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Du 5 mai au 6 juin 2012
Des Femmes - Les Trachiniennes / Antigone / Électre
Textes de Sophocle
Traduction de Robert Davreu
Mise en scène Wajdi Mouawad
Avec Olivier Constant, Samuël Côté, Sylvie Drapeau, Bernard Falaise, Charlotte Farcet, Hamadoum Kassogué, Patrick Le Mauff, Sara Llorca, Benoît Lugué, Guillaume Perron, Marie-Ève Perron, Igor Quezada, Richard Thériault

Le TNM couronne cette saison anniversaire par un événement exceptionnel : une trilogie consacrée aux héroïnes de Sophocle signée Wajdi Mouawad.

Le créateur d’Incendies – une des plus bouleversantes fictions théâtrales récemment présentés au TNM – offre cette fois-ci un spectacle-fleuve où il se fait le porte-voix d’une parole qui n’a cessé de résonner depuis vingt-cinq siècles.

Entre Sophocle et Wajdi Mouawad existe un lien puissant, presque filial. Depuis son entrée en théâtre, Mouawad se nourrit de la fougue et de la profondeur des tragédies de Sophocle. Maintenant, il remonte à la source pour traverser l’œuvre du premier auteur qui, dans l’histoire de l’humanité, a mis sur scène une vérité alors inouïe : nos malheurs ne viennent pas des dieux mais des décisions humaines.

Entouré d’une équipe franco-québécoise digne des grandes scènes du monde où elle jouera ce marathon théâtral, Wajdi Mouawad, grâce à la traduction actuelle et rythmée du poète et helléniste Robert Davreu, nous fait vivre à quel point les héroïnes de Sophocle, Les Trachiniennes, Antigone, Électre, sont encore nos contemporaines.

Ces femmes, créées par Sophocle, vivent dans un monde instable où la soif de pouvoir des mâles et la force des armes ne cessent de détruire et de rebâtir les villes et les vies. Elles font toutes le même choix dangereux : être fidèles aux lois humaines plutôt qu’aux lois des hommes. Déjanire : fidèle à l’amour. Antigone : fidèle aux lois du sang. Électre : fidèle à la justice.

La trilogie complète ou l'une ou l'autre des trois pièces.

Du théâtre qui suspend le temps quotidien. Wajdi Mouawad, afin de redonner à ce théâtre l’authenticité de son souffle, présente comme dans l’Antiquité grecque ces trois pièces d’affilée. Les spectacles de théâtre dont la durée défie nos habitudes nous projettent dans une autre façon de vivre le temps.
Vous pouvez assister à la trilogie complète le samedi ou le dimanche ou, en semaine, voir l’une ou l’autre des trois pièces présentées en alternance.

La Trilogie : 5 - 6 - 12 - 13 - 19 - 20 - 26 - 27 mai / 2 - 3 juin 2012 (représentations à 14 h)

Les Trachiniennes

Les femmes de Trachis sont inquiètes : leur souveraine, Déjanire, se désespère : son époux, Héraclès, parti en expédition guerrière, aurait été tué. Mais voici qu’arrive la nouvelle qu’Héraclès est vivant et victorieux. Déjà, un contingent de captives est emmené au palais. Parmi elles, une princesse, jeune, fière et saisissante de beauté. Déjanire comprend immédiatement : une femme plus jeune va la remplacer dans le lit du roi. Bouleversée par la douleur, elle se tourne vers l’irrationnel : elle envoie à Héraclès une tunique enduite du sang du centaure Nessos, qui doit faire en sorte « qu’aucune femme ne l’emportera sur elle ».
Tragédie du désir qui annihile la raison, ce récit haletant livre un des plus grands portraits jamais créés d’une amoureuse trahie.
8 - 15 - 22 - 29 mai / 4 juin 2012 - 20 h

