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Du 10 mars au 4 avril 2015 - supplémentaires 7 avril 19h30 et 8 avril 20h
Richard IIIRichard III
Texte William Shakespeare
Traduction Jean Marc Dalpé
Mise en scène Brigitte Haentjens
Avec Sylvio Arriola, Marc Béland, Larissa Corriveau, Sophie Desmarais, Sylvie Drapeau, Francis Ducharme, Maxim Gaudette, Reda Guerinik, Ariel Ifergan, Renaud Lacelle-Bourdon, Louise Laprade, Jean Marchand, Monique Miller, Olivier Morin, Gaétan Nadeau, Étienne Pilon, Hubert Proulx, Sébastien Ricard, Paul Savoie, Emmanuel Schwartz

Voici Richard, duc de Gloucester : physiquement difforme, génialement méchant, profondément séduisant et futur roi d’Angleterre. Un homme capable d’éliminer une à une les huit personnes qui le séparent du trône, non pas tant par soif du pouvoir que pour faire naître autour de lui un monde déréglé, pervers, où tous les liens, ceux de l’âme comme ceux du sang, deviennent illusoires. Un homme qui, le sourire aux lèvres, ne cesse de s’adresser directement à vous pour vous prendre à témoin de ses actes et vous en rendre tacitement complice.

La metteure en scène Brigitte Haentjens, avec sa compagnie Sibyllines, pose un regard résolument contemporain sur la dramaturgie et aborde pour la première fois Shakespeare ; pour ce faire, elle a choisi ce texte étonnamment actuel où l’auteur, à l’aube du monde moderne, en a entrevu les futures terreurs. Elle a demandé à Jean Marc Dalpé, qui a traduit Hamlet au TNM il y a trois ans, de recréer cette langue souveraine qui galope comme un pur-sang, qui claque comme une oriflamme, qui tranche comme un sabre. Pour ce spectacle à grand déploiement — vingt comédiens — Brigitte Haentjens a rassemblé une distribution de haut calibre pour recréer le foisonnement de la cour d’Angleterre. Et pour incarner Richard III : l’incomparable Sébastien Ricard.


Section vidéo


Maquillage Angelo Barsetti
Directeur de production Sébastien Béland
Éclairages Étienne Boucher
Collaboratrice au mouvement Christine Charles
Assistance à la mise en scène et régie Colette Drouin
Conseillère dramaturgique Mélanie Dumont
Conception vidéo Éric Gagnon
Musique originale Bernard Falaise
Scénographie Anick La Bissonnière
Directeur technique Jean-François Landry
Accessoires Julie Measroch
Costumes YSO
Crédit photo Jean-François Gratton

2 h 30 + entracte

mardi 19h30, mercredi au vendredi 20h, samedi 15h et 20h

Une création de Productions Sibyllines en collaboration avec Théâtre du Nouveau Monde / Théâtre français du CNA


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Yves Renaud

Richard III est sans doute l’un des drames shakespeariens les plus souvent montés dans le monde. Cette saison seulement, la métropole aura vu au moins trois productions directement inspirées ou adaptées du drame historique. Après la brillante exploration de la figure tyrannique de Richard par Angela Konrad au Quat’sous, cette fois, c’est la metteure en scène Brigitte Haentjens qui s’attaque au monarque difforme, dans une proposition plus classique.

Sous l’imposant soleil d’York, Richard, duc de Gloucester est accablé d’ennui en ces temps de paix. Pas du tout destiné à régner, il se lance dans un jeu de manipulation et de massacre qui le mènera au trône, sur lequel, une fois assis, il ne connaîtra aucun repos.

Sur la grande scène du TNM, des tréteaux forment un sol asymétrique, sur lequel aucun personnage ou comédien ne peut trouver un instant de repos. Toujours en équilibre précaire, risquant à tout moment de perdre pied ou de glisser jusqu’à l’avant-scène, les personnages se tiennent droits, stoïques. Et quand ils s’aventurent sur le terrain de Richard, celui-ci les happe aussitôt dans ses rets, physiquement et psychologiquement. Magnifique idée ici que cette constante proximité, créatrice de nombreux malaises, que Richard et son interprète, Sébastien Ricard, imposent aux autres, allant jusqu’à quasiment leur souffler dans les poumons. Quand il veut séduire les femmes qui lui assurent ou consolident sa place sur le trône, il n’hésite pas à faire littéralement main basse sur elles, à grand renfort de caresses malsaines, bien loin de toute sensualité.

