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10 février 2017, 19h30* (*rencontre avec les artistes)
Matinées scolaires : 8-9-10 février
Richard, le polichineur d'écritoire
Dès 12 ans
Texte Stéphane Georis
Mise en scène Francy Begasse
Adaptation et interprétation : Sylvain Massé

Richard se prétend professeur de littérature. Il raconte Hamlet, à l'aide d'un journal; Roméo et Juliette, en utilisant les vêtements qu'il porte sur lui; et Richard III, avec... un rôti de porc. Plus encore, ce personnage à l’esprit de polichinelle donne vie à lui seul à une fresque étourdissante de personnages shakespeariens. Cela, avec pour unique appui une écritoire de fortune. Cette approche de saltimbanque nous permet de bien rigoler, mais attention, l’œuvre du célèbre auteur anglais met en scène des passions humaines qui se terminent la plupart du temps en « boucherie » guerrière. Il y a matière à réflexion.

Sylvain Massé est surtout connu pour ses rôles au petit écran notamment dans L'auberge du chien noir, Omerta II et Cornemuse. Il a cofondé et codirigé le Théâtre Motus jusqu’en 2012. Il poursuit maintenant sa démarche de création sous le nom des productions Danalou. Richard, le polichineur d’écritoire en est la première initiative. À la suite d’un véritable coup de cœur pour ce spectacle belge de Stéphane Georis des Chemins de terre, il choisit de partager son engouement auprès des ados. Tout en respectant l’écriture et la mise en scène, il adapte le spectacle et incarne le personnage rocambolesque avec la fougue et la générosité qu’on lui connait bien.


Section vidéo


Lumières et régie : Michel St-Amand
Accessoires : Normand Blais
Costumes : Diane Lavoie
Décors : Acmé services scéniques
Affiche : Louis Aubin
Photo : Robert Etcheverry

Durée environ 60 minutes

Productions Danalou


Les Gros Becs
1143, rue Saint-Jean
Billetterie : 418-522-7880 poste 1

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Critique

Après la traditionnelle présentation des Zurbains en début d’année, le Théâtre les Gros Becs propose aux adolescents, pour quelques représentations seulement, une nouvelle création des Productions Danalou, intitulée Richard, le polichineur d’écritoire. Avec un titre pareil, admettons-le, on a l’impression d’être chez Molière ; que nenni! C’est de l’autre côté de la Manche que nous avons rendez-vous, dans l’univers d’un certain Shakespeare.

Le Richard du titre est un enfant joueur ou un adulte timide – à chacun de l’imaginer tel qu’il le désire. Professeur un brin illuminé de littérature, portant sur la tête une couronne dorée, il entre en serrant la main de quelques spectateurs en première rangée et demande les prénoms au passage. Après avoir complimenté et échappé quelques livres qu’il replace dans un petit meuble, mi-bibliothèque, mi-bureau de travail et seul élément de décor, il aborde d’une délicieuse manière trois immenses pièces du grand Will. Le Songe d’une nuit d’été? Trop de bruit pour rien? Macbeth? Les Belles-Sœurs? Non. Au menu, Hamlet, Roméo et Juliette et Richard III.


Crédit photo : Robert Etcheverry

C’est en 2009, à Charleville-Mézières, que l’acteur Sylvain Massé voit pour la première fois la version originale de Richard, le polichineur d’écritoire du Belge Stéphane Georis. Le désir de l’adapter pour le public québécois naît alors tout doucement. Quelques années plus tard, Massé se rend chez les créateurs pour peaufiner l’adaptation. Deux mois plus tard, il présente une première version à la Vieille Forge à Petite-Vallée, en Gaspésie. Au moment d’écrire ces lignes, la création n’a cumulé qu’une petite dizaine de représentations. Pourtant, ce polichineur rejoint, avec une efficacité déjà exceptionnelle, son public, qu’il soit adolescent ou adulte.

Avec ce projet, Sylvain Massé se paie littéralement la traite, et ça se sent. L’homme s’amuse véritablement à incarner une trentaine de personnages, pour la plupart emblématiques. Et il le fait avec beaucoup de liberté : si la pièce est un mélange de théâtre d’objets et de théâtre de rue, les interactions, sous forme d’animation, laissent place à beaucoup d’improvisation. S’il y a danger de dérapage, l’homme de théâtre sait comment rattraper la situation. De nombreuses références à la culture populaire viennent s’immiscer dans la pièce : ici, des clins d’œil aux œuvres de Pixar, au Labyrinthe de Pan et à Malraux ; là, quelques blagues salaces, dont une à propos d'une grosse Corvette, petite… qu’on a dû expliquer lors de la période de questions qui a suivi la première. Si l’une des références touche moins les ados, elle fera par contre s’esclaffer les adultes.

Le comédien possède un réel talent de manipulateur qu’il exploite de belle manière au cours des trois pièces shakespeariennes. Chacune d'elles comporte des défis bien distincts : trois pièces, trois types de matériaux différents pour les objets manipulés. Dans Hamlet, c’est le papier : une feuille qui devient un masque pour incarner Shakespeare, ou encore du papier journal passé  à la « moulinette de la création » (un moulin à viande) qui prend la forme d’un petit personnage suicidaire. Dans Roméo et Juliette, le tissu : les vêtements de Richard, du veston (Montaigu) au soulier (frère Laurent), en passant par la chemise (Capulet) et une chaussette (prétendant de Juliette), prennent vie sous nos yeux.  Pour Richard III, l’une des histoires les plus sanglantes du dramaturge anglais, quoi de mieux que de la viande? Notre protagoniste n’y va pas de main morte et place d’abord sur son visage une tranche de viande rouge en guise de loup. Couteaux en main, il s’amuse ensuite à couper un rôti de porc crû en fine lanière pour nous présenter tous les personnages, des Édouard à Henry, des ducs aux comtes, sans oublier les femmes (qui ne servent pourtant pas à grand-chose dans ce récit, selon le conteur…). Les deux Richard (le troisième de ce nom et notre professeur faussement patibulaire) s’amusent à créer des brochettes à partir des oncles, frères et neveux qu’on assassine joyeusement, rappelant par moment, le ton du Ubu de la Pire Espèce.

La partie d’Hamlet s’avère un peu plus abstraite que les deux autres ; on exploite surtout la fameuse ligne « être ou ne pas être », réfléchissant vaguement sur la mortalité qui, pourtant, est très présente dans les actes des personnages, allant jusqu’à dire, à un moment, qu’on s’en fout un peu, finalement. Par contre, la création ose peut-être une critique politique, grâce au personnage de Ricky W.B., un genre de superhéros au casque en forme de ballon de basket, qui roule, sur sa mobylette invisible, vers le danger ; mais à vouloir faire le bien, il détruit davantage qu’il ne sauve – un personnage qui serait vaguement inspiré de George W. Bush. Le Roméo et Juliette, aux accents italiens, séduit ; on s’émeut de ces deux gants rouges amoureux qui se suicident sur une musique bouleversante. Déjanté, le numéro de Richard III pourrait devenir culte, grâce à la représentation hilarante et toute en viande d’une famille royale occise : une véritable boucherie, quoi.

En Belgique, c’est Saint-Nicolas qui avait le mot de la fin, en ressuscitant tout ce beau monde ; un élément culturel typiquement européen, plutôt inconnu des Québécois. C’est donc avec des mots brûlant d’actualité que Richard vient clore la représentation : « on pourrait pas arrêter de tuer tout le monde, s’il vous plait? » Quelques jours à peine après l’attentat à la Grande Mosquée de Québec, c’est effectivement matière à réflexion.

09-02-2017