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Du 11 avril au 6 mai 2017, 19h30, 26 avril et 2 mai 13h
L'avare
Texte Molière
Mise en scène Bertrand Alain
Avec Frédérique Bradet, David Bouchard, Chantal Dupuis, Paul Fruteau de Laclos, Jacques Leblanc, Nicolas Létourneau, Jocelyn Paré, Guillaume Pelletier, Mary-Lee Picknell, André Robillard et Réjean Vallée

Harpagon, vieil avare, agit en véritable tyran pour toute sa maisonnée. Il projette de marier ses enfants sans s’occuper de leurs sentiments. Élise, promise au seigneur Anselme, est plutôt amoureuse de Valère. Quant à Cléante, destiné à une veuve, il est épris de Mariane, jeune fille sans fortune vivant avec sa mère. Or, Harpagon souhaite lui aussi épouser Mariane. Tout est alors en place pour une épopée moliéresque où ruses, intrigues et quiproquos vont se succéder.

Molière, ce génie de la comédie, atteint avec L’Avare des sommets de drôlerie et de vérité.


Assistance à la mise en scène  : Léa Aubin
Décor : Vano Hotton
Costumes : Élyane Martel
Lumières  : Laurent Routhier / Projet Blanc
Musique : Fabrice Tremblay

Tarif : régulier : 38 $ ; 60 ans et plus : 33 $ ; 30 ans et moins : 28 $
Le premier samedi de chaque production, la paire de billets est au coût de 28 $ pour les 30 ans et moins

Soiréee bordéliques
Dans le but d’appuyer les compagnies de théâtre émergentes de Québec, La Bordée organisera, pour une deuxième saison, des soirées de financement qui leur seront dédiées : les Soirées Bordéliques. Tous les profits de ces soirées seront remis aux compagnies théâtrales et contribueront au financement de l’un de leurs spectacles qui aura lieu au cours de l’année.
 Samedi 24 septembre 2016 – Théâtre Kata (Olivier Arteau-Gauthier)
 Samedi 5 novembre 2016 – Le chien sourd (Gabriel Fournier)
 Vendredi 13 janvier 2017 – La brute qui pleure (David Bouchard)
 Samedi 25 février 2017 – Les Gorgones (Marie-Ève Chabot Lortie)
 Samedi 15 avril 2017 – La Camerata de Bardy (Nicolas Jobin), en association avec la compagnie La Mauderne

Production La Bordée


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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Critique

On pourra sans contredit affirmer que pour sa dernière saison à la barre de La Bordée, Jacques Leblanc a eu du flair. D’abord cette fresque extraordinaire qu’a été Gloucester, pour souligner le 400e anniversaire du décès de Shakespeare ; Les marches du pouvoir en novembre, un suspense politique collé sur l’actualité états-unienne ; J’accuse, début 2017, alors que l’on parlait partout des agressions sexuelles et de la « condition féminine » ; finalement L’avare, cette comédie de mœurs sur fond d’égoïsme et d’avarice, en cette ère post-austérité, en plus du « scandale » Bombardier.








Crédit photos : Nicola-Frank Vachon

Molière aimait bien ridiculiser les vices de ses contemporains sur scène. Ce qu’il fit brillamment dans la plupart de ses pièces, et particulièrement dans L’avare, alors qu’il traitait de mariages arrangés, d’amour pour l’élu(e) de son cœur ou de l’argent, de mesquineries ou de tendances vengeresses des serviteurs – un ressort comique indémodable. Près de 350 ans plus tard, la pièce frappe encore l’imaginaire et fait rire à gorge déployée. Molière applique la devise de la comédie classique à la perfection : castigat ridendo mores, ce qui signifie «elle châtie les mœurs en faisant rire et en les rendant ridicules», avec, en prime, un but moralisateur.

Alors que le dramaturge français s’inspirait jusqu’alors de la commedia dell’arte, il prend ici les idées d’un texte beaucoup plus ancien, soit l'Aulularia (la Marmite), de Plaute (poète comique romain, 254-184), à qui il emprunte l’avaricieux (Euclion devenant Harpagon) qui dissimule au monde un trésor, puis se le fait dérober par un esclave, en plus du personnage de l’amoureux (ici Valère) qui se voit accusé du crime.

