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Du 13 au 25 février 2012
Le chien, la nuit et le couteau
Texte Marius von Mayenburg
Traduction Hélène Mauler, René Zahnd
Mise en scène Mireille Camier
Avec Antoine Beaudoin Gentes, Gabriel Coutu, Amélie Langlais

Avec Le Chien, la nuit et le couteau, l’auteur allemand contemporain Marius von Mayenburg nous plonge dans un monde apocalyptique où la réalité semble avoir été renversée. Plus d’eau, plus de nourriture; l’ère humaine a cédé à celle de l’animalité, et violence rime avec survivance. Dans cet univers aux accents kafkaïens, M cherche son chemin jusqu’à l’aube. Il ne sait s’il rêve, mais tout son parcours en suit la logique. L’espace et le temps sont constamment déformés, et les visages lui semblent familiers. Pourtant, de ce rêve, M ne se réveillera pas. Il doit donc trouver un moyen d’y rester… vivant. Tuer, se saisir du couteau ou au contraire, s’en défaire et risquer la confiance. Telles sont les décisions qu’il doit prendre afin de trouver sa place au milieu du chaos. Résolument moderne, le texte de Mayenburg évoque notre époque actuelle où les êtres humains sont face à un choix : survivre seul ou ensemble.

Le Chien, la nuit et le couteau, la plus récente création de la compagnie Quitte ou double,est une expérience envoûtante qui place le spectateur au cœur de l’action alors que le trio de comédiens déploie toute son audace et sa démesure pour créer un espace de jeu unique. Dans un lieu qui se transforme, ils invitent le public à les accompagner dans un voyage hors du commun.


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Dramaturgie Sophie Tremblay-Devirieux
Musiciens Mykalle Bielinski, Simon Déry
Décor Sylvianne Binette, Catherine Bernier Beaupré
Costumes Sabrina Gagnon Dubois, Amélie Jodoin
Accessoires Sarah Sloan
Éclairages Mélissa Perron
Direction musicale Marie Rondot
Direction de production Amélie Bourque Gagnon
Direction technique Pier-Luc Dallaire

Carte Premières
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 13 au 18 février 2012
Régulier : 25$
Carte premières : 12,50$

Une création des Productions Quitte ou double - Page Facebook


Théâtre Segal
5170 Cote St. Catherine Rd
Billetterie 514 525-9878

 
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 Critique
Critique

par David Lefebvre

À couteaux tirés

D’abord il y a la nuit, moite, imposante, omniprésente. Un homme s’y perd, et lui lègue quelques souvenirs à jamais. De son nom, il ne gardera que la lettre M, et de son passé, les moules qu’il a mangées entre amis, en août ; un mois qu’on ne cessera de lui rappeler. Tout près d’un réverbère, cherchant son chemin, il se fait accoster par un autre homme à la recherche de son chien, parti possiblement avec les loups dans la steppe. Apparaît un long couteau, acéré ; l’inconnu a faim. En légitime défense, M le tue, la lame s’enfonçant droit dans l’abdomen. C’est le début d’une nuit insolite, incompréhensible, où M rencontrera plusieurs personnages affamés, au cœur des rues de cette onirique ville ensablée.

Le chien, la nuit et le couteau, de l’auteur allemand Marius von Mayenburg et deuxième volet d’un dyptique incluant Le Moche, est un thriller apocalyptique, un cauchemar symbolique, pré-Blade Runner ou Soylent Green ; un conte ancestral et futuriste à la fois, s’abreuvant dans les terreurs et les pulsions de l’humain. Est-ce que le protagoniste rêve? Certains indices le laissent croire ; comme ce sable, qui pourrait signifier l’intemporalité, l’inexistence de l’individu dans le songe, ou alors la métamorphose de l’âme. Sinon, est-ce que la réalité s’est réellement renversée, le jour laissant place à la nuit, poussant l’homme dans ses plus viles tranchées, vers des élans sexuels voraces, de cannibalisme, de destruction sans condition? Et au final, qui (ou comment) consommera la chair de qui? C’est une fuite qui n’a aucun sens, purement instinctive. Pourtant, M l’accepte, sans se questionner davantage. Et ces visages qui se ressemblent tous, et ce couteau qui ne fait que réapparaître dans chaque main pour s’en servir, encore et encore.

« L’Homme est un loup pour l’homme », écrivaient Plaute et Montaigne ; il se chasse, se dévore, s’entretue. Mais Sénèque a aussi écrit « l’Homme est une chose sacrée pour l’Homme ». Éclot dans cette nuit la possibilité d’une rencontre, d’une histoire d’amour entre M et une femme, née de ce besoin de l’autre, presque vampirique, et d’attachement, d’être moins seul dans cette obscurité où les loups et les chiens perdus, sans maître, marchent debout.

Le thriller est un style très difficile à reproduire au théâtre. La metteure en scène Mireille Camier y arrive brillamment en plaçant dès le début les spectateurs au cœur de la première scène. Le public, au moment de faire son entrée dans la salle, est laissé à lui-même, seul, au centre d’un espace vide. Un lampadaire de type victorien est amené, un cercle à la craie est tracé et les comédiens surgissent. Rappelant d’abord le théâtre de rue par sa promiscuité, la scène surprend, mais l’effet est réussi. Nous nous faisons témoins (voyeurs?) directs du meurtre originel. Gabriel Coutu, qui interprète M, se fait tout autant le parfait protagoniste dérouté que le narrateur à la poésie noire, tandis qu’Antoine Beaudoin Gentes et Amélie Langlais performent bien dans la peau de multiples personnages : policier, docteur, infirmière, avocat, criminel, jumelles, chien…

Le choix de n’utiliser aucun décor écarte toute possibilité de moments absurdes qui aurait pu transpirer des scènes, pour faire place à l’étrange intangibilité de cette nuit d’horreur. Sylvianne Binette et Catherine Bernier Beaupré, à la scénographie, utilisent simplement de très longs bancs, comme des poutres, pour asseoir le public lors de la deuxième scène, qu’elles surélèvent en angle, lorsqu’enfin les spectateurs prennent place dans les estrades, pour produire d’autres climats, ou d’autres endroits de la ville.

Les différentes scènes sont souvent baignées d’une lumière diffuse, voire déficiente : ici par des lampes suspendues, là par des néons, ou encore là par de simples ampoules incandescentes. Les éclairages de Mélissa Perron contribuent à l’ambiance lugubre, vide et immatérielle de cet univers où rôde la mort.

Les musiciens Mykalle Bielinski et Simon Déry proposent une trame sonore en direct d’une grande force : piano, violoncelle et instrument de percussion évoqueront avec justesse et frissons toute la tension et l’intensité qui se dégagent de cette histoire.

Malgré quelques longueurs, imputables surtout aux transitions techniques, Le chien, la nuit et le couteau plait, et ce, beaucoup, grâce à une écriture solide, une mise en scène immersive, inquiétante, une ambiance onirique, une trame sonore oppressante et une touchante finale.

19-02-2012