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Du 22 février au 11 mars 2012
Les Aveugles
Texte Maurice Maeterlinck
Conception et réalisation Denis Marleau
Avec Céline Bonnier et Paul Savoie

Face aux spectateurs, douze visages émergent de l’obscurité. Ce sont six femmes et six hommes aveugles qui dialoguent entre eux, immobilisés, en attente de leur guide qui ne répond plus. Désespérés et perdus au milieu d’une nature invisible bruissant de sons étranges, les murmures et les clameurs de ces âmes en perte de sens, d’un père ou d’un dieu, deviennent plus largement ceux d’une humanité aux prises avec l’angoisse de la mort.

Après la reprise retentissante et jubilatoire d’Oulipo Show, UBU poursuit la saison anniversaire de ses 30 ans avec le retour de la pièce de Maeterlinck Les aveugles, du 22 février au 11 mars 2012 au Musée d’art contemporain de Montréal, après une décennie de tournées autour du monde.

De retour dans la salle Beverly Webster Rolph où elle a été créée lors d’une résidence offerte à Denis Marleau, la fantasmagorie technologique Les aveugles représente un point tournant dans l’histoire de la compagnie, comme elle a fait date aussi dans celle du théâtre contemporain. Joué au-delà de 700 fois dans 17 pays depuis 2002, ce spectacle atypique a été présenté dans les plus grands festivals de théâtre d’Europe et d’Amérique, dans des théâtres nationaux et centres dramatiques en France, Italie, Espagne, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne, Slovénie, Hongrie, Portugal, Pologne, Lituanie, Pays-Bas, Taiwan, Mexique, Brésil, Norvège et Argentine. L’universalité de ce poème scénique de Maeterlinck dans la mise en scène saisissante qu’en a fait Denis Marleau a résonné admirablement pour tous ces publics et sa forme radicale et innovante a fait l’objet d’études et d’analyses par de nombreux chercheurs d’ici et d’ailleurs. Cette oeuvre aux confins du théâtre s’est méritée le prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre en 2002.

Les aveugles est une pièce en un acte de l’auteur symboliste Maurice Maeterlinck (Nobel en 1911) dont le premier théâtre met en jeu la difficulté de dire et de comprendre les mouvements de l’âme devant les mystères de la vie. Une difficulté qui passe par la métaphore du regard, absent, troublé ou transcendant. Et par une poétique de l’image et des mots qui inspire un autre type de présence en scène, comme celle rêvée par Maeterlinck lorsqu’il écrivait « faudrait-il remplacer l’acteur par une ombre, une projection de formes symboliques ou un être qui aurait les allures de la vie sans avoir la vie ? ». Une utopie à laquelle Denis Marleau et sa complice Stéphanie Jasmin ont répondu en inventant cette fantasmagorie technologique où l’acteur n’est plus présent que par sa voix et son image projetée sur des masques… Ces visages en clair-obscur sont ceux de Paul Savoie et Céline Bonnier qui interprètent tous les personnages de ce choeur bouleversant. Au-delà du théâtre, c’est une expérience.


Section vidéo
une vidéo disponible


Collaboration artistique Stéphanie Jasmin
Réalisation vidéo Pierre Laniel
Design sonore Nancy Tobin
Consultant à la réalisation et au montage Yves Labelle
Montage vidéo Michel Pétrin
Réalisation des masques Pierre Laniel, Claude Rodrigue
Maquillage Angelo Barsetti, Élaine Hamel

Mardi au dimanche, horaires variables : 13 h, 15 h, 17 h, 19 h, en français
Représentations des samedis 3 et 10 mars à 13 h en anglais
Représentation du dimanche 26 février à 17 h en espagnol

Une coproduction d’UBU,
du Musée d’art contemporain de Montréal
et du Festival d’Avignon


Musée d'art contemporain de Montréal - Salle Beverly Webster Rolph
185, rue Ste-Catherine Ouest
Billets en vente sur place dès maintenant - 514-521-0403 ou 514-790-1245 - admission.ca
 
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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Stéphanie Jasmin

