15 novembre, 18 au 22 novembre 2008, 20h15
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Rythmes (Pas et Comédie)

Texte de Samuel Beckett
Mise en scène Serge Mandeville
Avec Marie-Ève Bertrand, Caroline Tanguay, Caroline Lavigne et Serge Mandeville.

Pas : l’ultra lente, une femme fait neuf pas dans un sens, neuf pas dans l’autre à répétition pour
essayer de se convaincre qu'elle existe bel et bien.
Comédie: l'ultra rapide, un homme, son épouse et son amante dans les limbes. Une lumière les interroge et les oblige à raconter à répétition l'histoire de leur fin.

Carte Prem1ère
Régulier : 21$
Abonnés : 10,50$
Dates Prem1ères : du 28 octobre au 1er novembre 2008

AbsoluThéâtre

Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582

par Mélanie Viau

Suis-je ? La question plane sur l’ensemble de l’œuvre de Beckett, donnant à ses personnages un caractère énigmatique ouvrant sur cette dimension métaphysique de l’être où la ligne de partage entre toute dichotomie ne peut être tracée distinctement. Qui sont-ils ? Ils sont paroles, ils sont volumes dans l’espace, ils sont mouvements minimalistes… Des formes qui discutent, inlassablement, pour prouver leur réalité. Et cette réalité devient tangible par le potentiel physique de la scène, par la lumière modelant les textures, par le bruitage et les voix résonnant dans l’espace. Mettre en scène Beckett, c’est accepter d’entrer de plain-pied dans cette exploration « contrôlée » de la scène pour faire entendre la parole de l’auteur, chose que Serge Mandeville a réussi avec brio en présentant Rythmes, un rassemblement de deux créations d’Absolu Théâtre ayant récolté bon nombre d’éloges par le passé, soit Pas/Footfalls (2003) et Comédie (2006). De la lenteur extrêmement lourde à la rapidité étourdissante, le passage entre les deux pièces est celui d’êtres dissociés de leurs corps cherchant à comprendre ce qui leur arrive. Pour les amoureux du théâtre de l’absurde, le bonbon est garanti, et pour les autres… parions que vous y retournerez après avoir goûté à celui-là, car oui, c’est encore d’actualité.

Arpentant pesamment la scène de long en large dans sa robe de mousseline blanche (costumes et décors de Marianne Forand), Emy, tel un fantôme, entretient un dialogue avec sa mère, Mme Winter (en voix off), sous le signe de l’absence. Absente à elle-même dans absence de l’autre, le personnage, d’un regard vide et d’un ton monocorde, ressasse les mêmes discours, les mêmes angoisses, écoutant le bruit de ses Pas résonnant dans toute la salle. L’éclairage fixe créant un unique corridor de lumière (conception de Renaud Pettigrew) plonge la comédienne Caroline Tanguay dans une atmosphère étrangement fabriquée, produisant chez le spectateur hypnotisé et engourdi le sentiment inconfortable d’avoir en face de lui un objet sur lequel il n’a pas d’emprise. Certes, on peut lutter à certains endroits pour conserver l’écoute tout en gardant les yeux rivés sur le déplacement cadencé au rythme de l’ennui, mais si on demeure sensible face à la grande habileté de ces artistes à construire une forme qui tient lieu du sens et qui l’englobe dans un tout autonome et cohérent, nous ne pouvons qu’être captivés par cet univers scénique.

Emprisonnés côte à côte dans un amas de tissus les enserrant chacun jusqu’au cou, un homme, sa femme et sa maîtresse débitent, dans un rythme effréné, l’histoire de la chute de leur triangle amoureux. Droit de parole attribué par la lumière aveuglante d’un projecteur braqué tour à tour sur chacun d’eux, la Comédie, pathétique et cruelle, tient de la répétition du discours essoufflé et de la privation de leur chair, tel un châtiment, une condamnation à la solitude. Le visage recouvert de suie, Marie-Eve Bertrand (la femme), Caroline Lavigne (la maîtresse) et Pierre Limoges (l’homme) tiennent une diction impeccable frôlant la virtuosité, jouant de rires hystériques, de hoquets mal contrôlés, de faciès grimaçants. L’étrangeté d’un tel dispositif à trois têtes provoque à lui seul le rire, ce qui rend l’absurdité de la situation encore plus flagrante et d’autant plus efficace quand il est question de relations humaines déficientes.

À coup sûr, Rythmes vaut le déplacement, ne serait-ce que pour la découverte de textes moins connus de Beckett, plus minimalistes, mais tout aussi chargés de sens et de réflexions que ceux qui ont fait la renommé de cet homme de théâtre hors du commun.

18-11-2008

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