C’est à une adaptation fort heureuse que nous convie Bertrand Alain, qui signe une mise en scène tout à fait à son image. L’homme de théâtre a su bien décortiquer le texte pour en extraire tout l’humour des situations, tout en y ajoutant sa signature. Les effets comiques – les actions et réactions exagérées, les différences de ton, les murmures pour l’auditoire – qu’il utilise, habilement subtilisés à l’univers du boulevard, sont précis et totalement maîtrisés par la troupe d’Alain. Les personnages féminins, que ce soit Mariane (Chantal Dupuis), Frosine (exubérante Frédérique Bradet) ou la fille d’Harpagon, Élise (Mary-Lee Picknell), démontrent un caractère bien trempé et ne sont pas dupes. Nicolas Létourneau (le boucher et écuyer Maître Jacques, qui sème la bisbille entre le père et le fils tout en se ramassant les coups), Jocelyn Paré (le serviteur Brindavoine et le commissaire) et Guillaume Pelletier (l’autre serviteur et le clerc) s’en tirent réellement bien. Réjean Vallée disparait littéralement sous les traits d’Anselme, de Maître Simon et de la grincheuse Dame Claude. Paul Fruteau de Laclos octroie à son Valère, l’amant secret d’Élise, une intelligence et un certain charme. David Bouchard joue avec aplomb le serviteur de Cléante ; son attitude très moderne lui permettra de surprendre le public avec une expression terriblement récente et inattendue. André Robillard incarne un Cléante amoureux et doux, joueur, tout aussi indépendant que sous le joug de son père, aux habits d’un rose éclatant. La coupe de son costume trois-pièces, évoquant légèrement Oscar Wilde, et la couleur retentissante sont peut-être un clin d’œil à l'absence de virilité des vêtements de l’époque ; Molière en glisse d’ailleurs un mot, par la bouche d’Harpagon : «Je voudrais bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé»… D’ailleurs, les costumes d’Elyane Martel sont empruntés à différentes époques, tout comme les accessoires (bretelles, bourses, dactylo), plaçant l’action dans un temps indéfini, terriblement théâtral.

Mais, évidemment, tous les yeux sont rivés sur la superbe performance de Jacques Leblanc, qui s’éclate littéralement dans le rôle d’Harpagon (rappelons qu’il avait joué La Flèche dans la version de L’avare en 1989, pour la même compagnie). Pingre jusqu’au bout des ongles, méchant, paranoïaque, égocentrique, hilarant ; il est simplement parfait dans ce rôle, s’offrant même un « dernier » passage au travers du public de « son » théâtre, lampe de poche en main pour démasquer le cambrioleur qui lui a ravi son argent, son âme.

Les personnages circulent au cœur d’une scénographie conçue par Vano Hotton : une grande maison à l’abandon, dont il ne reste que la charpente – comme si les murs étaient de trop pour cet homme qui compte chaque écu. À l’instar des costumes, la musique originale de Fabrice Tremblay s’amuse à juxtaposer différentes trames mélodiques (disco, rock, classique) sur lesquelles les comédiens entrent en scène et déambulent comme sur un catwalk.

Cette version burlesque de L’avare remplit toutes ses promesses et demeure dans la comédie jusqu’au bout. Mais cette grande qualité oblige la pièce à un défaut, celui d’écarter la morale de la fable. Une faille que l’on sent à la toute fin de la pièce, alors qu’Harpagon récupère son butin. Au milieu de la foule qui célèbre deux mariages, il contemple son or avec un sourire tourné vers le public. Le message de Molière sur la solitude et l’affliction de l’avaricieux n’entre plus en ligne de compte, donnant presque raison au personnage d’aimer autant son or. Malgré tout, L’avare, qui clôt la saison 2016-2017 de La Bordée et la direction artistique de Jacques Leblanc, est un presque sans-faute, un classique comique débordant d’énergie et d’une accessibilité absolue.

13-04-2017