Du 4 au 20 mars 2010
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On achève bien les chevaux

Texte (librement adapté du roman d’Horace McCoy) et mise en scène : Marie-Josée Bastien
Avec: Emmanuel Bédard, Lorraine Côté, Jean-Michel Déry, Hugues Frenette, Vincent Fafard, Érika Gagnon, Annie Larochelle, Véronika Makdissi-Warren, Valérie Marquis, Sylvain Perron et Réjean Vallée

On achève bien les chevaux nous transporte dans les années 1930 à Québec, où se déroule un impitoyable marathon de danse dont l’enjeu est de 1 500$. Un grand prix qui assure au couple gagnant un avenir, qui permet tous les espoirs et qui justifie tous les excès ! Une histoire dans laquelle tournent les rêves et tombent les corps.

Marie-Josée Bastien, qui signe l’adaptation de ce roman, a fait appel au talent du réputé chorégraphe Harold Rhéaume pour donner vie à ces héros du quotidien que le mirage d’une vie meilleure entraîne dans une valse extrême. Onze comédiens et, pour l’occasion, danseurs, règlent leurs émotions et leurs pas sur ceux de femmes et d’hommes ayant refusé d’être les victimes consentantes de ce qui fut la plus grande crise économique du XXe siècle.

Extrait vidéo disponible ici

Assistance à la mise en scène : Christian Garon
Collaboration aux mouvements : Harold Rhéaume
Décor : Christian Fontaine
Costumes : Isabelle Larivière, assistée de Marie-France Larivière
Éclairages : Denis Guérette
Bande sonore : Stéphane Caron
Coiffures et maquillages : Angelo Barsetti
Conception graphique : Elena Fragasso

Une coproduction du Théâtre Niveau Parking et du Théâtre Les Enfants Terribles

Quat'Sous
100, ave. des Pins Est
Billetterie : 514-845-7277

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Création au Périscope, Québec, Du 12 septembre au 7 octobre 2006, puis du 5 au 16 décembre 2007, au Périscope, entre autres.

par Daphné Bathalon

Grande dépression sur fond de swing

D’abord, une confession. Je dois vous avouer avoir adoré le roman d’Horace McCoy dès ma première lecture et l’avoir tout autant apprécié à mes relectures subséquentes. Cet aveu de totale partialité fait, je me sens plus libre de vous confier avoir beaucoup aimé son adaptation (très libre, dixit le programme) qui nous arrive de Québec et qui prend l’affiche au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 20 mars.

Début des années 1930, le Québec est plongé dans la pire crise économique de sa jeune histoire. Le taux de chômage atteint des sommets, les gens ne possèdent presque plus rien, parfois ils sont même privés de dignité. Dans la Basse-Ville de Québec, un homme organise un marathon de danse afin de détourner l’attention des quais où s’effectuent d’illégaux chargements. Le couple qui demeurera seul en piste empochera la somme rondelette de 1500$, une fortune. Plus de 70 couples entrent dans la danse dont Renaud et Élisabeth, les figures centrales de la pièce.

Mais comment recréer sur scène une telle masse de danseurs, en plus de la foule de spectateurs et de la fièvre de cette époque? Avec le soutien de pas moins de onze comédiens, l’auteure et metteure en scène Marie-Josée Bastien a brillamment relevé ce défi. Les couples de comédiens se font et se défont pour simuler un plus grand nombre de participants, tandis que nous, spectateurs du Quat’Sous, formons une partie de la foule. Le maître du jeu nous interpelle et réclame nos encouragements. Nous sommes présents dans cette salle et nous assistons à la chute rapide des personnages vers un enfer où aucun rayon de soleil ne filtre. Outre la transposition de l’histoire des États-Unis vers la ville de Québec, l’auteure n’a guère modifié la trame originale, respectant les grandes lignes ainsi que la structure du roman : Renaud, le narrateur, subit son procès et, pendant la minute précédant l’annonce de sa sentence, se remémore ces jours où il a connu Élisabeth en dansant avec elle.

