Isabelle est juive, Patrick ne l’est pas. Ils se marient. Pendant la célébration, Philippe, le meilleur ami de Patrick, pose des gestes antisémites discutables. Plusieurs invités sont en colère et Isabelle frappe Philippe sous le coup de l’émotion, le blessant sérieusement. Ce mariage n’est pas comme on l’avait espéré. L’après-mariage est encore pire…
Mazal Tov est une comédie noire dont le texte franc et direct présente des dialogues vifs, coupés au couteau. Après les succès de Tranchées et de L’Ouest Solitaire dans la Salle intime, et des Ossements du Connemara sur la scène principale du Prospero, le Théâtre Bistouri poursuit une démarche solidement amorcée en proposant cette fois une première création dont l’univers et l’humour sont à découvrir.
Texte et mise en scène Marc-André Thibault
Avec Jean-François Casabonne,
Stéphanie Jolicoeur,
Alexis Lemay-Plamondon,
François-Simon Poirier
Crédits supplémentaires et autres informations
Costumes Claudia Ruel
Décor Cédric Lord
Musique Vincent Pascal
Éclairages Roxanne Doyon
Mardi 20h15, mercredi 19h15, jeudi-vendredi 20h15, samedi 16h15
TARIFS
Scène principale - régulier 35$, sénior 65 ans et + 28$, 30 ans et - / membres 26$
Scène intime - régulier 28$, sénior 65 ans et + 25$, 30 ans et - / membres 23$
Les prix incluent les taxes, commande en ligne ou par téléphone : frais de service de 3$ par billet
Production Théâtre Bistouri
Avec des titres comme Tranchées de Hanokh Levin ou encore Conversations avec mon pénis de Dean Hewison, le Théâtre Bistouri ne cherche certainement pas les univers douillets ou la dentelle. Leur nouvelle production, Mazal Tov, est signée et dirigée par le directeur artistique et fondateur de la compagnie «incisive», Marc-André Thibault. Présentée dans la Salle intime du Théâtre Prospero, l’œuvre scénique séduit par son courage et sa causticité.
Sur le site Internet du Bistouri, Thibault explique vouloir créer «un théâtre qui creuse l’humain et qui s’efforce de le comprendre dans ses bons et moins bons angles». Pendant environ une heure et quarante minutes (une durée de plus en plus en rare pour ce type de création), l’histoire se penche sur un quatuor de personnages assez singuliers, mais aussi très près de nous. Elle conjugue les problèmes conjugaux et amicaux, surtout les frictions quand l’une titille l’autre de trop près. Nous rencontrons un couple hétérosexuel, Isabelle (Stéphanie Jolicoeur), une séduisante (et légèrement hystérique et capricieuse) juive nouvellement mariée à Patrick (François-Simon Poirier), qui lui ne l’est pas. Or, le meilleur ami de ce dernier, Philippe (Alexis Lemay-Plamondon) aurait commis un geste «discutable» lors de la cérémonie, en plus de lancer sans gêne des blagues douteuses. La belle-famille est en colère. Isabelle blessera gravement Philippe. La comédie et le drame s’enchevêtrent lorsque Patrick se retrouve également à l’hôpital pour une initiation qui a mal tourné. Le tableau d’ensemble comprend également un beau-père colérique, mais aussi compréhensif, Ariel Wiseman (Jean-François Casabonne) et un climat social chatouilleux à la moindre allusion polémique.
Malgré certaines divergences quant à leurs univers respectifs, le propos rappelle beaucoup le Baby-sitter de Catherine Léger. Les deux pièces traitent des risques permanents à l’ère des réseaux sociaux et de la dissipation de nuances, alors que les controverses risquent d’éclater à tout instant. Sous les loupes grossissantes des internautes, personne ne se retrouve donc à l’abri. Par ailleurs, lors de la convalescence de Patrick, son ami en profite pour sortir son téléphone cellulaire pour filmer leur échange avant de le diffuser sur Facebook. Il prend aussi la peine de préciser le nombre de j’aime accumulés en peu de temps sur sa mésaventure. Le malheur personnel du nouveau marié a provoqué bien du bonheur sur la toile. Les quinze minutes de gloire prophétisées autrefois par Andy Warhol sont exposées ici dans toutes leurs grandeurs et misères, surtout que, comme l’explique Philippe, la «quantité ahurissante de vidéos partagées entraîne rapidement leur péremption».
L’un des aspects intéressants de ce Mazal Tov demeure son aisance à naviguer dans les zones obscures et souvent contradictoires de ses protagonistes. Jamais complètement victimes ou mesquins (mais parfois un mélange explosif des deux), ceux-ci n’hésitent pas non à montrer leurs défauts et à nous laisser dans le doute. Philippe a-t-il vraiment fait un salut hitlérien? Isabelle avait-elle raison de causer à Philippe des dommages pour le reste de sa vie? Patrick doit-il défendre sa douce moitié au détriment de son grand chum? Le texte ne nous donne pas de réponses définitives, et surtout évite les discours moralisateurs de bonne conscience. Les travers des individus nous les rendent encore plus sympathiques et plus humains (mais pas nécessairement excusables). Les réactions de la salle sont contagieuses. L’auteur parvient donc assez habilement à parler des différences culturelles et de la rectitude politique actuelle.
Répartie en différentes sections, dont une surélevée pour les scènes d’hôpital, la scénographie de Cédric Lord permet assez ingénieusement aux personnages de se déplacer d’un lieu à l’autre. Les changements à l’hôpital derrière le rideau sont très réussis. Par ailleurs, la musique de Vincent Pascal accompagne joliment l’action, tout comme les éclairages de Roxanne Doyon.
La mise en scène de Marc-André Thibault focalise principalement sur ses quatre interprètes. Chacun d’eux témoigne d’une certaine justesse la plupart du temps, même si le seul rôle féminin de la distribution ne paraît pas aussi développé que les trois autres masculins. Remarqué récemment pour sa forte prestation dans le long-métrage La Petite fille qui aimait trop les allumettes, Jean-François Casabonne confère une sensibilité à ce beau-père qui doit apprendre à apprécier son gendre. Fort heureusement, il ne tombe pas dans une caricature de patriarche fanatique. Alexis Lemay-Plamondon insuffle un dosage très crédible à cet homme à la fois tendre et grossier. Sa bromance avec le Patrick de François-Simon Poirier apporte une touche attendrissante à l’ensemble.
Le Théâtre Bistouri avait déjà foulé les planches du Prospero antérieurement avec L’Ouest Solitaire et Les Ossements du Connemara, tous deux écrits par l’Irlando-Britannique Martin McDonagh. Parions que d’autres rendez-vous futurs combleront un auditoire qui aime rire férocement, à l’image du présent Mazal Tov, d’une plume québécoise affirmée.