Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre

Carrefour international de théâtre - 29-30-31 mai 2014, 20h

The Tempest Replica

En français
Chorégraphie Crystal Pite
Danseurs Bryan Arias, Eric Beauchesne, Peter Chu, Yannick Matthon, David Raymond, Cindy Salgado, Tiffany Tregarthen

La magie de Prospero, personnage principal de La Tempête de Shakespeare, opère dans The Tempest Replica de la compagnie de danse Kidd Pivot. Aux sorts jetés par le magicien exilé avec sa fille Miranda sur une île déserte se substituent mouvements des corps et musique, éclairages et projections pour recréer l’univers fantastique de la pièce.

Isolant les personnages clefs et certains passages emblématiques, explorant les grands thèmes, déconstruisant et reconstruisant la pièce, la chorégraphe Crystal Pite, originaire de Vancouver, façonne en deux temps une rêverie mystérieuse et envoûtante. Y dominent, d’abord, éléments narratifs et pouvoir de manipulation de Prospero, alors qu’évoluent de blancs personnages masqués, avant que n’éclate, par la suite, émotion et expressivité, à la faveur des visages retrouvés. Entre vengeance et pardon, imagination et réalité, Pite fait du texte de Shakespeare une œuvre nouvelle où vibre la tension entre ces pôles, où s’amalgament puissante poésie visuelle et singulière grammaire des corps.

Chorégraphe des plus audacieuses acclamée internationalement, conjuguant rigueur technique et liberté créatrice, Crystal Pite a vu son travail salué de nombreux prix. Au fil des ans, elle collabore régulièrement avec des créateurs de renom, dont Robert Lepage et Louise Lecavalier; elle est artiste associée du Nederlands Dans Theater, du Centre national des Arts du Canada et du Sadler’s Wells de Londres. The Tempest Replica, créé en octobre 2011 à Francfort à l’occasion d’une résidence, a été présenté en tournée en Europe et en Amérique. Partout : fascination et enthousiasme devant ce songe emporté et éblouissant.

---

  Tweet

______________________________________

 Critique

Critique

Imprimer la critique

par Odré Simard, collaboration spéciale

C'est en fin de tournée mondiale que nous avons accès ici, à Québec, à The Tempest Replica, de la compagnie Kidd Pivott. C'est à une œuvre poétique complètement aboutie et profonde à laquelle nous sommes conviés. La chorégraphe Crystal Pite a confié après la représentation de jeudi que son premier élan créateur tournait autour de l'idée du naufrage ; elle tomba alors sur la pièce phare de Shakespeare, La Tempête, qui commence avec la furie des eaux et un naufrage. Par contre, elle se disait qu'il était impossible de transposer une œuvre aussi complexe par la danse, qui pour elle, est inefficace pour ce type d'histoire. Heureusement pour nous, sa réflexion évolua et les idées lui vinrent pour s'attaquer à ce monstre. Quel pari bien réussi!

L'histoire donc, met à l'avant-scène Prospero, un duc déchu aux talents de magicien qui fut banni et envoyé avec sa fille sur une île déserte. Il exerce alors son pouvoir sur deux entités aux énergies opposées, Ariel, sa muse, esprit de l'air symbolisant le beau, et Catalan, le monstre aux instincts bas et violents, difficile à contenir. Suite à un naufrage causé par Ariel, arrivent alors sur l'île le frère de Prospero l'ayant trahi par le passé, ainsi que le roi et son fils et un de leurs suivants. S'ensuivent alors bon nombre de confrontations et de rapprochements, souvent orchestrés par Prospero et ses esprits qu'il invoque afin de jouer avec ses nouveaux invités. Les thèmes principaux qui se dégagent de cette histoire sont la recherche de vérité ainsi que le combat de nos forces intérieures, un élément parfait à exploiter pour des corps aguerris et expressifs.

La compagnie Kidd Pivot nous propose cette histoire en deux temps : d'abord avec ces « répliques » blanches, ces personnages sans visage et à la gestuelle déshumanisée, presque robotique par moment et ô combien contrôlée et chirurgicalement précise, alors qu'il n'y a que Prospero dont on voit le visage et dont les mouvements possèdent une certaine fluidité. Nous sommes dans le fantastique, avec une ambiance musicale prenante, des ombres chinoises en temps réel ou projetées et d'une poésie frappante. Puis, on bascule dans un monde contemporain, où tous les personnages reviennent vêtus de chemises ou de robes, avec une ambiance sonore qui nous situe dans la ville. Mais toujours, cette même énergie, cette même vitalité dans les rapports entre les personnages, cette même urgence et ces mêmes combats entre le beau et le laid qui nous tiraillent tous deux

Une histoire à découvrir pour la première fois ou, bien sûr, à prendre plaisir à voir réinterprétée d'une façon admirable. Comme le tout est essentiellement dansé, il est certain que nous n'avons pas accès aux mêmes subtilités des interactions ainsi qu'aux nombreuses tribulations des personnages auxquelles Shakespeare nous invite habituellement, mais les corps des interprètes viendront jeter une lumière bien particulière sur cette oeuvre mythique. On se concentre surtout à bien déterminer les personnages en tant que tels, ainsi que les principaux rapports qu'ils vivront entre eux, en de touchants solos ou duos. Leur corporalité décalée et audacieuse réussira à projeter toute cette complexité humaine décortiquée par le maître anglais. En fait, tous les éléments du spectacle sont bien maîtrisés et ravissent nos yeux et nos oreilles.

30-05-2014