Bastien signe une mise en scène qu’aucun temps mort ne vient marquer. Chorégraphiés dans leurs moindres détails, les gestes des comédiens illustrent l’aliénation d’un peuple et de sa misère. Grâce aux mouvements de plus en plus lents, de moins en moins énergiques, on démontre l’épuisement des corps et des esprits. Sur ce point, les chorégraphies d’Harold Rhéaume font merveille. Au fil de la représentation, les costumes deviennent ternes, les souliers disparaissent, on ne se soucie plus de danser en sous-vêtements, les visages s’allongent et les cernes noircissent. Ainsi, le spectacle, monté comme un reality show nous rappelle sans qu’il y ait besoin de souligner les parallèles et de multiplier les clins d’œil, que nous ne sommes pas différents du public des années 30. Comme eux, nous assistons en direct au désespoir grandissant des personnages et en redemandons. La téléréalité ne date pas d’hier…

Unique maillon faible de cette adaptation : la répartition des répliques a fait disparaître plusieurs personnages secondaires et transformé ceux qui restent en des couples plutôt stéréotypés : les jeunes mariés heureux, le couple brisé, le vieux couple bourgeois, etc. Heureusement, l’épuisement physique et moral dû aux longues heures de danse nous permet d’en apprendre peu à peu sur leur véritable nature.

Goodman, Fitzgerald, jazz, swing, la proposition musicale de Stéphane Caron habille encore mieux la scène que ne le ferait un décor. Elle représente à elle seule toute une époque et résonne pendant presque les deux heures trente que dure la représentation. La musique nous donne envie de danser, même en voyant ces couples défaits, ces hommes et ces femmes détruits, ravalés au rang d’animal. Ce ne sont plus des êtres humains qui s’écroulent et agonisent sous nos yeux. Et quand ils arrivent au bout de tout, quand il ne leur reste plus rien, pas même le rêve d’une vie meilleure, peut-on leur reprocher de croire alors que la mort serait pour eux un doux refuge?

Dans une poignante scène finale, Érika Gagnon nous fait oublier nos premières réticences quant au visage qu’elle donne à Élisabeth et balaie tous nos doutes sur le choix de casting. Très loin de l’image que l’on se faisait de Gloria (ici rebaptisée Élisabeth) à travers roman et film, Gagnon révèle la profondeur du désespoir de ce personnage et nous ébranle.

« J’entendais la misère d’un continent » nous confie Renaud. Au théâtre ce soir-là, nous avons entendu le martèlement des chevaux et l’essoufflement des hommes, portés par un espoir illusoire, pendant que l’orchestre accompagnait la voix d’Ella Fitzgerald : It makes no difference if it's sweet or hot. Just give that rhythm everything you got. It don't mean a thing, all you got to do is swing…

06-03-2010

par Isabelle Girouard

On achève bien les chevaux est une libre adaptation de Marie-Josée Bastien du roman d'Horace McCoy, publié en 1935. Après quatre années de travail et de recherche, Mme Bastien en signe aussi la mise en scène. L'histoire nous situe dans le Québec des années trente, au coeur de la crise économique.  La misère pousse différents couples à s'inscrire à un marathon de danse, dont le prix est une somme faramineuse, promesse d'un avenir assuré. Organisé et animé par le personnage de Ludger Drouin (Jean-Michel Déry), ce concours est en fait une distraction pour la population et la police: au même moment se trame une transaction illicite dans le Port de Québec.      

Produite l'automne passé au Périscope, On achève bien les chevaux raconte une histoire simple, avec profondeur et sensibilité. Au milieu d'un décor épuré, le texte nous est révélé dans une mise en scène poétique et soutenue par onze comédiens maîtrisant parfaitement le jeu et la danse - Harold Réhaume a d’ailleurs dirigé les chorégraphies. La scène est transformée en piste de danse où évolueront, sous l'oeil de la foule invitée à assister au marathon (nous!), des couples démunis, manipulés et humiliés. On ne sort pas indemne de ces deux heures de représentation.

