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Du 27 octobre au 21 novembre 2015, 19h30, mardi 17 novembre 13h
Trainspotting
Adaptation du roman d’Irvine Welsh par Harry Gibson
Traduction : Wajdi Mouawad
Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau
Avec Charles-Étienne Beaulne, Claude Breton-Potvin, Jean-Pierre Cloutier, Marco Poulin, Lucien Ratio

Comme plusieurs jeunes de sa génération, sans emploi, sans le sou, sans repères, Mark Renton erre avec ses amis dans la banlieue d’Édimbourg, en Écosse. Révoltés, désabusés, refusant d’entrer dans le moule que la société voudrait leur imposer, ils ont trouvé refuge dans l’univers de la drogue, croyant rendre leur existence plus supportable. Leur vie oscille entre shoot d’héroïne, overdose et sevrage, vols, sexe, violence et mort. Trainspotting pose un regard lucide et amer sur un monde qui semble avoir repoussé dans l’ombre toute une frange de sa génération.


Section vidéo


Assistance à la mise en scène : Caroline Martin
Décor : Jean-François Labbé
Costumes : Karine Mecteau-Bouchard
Lumières : Hubert Gagnon
Musique : Uberko
Images vidéo : Jean-Philippe Côté

Tarif : régulier : 35 $ ; 60 ans et plus : 30 $ ; 30 ans et moins : 25 $
Le premier samedi de chaque production, la paire de billets est au coût de 35 $ pour les 30 ans et moins

Production La Bordée
En collaboration avec le Théâtre 1re Avenue et Projet UN


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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Dates antérieures (entre autres)

Une première version de ce spectacle a été joué en 2013 à Premier Acte

 
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Critique

Crédit photo : Pierre-Marc Laliberté

autre critique disponible lors du passage de la pièce au Théâtre Prospero au printemps 2016

La pièce « in-yer-face » Trainspotting est de retour sur les planches de Québec à l’invitation de La Bordée, après une première série de représentations à Premier Acte en 2013 qui avait fait beaucoup jaser.

D’abord une nouvelle en sept parties d’Irvine Welsh, considérée comme du « dirty realism »,  Trainspotting se retrouve au théâtre en 1995, grâce à l’adaptation d’Harry Gibson, et ce, neuf mois seulement après la sortie du bouquin. La pièce connaît un énorme succès en Écosse comme partout dans le monde. Elle dépeint une portion de la vie d’un groupe d’amis de Leith, quartier d’Édimbourg, addicts à l’héroïne, à la violence, à l’alcool ou au sexe – ou tout ça à la fois. On rencontre ainsi Mark Renton, narrateur principal du récit, Tommy, Sick Boy, l’explosif Begbie, Allison et leur dealer Johnny Swan, connu sous le nom de Mère Supérieure. Déchéance, consommation excessive, tentative de désintoxication forcée, il n’y a pas réellement d’intrigue à Trainspotting ou de thème principal : ce n’est que la vie de jeunes hommes et femmes qui se battent contre eux-mêmes, qui se gèlent pour s’évader de la vie et, paradoxalement, pour lui donner un sens.

Marie-Hélène Gendreau, qui a signé plus d’une vingtaine de mises en scène depuis sa sortie du Conservatoire en 2005, réussit à donner un sens à cette clique exclue de la société. Partout, on sent l’abandon : le corps des junkies au paradis artificiel, la société et sa jeunesse, celle-ci et le futur. Elle fait aussi ressortir du texte ce sentiment d’assimilation qui unit naturellement Écossais et Québécois. D’abord installée à la fin des années 80, à l’ère Thatcher et du punk, Trainspotting voit son adaptation s’universaliser, ratisser plus large, sortir des Highlands pour toucher le Nord-Américain, grâce à la traduction de Wajdi Mouawad. Vulgaire, crue, usant du sacre comme d’un langage en soi, elle respecte tout à fait le texte original en ce sens (dans lequel on compte 147 « cunts » !), même si l’on sent parfois le travail de la traduction et une certaine théâtralisation des monologues de Mark.

