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Du 5 au 30 mars 2013
ScalpéeScalpée
Texte d'Anne-Marie Olivier
Mise en scène de Véronique Côté
Avec Steve Gagnon, Anne-Marie Olivier et Édith Patenaude

Perte… Aliénation…
Une gardienne de prison exulte comme elle peut, le métier qu'elle exècre. Cyberdépendance, perte de l'être cher, suicide.  Nos vies folles nous font-elles passer à côté de la vie ? Sommes-nous aliénés par notre idée du bonheur ? Qu'est-ce que la barbarie aujourd'hui? Peut-on faire de la lumière avec les plus grandes noirceurs ?

En ligne directe avec Gros et détail et Annette, Scalpée, la nouvelle création d’Anne-Marie Olivier est profonde, tendre et teintée d’humour.


Équipe de création Jean-Philippe Côté, Véronique Côté Christian Fontaine, Vano Hotton, Josée Landry Sirois, Anne-Marie Olivier, Édith Patenaude

Scalpée est aussi présenté à l'Espace Libre (Montréal) du 24 janvier au 9 février 2013

Coproduction avec le Théâtre Bienvenue aux dames


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Matthew Fournier

Polyvalente femme de théâtre, Anne-Marie Olivier possède une qualité inestimable pour toute créatrice ou tout créateur : celle de surprendre et de titiller l’intérêt de pièce en pièce. En grande première à Montréal, son Scalpée étonne par rapport à ses réalisations précédentes. Si une légère déception émerge à la sortie de l’Espace Libre, on applaudit également à cette parole rebelle, rugueuse et farouche.

À l’hiver 2010, la dramaturge de Québec avait proposé une œuvre d’une puissance cathartique avec Mon corps deviendra froid sur les planches du Théâtre de Quat’sous. D’une forme plus éclatée, sa toute nouvelle production se démarque également par sa langue moins circonscrite dans ses enjeux psychologiques. Il se dégage de Scalpée un désir abyssal de témoigner de l’éventail des douleurs, maux, déchirures et égarements de notre société contemporaine. La plume de l’auteure égratigne, et même lacère les dépendances multiples vécues par ses trois personnages pour faire éclater au grand jour les peurs souterraines, difficilement avouables pour le commun des mortels.

Au tout début de la représentation qui dure environ 80 minutes, les nombreux coups de feu tirés par Élise (Anne-Marie Olivier), une mère monoparentale gardienne de prison, donnent le ton à cette avalanche de violence chargée qui n’évite pas la surenchère. L’histoire explore les relations entre individus aux parcours sinueux. En plus de se sentir humainement exploitée dans le milieu carcéral où elle travaille, Élise vit une relation tendue avec son fils Charles âgé de 20 ans. Passionné par les jeux vidéo, ce dernier cherche un sens à sa vie professionnelle et personnelle en plus de découvrir que du sang amérindien coule dans ses veines. Il veut découvrir l’identité de son père inconnu. Parallèlement, une femme prénommée Dorothée vient de rompre avec son copain aux infidélités multiples. Elle rencontre par hasard Charles parti du cocon familial en quête d’aventures dans une région forestière. Oscillant entre les rapprochements vulnérables et les rejets frénétiques, les protagonistes écorchés vifs s’apprivoisent, se prennent et se jettent tout en se lançant au visage des vérités dérangeantes.

À l’ombre de la crise d’Oka qui apparaît probablement pour l’une des premières fois dans la dramaturgie québécoise, plusieurs thématiques surgissent à un moment ou l’autre durant cette pièce baignant dans une tension prenante du début à la fin. La filiation, la quête de vérité par rapport aux valeurs factices de consommation, la soumission au sexe, au monde virtuel et aux armes à feu, sans oublier le désir de paternité et la question nationale demeurent des enjeux abordés dans cette partition généreuse. Abondent également les très nombreuses références au monde animal, comme des métaphores des instincts primitifs de notre barbarie. Pourtant, on ressent un certain engourdissement devant une abondance de pistes explorées qui auraient gagné à tendre vers une plus grande clarté dans la représentation de leurs propos. Par ailleurs, la référence au conflit politique majeur entre les Mohawks et les Québécois à l’été 1990 paraît ici plutôt plaquée et mal arrimée au dénouement.


Crédit photo : Matthew Fournier

Fort heureusement, la plume talentueuse d’Anne-Marie Olivier peut également se révéler d’une grande virtuosité dans ses passages les plus dépouillés. Avec une lame acérée, elle devient un scalpel virtuose dans la dissection des pulsions et failles de ces trois carcasses humaines. Certaines répliques plus épurées frappent droit au cœur, surtout celles émanant de la bouche de la mère (la figure la plus complexe et la plus réussie parmi les trois) lorsque toutes ses certitudes s’effondrent peu à peu comme un château de cartes. Les rôles du fils et de Dorothée semblent moins bien dessinés, même si chacun d’eux a quelques scènes fortes et même poétiques, notamment lors de leur aventure charnelle.

Une habile mise en scène de Véronique Côté réussit à recréer dans un même décor les lieux multiples des actions. Les déplacements des personnages sont exécutés avec une étonnante précision chorégraphique. L’interprétation comporte également des émotions fortes, surtout de la part de l’Élise d’Anne-Marie Olivier, souvent bouleversante, prenante et vibrante. Dans leurs rôles respectifs, Steve Gagnon et Édith Patenaude parviennent à transmettre, parfois aisément, parfois de façon plus inégale, révolte et sensualité.

Avec Scalpée, la nouvelle directrice artistique du Théâtre du Trident de Québecexplore d’autres territoires et d’autres avenues dans son parcours rarement banal. Tout en ne portant pas le souffle de Mon cœur deviendra froid, elle ose nous bombarder des vérités crues et secouer nos certitudes réconfortantes, même si le résultat nous laisse sur un sentiment d’inachèvement. 

28-01-2013