Antigone

À Thèbes, on ramasse encore les cadavres de la bataille qui vient de mettre fin à la guerre civile entre les milices des fils d’Œdipe, Étéocle et Polynice. Les deux se sont entretués et pour mettre fin à la confusion, Créon s’est emparé du pouvoir, décrétant Étéocle un héros et Polynice un traître dont le corps sera abandonné aux vautours et aux chiens errants. Mais Antigone, la sœur des deux chefs de guerre, décide à main nue d’enterrer le corps de Polynice. Elle est arrêtée et emmenée devant Créon.
Commence alors une des plus grandes confrontations jamais écrites : un chef d’État face à une inflexible jeune femme qui lui tient tête en affirmant que les lois des dieux sont plus humaines que celles des hommes.
9 - 16 - 23 - 30 mai / 5 juin 2012 - 20 h

Électre

Elle se tient devant le palais de Mycène, squelettique, échevelée, l’imprécation à la bouche : Électre, fille de Clytemnestre et d’Agamemnon, qui ne se nourrit que de souvenirs et à qui l’on jette les restes de cuisine. Elle n’existe plus que pour venger son père, assassiné à son retour de Troie par Clytemnestre et son amant Égisthe en réponse au sacrifice d’Iphigénie. Qu’importe que Clytemnestre soit sa mère et qu’Iphigénie ait été sa soeur : Électre réclame la justice du sang, appelant le retour de son frère Oreste qui saura par son épée nettoyer le palais.
La vengeance est-elle justice ? Sophocle, avec une conclusion effroyablement moderne, laisse l’entière réponse au spectateur.
10 - 17 - 24 - 31 mai / 6 juin 2012 - 20 h


Équipe de concepteurs : Angelo Barsetti, Bertrand Cantat, Éric Champoux, Emmanuel Clolus, Bernard Falaise, Pascal Humbert, Isabelle Larivière, Alexander MacSween, Michel Maurer, Alain Roy
Photo : Jean-François Gratton

Durée des spectacles
Les Trachiniennes : 1h40
Antigone : 1h50
Électre : 1h50
Cycle complet : 2 entractes, respectivement de 30 et 40 minutes

Compagnies de création : Au Carré de l'Hypoténuse (France) / Abé Carré Cé Carré (Québec)


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Dire que le travail de Wajdi Mouawad sur la trilogie sophocléenne était attendu relève de l’euphémisme. Un an après la controverse autour de la possible présence sur les planches de Bertrand Cantat qui a déchaîné les passions extrêmes, les productions réunies sous le titre Des femmes atterrissent sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde. Or le résultatfinal intrigue, subjugue, mais déçoit également.

L’essayiste et exégète du théâtre Georges Banu écrit, admiratif, dans le court essai Traduire Sophocle paru chez Actes Sud, le commentaire suivant sur la démarche du créateur d’Incendies: «Pour Wajdi Mouawad, le théâtre peut dire le monde. Il recèle encore des énergies à même de le placer au cœur des interrogations les plus actuelles tout en plongeant dans le foyer des origines». Les familiarités entre les fresques contemporaines de Mouawad et les tragédies de l’auteur grec écrites cinq siècles avant Jésus-Christ demeurent donc considérables. Malgré les différences entre les époques, les contextes sociopolitiques et les continents, les deux univers artistiques abordent tous deux la violence dans toute sa démesure et ses décadences : meurtres, incestes, vengeances et rédemptions se succèdent dans la rage et le sang. Les personnages vivent dans des mondes où l’esprit de communauté est mis à mal par les forces du destin.

Pendant plus de six heures, si l’on ne compte pas les entractes, le spectacle Des femmes comprend les trois pièces Les Trachiniennes, Antigone et Électre. Avec sa troupe composée d’artistes français et québécois, musiciens et comédiens, le metteur en scène dépoussière les textes classiques pour en proposer une vision très contemporaine, loin d’une vision muséale, mais imprégnée de symbolisme et de démesure. Celui qui aime se décrire comme un «torckeur», quant à sa passion pour la musique rock, a fait appel à son grand ami Bertrant Cantat pour exprimer en musique le chaos et la fureur paroxystique des personnages plus grands que nature. Les acteurs sont vêtus pour la plupart d’habits d’aujourd’hui sur un plateau se situant entre le cirque et la scène rock, où abondent les accessoires, dont de nombreuses chaises.