Visuellement remarquable, le décor de Jean-François Labbé, brillamment éclairé par Hubert Gagnon et Dominic Lemieux, offre trois niveaux : une voie de chemin de fer en avant-plan, une plateforme crasseuse, fermée par un mur aux portes d’acier type mini-entrepôt et un étroit passage au-dessus du mur. Les accessoires sont peu nombreux : déchets, matelas défraichi et toilette dégoûtante remplie d’excréments – parce que la merde, ils y nagent tout autant qu’ils y fouillent – pour l'une des scènes cultes du roman comme du film. Les images vidéo de Jean-Philippe Côté, projetées sur le mur du fond (champs, train, ville) et la musique d’Uberko viennent dynamiser efficacement plusieurs moments choisis du récit.

Lucien Ratio (Mark), Jean-Pierre Cloutier (Tommy), Charles-Étienne Beaule (Sick Boy et Begbie), Claude Breton-Potvin (excellente Allison), Marco Poulin (Mère Supérieure et l’ivrogne, entre autres) jouent avec une saisissante intensité et une grande justesse. Si la narration de Mark cause un minuscule décalage en première partie, elle disparait en deuxième, offrant à Ratio des scènes tout aussi marquantes que dérangeantes, dont celle où, attaché à son matelas graffité du drapeau britannique, il se fait shooter à l’héro par le fantôme de son frère soldat sorti de sa tombe toute fraîche.


Crédit photo : Pierre-Marc Laliberté

Les inconditionnels du livre ou du film seront par contre rapidement largués, tant l’adaptation de Gibson coupe (out les nombreux vols à la tire, revenu principal de nos antihéros), triture et fusionne les personnages. Alors que Sick Boy (superbe Johnny Lee Miller dans le film de Danny Boyle) ne fait qu’une rare apparition, le personnage de Danny, totalement absent de la scène, semble avoir été amalgamé autant à celui de Mark qu’à Tommy, rendant du coup ces deux-là moins uniques. Begbie perd de sa folie sociopathe pour embrasser un caractère simplement violent, à grande gueule, usant ici davantage des mots – des jurons – que de ses poings. Le Tommy de Cloutier arbore la coupe de cheveux de Lee Miller et la moustache du Begbie de Robert Carlyle (clins d'oeil?). Allison et Kelly sont aussi fusionnées pour ne donner qu’un seul personnage, mais qui fonctionne plutôt bien. De quoi en perdre son... écossais. Le tiers du récit, qui se passe à Londres, disparait totalement ; alors qu’une certaine rédemption possible, au cœur de la capitale anglaise, était évoquée par l’auteur, Gibson laisse ses personnages errer dans la vieille gare en ruine de Leith, attendant un train qui n’arrivera jamais. Gibson affirme en entrevue qu’il voulait ainsi proposer au public une finale plus réaliste, plus près de ce que ces jeunes auraient vécu, mais elle provoque du coup une non-fin, nous obligeant à fermer trop rapidement les yeux sur ces évincés de la vie pour qui nous éprouvions doucement une certaine sympathie, malgré toute l’horreur à laquelle nous avons été témoins durant la représentation.

Difficile de reprocher quelque chose à cette version de Trainspotting de Marie-Hélène Gendreau, tant tout ce qui pourrait être répréhensible sert d’une manière ou d’une autre le récit. Peut-être manque-t-il à la pièce un ou deux moments à peine un peu plus trash, plus rock’n’roll pour donner le réel sentiment de se balancer dans le vide, dans la perdition ou l’irréalité des Mark, Tommy et Allison, surtout lors de leurs hits. Amer, dur, oppressant, ce Trainspotting n’est certes pas un train que l’on regarde passer, c’est celui qui happe de plein fouet.

29-10-2015