Dans le cadre du 30e anniversaire de UBU, l’audacieuse compagnie nous propose de revivre l’expérience fantasmagorique de Denis Marleau, Les aveugles. Pièce maîtresse et emblématique du cheminement artistique de l’ingénieux créateur, Les Aveugles s’installe exactement au même endroit qui l’a vu naître il y a 10 ans, soit la petite salle Beverly Webster Rolph du Musée d’art contemporain. Les aveugles, de l’auteur symboliste Maurice Maeterlinck, réussit à mettre en scène le non-vivant, par l’entremise de douze personnages, six femmes et autant d’hommes, tous et toutes aveugles. En ballade sur leur île pas très loin de leur hospice, ils sont laissés à eux-mêmes après la mort silencieuse du prêtre dont ils attendent en vain le retour. En perdant leurs repères, ils s’immobilisent, prient, dialoguent. Désespérés, ils sont à l’affût du moindre son, du plus petit indice qui les sortira de leur torpeur. Par une parole courte et poétique, des phrases simples, Maeterlinck, précurseur ici de Beckett à plusieurs niveaux, confronte ces âmes troublées à la solitude que leur impose leur condition. À cause de leur cécité, ils sont coupés du monde, de l’univers, le symbole ultime de l’incapacité de l’homme à s’adapter à son entourage. Privés de la vue, ces hommes et ces femmes perçoivent alors leur environnement comme un endroit hostile, dangereux, jusqu’à ce que la mort elle-même vienne rôder dans le groupe.

Denis Marleau et sa complice Stéphanie Jasmin ne font pas simplement que poser un regard neuf sur ce texte écrit en 1890 ; ils l’amènent là où son auteur, de façon utopique à l’époque, désirait fort probablement le porter. Ces interrogations tragiques sur la vie, la mort, et sur notre incapacité de « voir » devaient impérativement se déployer par « l’absence ». Marleau a donc évacué les acteurs, projetant plutôt leurs visages sur une surface à trois dimensions, ici, une douzaine de masques ; douze têtes qui semblent littéralement flotter au milieu de l’espace. Ces « apparitions spectrales » sont d’un incroyable réalisme : la qualité de la projection est stupéfiante, au point où le public imagine instantanément leur poitrine, leurs bras, leurs jambes, là où il n’y a pourtant qu’un vide sidéral. Dans cette profonde obscurité, le décor se veut sonore : les spectateurs, tous aussi aveugle que ces vieillards, voient leur ouïe continuellement sollicitée. Les sons, murmures, chuchotements et autres paroles matérialisent ces êtres égarés au faciès presque figé. L’effet général devient rapidement hypnotique, nous expulsant hors du temps, hors du monde.

Le chœur est composé de Céline Bonnier et Paul Savoie, qui prêtent leurs visages, leurs voix et leur immense talent à tous les personnages du récit.

La dualité semble prendre une grande place dans la recherche théâtrale de Marleau. Grâce à deux techniques opposées, l’une archaïque (masque) et l’autre technologique (vidéo), il compose un tableau de 45 minutes tout aussi animé qu’inerte, mettant en scène la présence et l’absence, la vue et la cécité, le fantasme et la réalité. On se balade dans l’entre-deux, dans l’incertitude, l’insondable.

Après une tournée mondiale, tant de choses ont été dites à propos de cette pièce métaphysique qui a chamboulé le théâtre contemporain, soulevant plusieurs questions, se voyant étudiée et analysée à maintes reprises. Il n’est plus nécessaire de remettre en question la pertinence ou de critiquer ce tour de force visuel et esthétique ; voir ou revoir Les aveugles, c’est avoir l’immense chance de revisiter le travail d’un metteur en scène atypique, acclamé partout dans le monde. C’est plonger au coeur d’une œuvre qui a ouvert la voie à plusieurs autres projets scéniques d’exploration vidéo, dont Comédie et Dors mon petit enfant, qui forment avec Les aveugles un captivant triptyque, ou encore Une fête pour Boris et Jackie.

22-02-2012