Pour les fidèles du théâtre de Mouawad, il est possible de voir de nombreuses références ou emprunts à ses autres réalisations antérieures. Au lever du rideau, l’amorce des Trachiniennes rappelle énormément une scène emblématique d’Incendies. L’ensemble de la distribution se regroupe en troupeau sous une toile transparente pour se protéger de la pluie tombante. À contempler les magnifiques éclairages, on se croirait parfois dans Temps, la précédente création présentée à Montréal. Son obsession parfois lassante et exaspérante pour les matières récurrentes de sa dramaturgie (eau, terre et peinture) tombe dans la redondance, d’autant plus qu’elles ont été beaucoup mieux exploitées précédemment dans son brillant solo Seuls.

Pour un créateur, la relecture ou la réappropriation d’une œuvre du répertoire constitue une entreprise risquée. Si la magie opère, elle permet d’établir des liens entre les époques et d’illustrer l’acuité du regard du dramaturge. L’ambitieuse entreprise mouawadienne cherche à entretenir un rapport libérateur avec le passé. Malheureusement, elle donne surtout des allures de collages pas toujours harmonieux ou approfondis. L’amalgame entre les disciplines artistiques peut se défendre, mais l’émotion tarde à venir et à s’incarner avec la fougue poétique attendue dans le corps des interprètes. Le public regarde la plupart du temps une représentation froide, parfois figée, où les effets grandiloquents dominent sur la ferveur intrinsèque des profondeurs de la tragédie.


Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

La présence de musiciens sur scène donne des résultats inégaux. Les chansons en mode plus acoustique traduisent parfaitement les sentiments des protagonistes, alors que les morceaux plus rock créent une distorsion parfois entre l’action et les intentions du récit ;  notamment dans Antigone. Sans égaler la sensibilité mélodique de Bertrand Cantat, son remplaçant, le chanteur chilien Igor Quezada s’illustre lors de certaines prestations plus touchantes. Pour Électre, la musique aux sonorités électroniques sur bande apporte une dimension très intéressante et prenante au drame, un mariage heureux entre la tradition et la modernité.

Pourtant, la soirée comprend ses moments de grâce et d’infinies beautés, comme des lueurs impressionnantes dans un ciel tumultueux. Étrangement, ce sont les scènes les plus sobres et les moins chargées qui se démarquent du lot. Certaines scènes d’Antigone et d’autres d’Électre étaient d’une extraordinaire puissance théâtrale, notamment les moments les plus intimistes.
 
La présence de Sylvie Drapeau suscitait de grands espoirs. Malheureusement, cette actrice d’exception manque de naturel, surtout durant Les Trachiniennes. Elle se reprend heureusement avec force dans Électre. Hétéroclite, la distribution d’acteurs oscille entre le sublime et l’ordinaire.Parmi les interprétations les plus senties, mentionnons le roi Créon de Patrick Le Mauff, la sensible Marie-Ève Perron, les Électre et Ismène inspirées de Sara Llorca. Par contre, certains membres de la troupe récitent sans éclat leur texte, alors que d’autres manquent de projection dans la voix.
 
Première étape de Wajdi Mouawad dans l’incursion de l’intégral des œuvres connues de Sophocle, la trilogie Des femmes sera suivie prochainement d’Ajax, Oedipe à Colonne, Oedipe roi et Philoctète. On peut applaudir l’ambition de l’homme de théâtre d’aborder cette parole intemporelle avec sa signature et son énergie indomptable pour parler à ses contemporains de la société du 21e siècle. Par contre, pour cette première mouture, on aurait préféré sortir du TNM plus secoué, ébranlé et remué dans la tête, le cœur et les tripes.

07-05-2012