aujourd'hui adulte, a tout fait pour y arriver. Pourquoi? Ont-ils des choses à se dire? Pour elle, c’est impératif : elle ne pouvait pas ne pas retrouver cet homme. Elle devait l’approcher, le confronter et plus encore : se dévoiler, se montrer, telle qu’elle est maintenant, grande et mûre.  Bien sûr, le syndrome de Lolita flotte dans l'air, mais sans jamais être nommé. On ne verse pas ici dans les bonnes intentions, ni dans les condamnations faciles.

La femme n’est pas simplement une victime ou - certainement pas - uniquement la victime. Elle ne veut pas de ce rôle et elle doit s'en sortir. Elle veut être pleine et complète. Elle veut, si l’on peut dire, être complétée. C’est un impératif aussi fort que l’instinct de survie. Tous deux retrouvent leurs ambiguïtés, leurs impulsions mi-conscientes. Ils découvrent les malentendus et les malchances du passé. Sous un tas de résistances, d'interdits, de blocages, elle, la femme, Una, veut découvrir l’authenticité et, pourquoi pas, la pureté de ses impulsions d’enfance. Et l’homme?

David Harrower, né à Edimbourg en 1966, est un dramaturge écossais et britannique de la nouvelle génération, acclamé déjà pour sa première pièce Knives in hens (Des couteaux dans les poules). Parmi ses autres pièces, mentionnons : Tuer les vieux et torturer les jeunes (1998), Presence (2001), Dark Earth (2003). Blackbird remporte de nombreux prix et est jouée en Allemagne, en Autriche, en Suède, en Norvège, aux Etats-Unis. Il s’agit donc d’une première canadienne.

Une production Le Groupe de la Veillée

Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582

par Aurélie Olivier

Una a 27 ans. À l’époque elle en avait 12. Quinze ans ont donc passé, quinze ans durant lesquels on ne lui a fait aucun cadeau. On : sa mère, ses voisins, ses camarades de classe… Tous lui ont fait porter la honte de ce qui est advenu, de cette relation innommable avec un adulte de trente ans son aîné, Ray. Lui, il a porté le blâme et croupi en prison, affublé du titre d’abuseur d’enfants. Quinze ans plus tard donc, elle le retrouve, par hasard, grâce à une photo parue dans un journal. Il a refait sa vie, changé de nom, changé de ville quand elle est restée là, le poids du passé pesant lourd sur ses épaules. Dans une salle de repos glauque et pleine d’ordures, qui semble une métaphore de ce qu’ils ont traversé, ils font le point sur ce qui s’est passé, sur ce qu’ils sont devenus, sur ce qu’ils ont ressenti à l’époque.

Blackbird, de l'Écossais David Harrower – ici traduit par Étienne Lepage –, se penche sur une relation que la société condamne, donnant aux protagonistes l’occasion d’exposer leurs sentiments. Ici, pas de parti pris, pas de condamnation, seulement un autre regard, et c’est ce qui fait tout l’intérêt et toute la force du texte : nous obliger à ne pas prendre position.

La langue de Harrower est hachée, elliptique, laissant une grande place aux non-dits. Le metteur en scène Téo Spychalski a choisi de laisser flotter des silences à la fin des phrases inachevées, au lieu de superposer les répliques. Le procédé contribue à nous déstabiliser : ni les mots, ni la façon dont ils sont dits ne correspondent à ce que l’on attend. Progressivement se dresse le portrait de ce qu’a été la relation interdite, mais surtout de la façon dont chacun a tenté de l’appréhender et des choix qu’il a faits pour y survivre.

La jeune femme, incarnée par Catherine-Anne Toupin, est d’abord virulente, accusatrice, cédant à des accès de violence désordonnés (qui la font presque ressembler à un pantin désarticulé et empêchent quelque peu l’empathie de naître). Rapidement, ses mots deviennent plus proches de ceux d’une maîtresse bafouée que d’une enfant abusée, illustrant la complexité de « l’affaire ». De phrases inachevées en tentatives de justification et d’apaisement, Gabriel Arcand incarne avec beaucoup de subtilité un homme humilié, blessé, perclus de remords – mais pas pour les raisons que l’on pourrait imaginer.

Une enfant qui a des relations sexuelles avec un adulte peut-elle être autre chose qu’une victime? L’homme peut-il être autre chose qu’un agresseur, un pédophile? Voilà la question dérangeante que pose la pièce, en se gardant bien d’y répondre, exposant simplement les faits. Le genre de spectacle dont on ne sort pas indifférent.

01-05-2009

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