Magnifique et bouleversant.

14-12-2007

par Magali Paquin

Dans ce fruit d’une heureuse collaboration entre le Théâtre Les Enfants Terribles et le Théâtre Niveau Parking, Marie-Josée Bastien, cette fois auteure et metteure en scène, propose une adaptation théâtrale du roman de Horace Mac Coy publié en 1935. « On achève bien les chevaux » (They Shoot Horses, Don’t They ?) s’atèle à étaler la misère humaine au rythme d’un marathon de danse de la dernière chance, où hommes et femmes s’engagent jusqu’à l’avilissement dans l’espoir de remporter le gros lot. Au cœur de la Grande Crise des années trente, l’on se nourrit de rêves et d’espoir, souvent trompés et déçus.

Dans ce concours de danse où l’espérance naît pour être aussitôt écrasée sous le poids des corps exténués, le jeu physique se retrouve au centre de la piste. Le chorégraphe Harold Rhéaume s’est appliqué à transposer les idées théâtrales en mouvements, donnant à chaque personnage un caractère corporel particulier en plus de créer des chorégraphies endiablées. Ce travail physique s’allie à la mise en scène de Marie-Josée Bastien et forme un tout cohérent et vivant, que vient équilibrer un décor sobre et discret.

Si la pièce respecte grosso modo le propos et le déroulement du roman de Mac Coy, bien des éléments ont en contrepartie été modifiés. Les événements ont lieu à Québec plutôt qu’en Californie ; la détresse de la Grande Crise  se substitue à la poursuite du rêve américain ; l’action se déroule désormais sur fond de magouilles illégales ; des personnages ont disparus, d’autres apparus. Est-ce par souci de rapprocher les spectateurs québécois de (leur) histoire que l’on a fait ces choix ? On peut en douter, puisqu’en intensifiant les humiliations que les danseurs doivent subir et en accroissant le misérabilisme des personnages, l’adaptation de Marie-Josée Bastien verse indéniablement dans la fiction. Pourtant, l’on s’est appliqué à se conformer à l’histoire, du moins en partie. Bien que la trame sonore soit une version contemporaine du style musical en vogue à l’époque (Pink Martini, Nicolas Repac et cie.), les costumes, pour la plupart robes grises et culottes à bretelles, se mêlent aux turlutes de La Bolduc pour recréer le passé. Or, malgré cette volonté de reproduire l’atmosphère du Québec des années trente, cette pièce ne peut être considérée comme représentative de la réalité de la Grande Crise, aussi pénible fut-elle, et cet entre-deux nébuleux pourra en embêter certains.

D’une autre perspective, l’accentuation des avilissements subis par les personnages permet de vivement ressentir leur détresse et justifie bien plus le dénouement dramatique que ne le fait l’écrit de Mac Coy. Sur ce point, le crescendo imposé par la tension palpable et le jeu de plus en plus impliqué des acteurs est d’une terrible et grande force. Le couple formé par Élizabeth (Érika Gagnon) et Renaud (Christian Michaud) est d’une complicité à la fois puissante et accablante de souffrances réprimées. La méchanceté et l’hypocrisie de Ludger Drouin (Jean-Michel Déry), organisateur et animateur du marathon, n’ont d’égales que sa capacité à susciter le plaisir pervers de la foule pour les bêtes de cirque que deviennent les danseurs. « On achève bien les chevaux », cette phrase-clef, n’en a que plus de sens. Les spectateurs non plus ne peuvent d’ailleurs pas sortir immaculés de l’expérience, étant eux-mêmes voyeurs et conséquemment, acteurs malgré eux de l’humiliation humaine…

14-09-2006

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