Équipe de concepteurs : Angelo Barsetti, Mérédith Caron, Guillaume Cyr, Jean-François Gagnon, Alain Jenkins, Martin Labrecque, Richard Lacroix, Silvio Palmieri
Photo : Jean-François Gratton
26 mars 2011
Le 27 mars prochain, les communaut és théâtrales et leurs amis du monde entier souligneront la Journée Mondiale du Théâtre au travers d’activités de sensibilisation sur le rôle de la création théâtrale dans le développement des sociétés. À l’initiative du Conseil québécois du théâtre (CQT), l’auteur de théâtre Olivier Kemeid signe cette année le message québécois.Olivier Kemeid donnera une lecture de son message le samedi 26 mars au Théâtre du Nouveau Monde, avant la représentation du spectacle Hamlet. Pour soutenir la diffusion du message québécois et rendre hommage à l’ensemble des artisans du théâtre québécois, le CQT a commandé la réalisation d'une vidéo qui sillonnera les multiples plateformes du web. Le CQT encourage fortement la lecture de ce message percutant avant les représentations de théâtre.
Production Théâtre du Nouveau Monde
par David Lefebvre
Si Hamlet, ce jeune prince du Danemark consumé par le désir de vengeance envers son oncle fratricide et sa mère incestueuse, inspire encore et toujours les créateurs d’ici et d’ailleurs depuis sa première publication officielle en 1603, c’est bien grâce à ses thèmes si forts, si poignants. Hamlet incarne la tragédie dans sa forme la plus sournoise, la plus brutale, il est l’un des textes les plus puissants de la dramaturgie mondiale, et ce, encore aujourd’hui.
Le metteur en scène de cette version, Marc Béland, avait quelques comptes à régler avec ce texte de Shakespeare qu’il avait défendu sur la même scène il y a 21 ans. Sa vision tout aussi sombre qu’explosive se fait le miroir d’une société ébranlée, qui retourne une image-choc, décapante. Le ton que Béland impose dans son Hamlet est résolument moderne. Tout d’abord, grâce à la nouvelle traduction et adaptation de Jean Marc Dalpé : prose mordante, humour et tragédie dosés avec justesse, coupures méticuleuses et judicieuses, Dalpé fait ici un travail fabuleux. Si l’histoire familiale prend le pas sur la trame politique, la religion, elle, est très présente dans le récit. Et le clin d’œil à l’importance de l’artiste («ce sont les chroniqueurs de notre époque») est savoureux. Puis, dans les costumes, qui s’inspirent ouvertement de plusieurs styles de notre époque, des vestons cravates, trench coats, costumes de type collège, jusqu’aux habits des soldats : casques militaires, plastrons, pantalons de camouflage. Béland et son équipe vont plus loin encore et échangent dagues, poignards et épées contre revolvers, mitraillettes, pistolets ; la vue de ceux-ci et les quelques coups de feu sont saisissants. Le décor dans lequel évoluent les personnages se veut épuré, vaste. Quatre colonnes, un gigantesque tapis rouge qui barre la scène en diagonale et quelques rideaux pour établir les différents emplacements où a lieu l’action composent globalement la scénographie. Cette scène, pratiquement dénudée, offre l’espace requis pour les spectaculaires éclatements et rebondissements de cette sanglante intrigue, qui, à certains moments, se regarde comme un suspense, un film noir.
Marc Béland prouve encore une fois son prodigieux talent à la direction d’acteur. Si plusieurs, dont Marie-France Lambert (en reine rappelant quelques grandes dames de la politique contemporaine, aux toilettes toujours impeccables), Félix Beaulieu-Duchesneau, Mathieu Bourguet, Jean-Marc Dalphond, Pierre-Antoine Lasnier, Widemir Normil ou Ève Pressault, pour ne nommer que ceux-là, campent les personnages sans parade superflue, mais toujours avec justesse et aplomb, Émilie Bibeau brille dans le rôle d’Ophélie, à la voix claire et chantante, sombrant doucement dans la folie ; David Savard interprète Laertes, frère d’Ophélie, avec sensibilité, amour et douleur. Richard Thériault incarne le double éthéré du roi assassiné, le spectre, à la démarche lente et à la respiration tout aussi profonde que sifflante, sans extravagance ou effets spéciaux superflus. Jean Marchand et Frédéric Blanchette jouent superbement les droits et fidèles compagnons ou serviteurs, soit, dans l’ordre, Polonius, père de Laertes et d’Ophélie, et Horatio. Alain Zouvi, qui jouait à l’époque le rôle d’Horacio, enfile cette fois-ci les habits de l’abject Claudius. Loin du meurtrier machiavélique dépeint souvent dans les différentes adaptations connues, Alain Zouvi incarne ici un roi amoureux, presque doux, et repentant, mais «prêt à être cruel pour être juste».
Benoît McGinnis porte ici tout le poids de ce drame, offrant au public une prestation époustouflante et une incarnation grandiose d’Hamlet. Orgueilleux, rebelle, arrogant, ardent, impétueux, amer, il transporte toute la hargne et la douleur du monde de la perte d’un père, d’un roi, d’une ligne de conduite, d’un repère. Errant en pleine mer de souffrance, il feint la folie pour mieux se venger, pour frapper au cœur de la perfidie et démasquer l’infâme traitrise. Le vice et le vertueux, l’ambition et la vengeance.
Rock ‘n’ roll, Hamlet? Absolument. Et dans les mains de Marc Béland, ça souffle, ça déchire. Grâce à une direction assumée, puissante, une troupe de comédiens chevronnée et passionnée, une interprétation du personnage principal d’une intensité remarquable et une certaine connivence avec le public, Hamlet est, jusqu’ici, la plus grande et belle réussite du TNM cette année.