En entrevue dans le Voir, Haentjens assurait vouloir s’éloigner de la caricature de l’être difforme, du monstre sadique ivre de son pouvoir sur les autres. Sa mise en scène accentue pourtant la noirceur de l’âme de Richard. On a déjà vu des Richard froids et fins calculateurs politiques, des Richard torturés par le regard des autres, des Richard lentement enivrés par le pouvoir, et des Richard jouisseurs sadiques. Celui que la metteure en scène nous propose a l’âme aussi noire que les actions qu’il pose. Dès son premier aparté au public, il n’apparaît pas dérangé, mais pas sain d’esprit non plus. Ce guerrier à l’ego surdimensionné, que la paix ennuie plus que tout, est aussi tordu que sa colonne vertébrale. Aussitôt que Sébastien Ricard entre en scène, un grand vide se crée autour de lui, comme si aucun personnage ne voulait se retrouver dans l’espace personnel de Richard. Tout au long de la pièce, Haentjens joue habilement de cette répulsion physique.

La production propose également une véritable étude physique de la cour, l’ensemble de la distribution offrant un ballet orchestré autour du pivot qu’est Richard. Tandis que les autres personnages se déplacent gracieusement ou de manière très carrée, figée, le tyran se meut parmi eux comme un serpent, allant jusqu’à ramper sur le corps de Lady Anne lorsqu’il cherche à la séduire. La scène finale, où s’affrontent enfin Richard et Richmont (où les talents de danseur de Francis Ducharme font d’ailleurs merveille), est magnifique à voir. Mettant pleinement à profit son imposante distribution de 20 comédiens, Haentjens la transforme pour cette scène finale en véritable meute de fauves affamés. Leur chorégraphie donne enfin quelques frissons de frayeur et de plaisir.


Crédit photo : Yves Renaud

Des frissons qu’on aura pourtant attendus en vain pendant les quatre premiers actes. Si le premier met bien la table politique des intrigues de la cour et de Richard en particulier, le second manque singulièrement de mordant et de rythme. Plusieurs spectateurs, peut-être peu habitués aux drames historiques de Shakespeare, ont même profité de l’entracte pour quitter la salle. Tandis que le ciel lentement s’obscurcit au fil de la montée de Richard, le spectacle regagne en intensité ce qu’il avait perdu aux deuxième et troisième actes.

Il faut dire que malgré la très belle traduction de Jean Marc Dalpé (fidèle au texte original et jouant fort bien de ses sonorités), l’ensemble de la production de la compagnie Sybilline conserve une approche plutôt conventionnelle de la pièce. Les comédiens se posent et déclament dans des élans qu’on aurait aimés parfois plus inspirés, surtout avec une distribution qui compte autant de grands noms. Les Maxime Gaudette, Jean Marchand, Renaud Lacelle-Bourdon et Louise Laprade, notamment, ont peu l’occasion de briller. Dans le rôle de la reine Marguerite, Monique Miller offre une performance éclatante. Sa veuve est droite, entière, pleine d’un juste courroux, et la scène où elle maudit Richard et toute la cour résonne avec grandeur dans la salle. En Buckingham, plus fidèle et sans doute plus perfide allié de Richard dans son irrésistible ascension au trône, Marc Béland propose un intéressant contrepoids par sa raideur et son ambition acérée. Portant la charge du spectacle sur les épaules, Sébastien Ricard semble en pleine possession de ses moyens. Son Richard est à la fois parfaitement lucide et froidement déterminé. Il se joue de tous et, comme il le souligne lui-même, parvient à retourner en sa faveur même les plus enragés de ses ennemis. Néanmoins, en dépit de multiples adresses et œillades adressées au public, il manque ce petit côté séducteur qui permet normalement à Richard de mettre aussi le public dans sa poche. Quelques problèmes de prononciation sont également venus entraver la fluidité de la traduction de Dalpé au soir de la première.

Visuellement impressionnant, le Richard III proposé par Haentjens reste malheureusement un peu froid, là où la tragique ascension au pouvoir du monarque en appelle pourtant à la passion et à la folie guerrière.

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